Posters en noir et blanc pour votre chambreSi vous n’êtes pas un grand fan de la couleur dans votre décoration intérieure, les posters noir et blanc sont une excellente option pour vos murs. Ces posters conviendront à toutes les pièces de la maison mais nos affiches en noir et blanc iront à merveille dans votre chambre à coucher. Un poster en noir et blanc c’est le choix de la sécurité vous ne pouvez pas vous tromper avec ces affiches classiques et intemporelles! Choisissez des posters noir et blanc pour votre chambre à coucher dès aujourd’hui!Posters photo noir et blancNous avons non seulement de superbes posters en noir et blanc pour les chambres à coucher, mais nous proposons également de superbes affiches photo noir et blanc d'animaux, de top models, de sites architecturaux et de fleurs. Avec cette sélection incroyablement large de motifs noir et blanc, vous pouvez créer une superbe composition murale avec un mix d'affiches couleur et noir et blanc, ou créer un mur uniquement composé de posters en noir et blanc. Si vous placez une affiche colorée au coeur d’un ensemble d’affiches en noir et blanc, vous êtes certain d’obtenir un résultat moderne en noir et blancSi vous aimez davantage les œuvres d'art, notre collection d’affiches d’art moderne en noir et blanc est faite pour vous! Avez-vous toujours aimé regarder de superbes peintures ou des graphisme étonnants? Avez-vous un salon magnifiquement moderne avec le noir et blanc comme couleurs principales? Nos affiches d'art moderne noir et blanc complèteront à merveille votre décoration d'intérieur. Créer une composition murale moderne noir et blanc est un moyen merveilleux de vous exprimer votre style noir et blanc encadrésAfin de créer une belle composition murale et peut-être de donner une touche de couleur à vos posters noir et blanc, vous pouvez les accrocher dans nos superbes cadres. Un motif noir et blanc encadré sera beaucoup plus agréable à regarder qu’une affiche simplement accrochée au mur. Une bonne idée est de combiner un poster d’animal en noir et blanc avec nos cadres de couleurs rose ou or. Le contraste des couleurs rend l'affiche éclatante et illuminera votre mur. Jetez un coup d’œil à notre page d’inspiration pour trouver plus d’idées de compositions noir et blanc encadrées ou créez votre propre combinaison parfaite de posters noir et blanc en ligne.
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Ceclub détruit toute notion de statistiques il pourrait faire gagner Jean Lassalle à la présidentielle — Fédé de la Lose (@FFLose) Affiche football : Le Panthéon de la Lose édition 2022 (40×60) 39,90 € 34,90 € Voir. T-shirt Confinement « J’allais passer pro » 24,90 € Voir. T-shirt Fédération Française de La Lose. 24,90 € Voir. Chaussettes FFL – Pied carré
Le 18 mars 2018 au FAOUËT 56320l’AETA Bretagne rendra hommage avec son Drapeau au plus jeune Poilu de France mort en combat aérien il y a 100 ansLes arpètes sont attendus pour cet hommage dans le cadre du devoir de mémoire cher à l’AETASoldat à quinze ans, sergent décoré à seize, adjudant à dix-sept, tué à l’ennemi à dix-huit, telle fut la vie de Jean Corentin Corentin CARREDe tous les morts inscrits sur le monument aux morts du Faouët Morbihan, il en est un dont le nom vivra dans l’Histoire de France, c’est celui de Jean-Corentin Carré, dit le Petit Poilu du Faouët », mort à l’ennemi dans son avion en flammes, à l’âge de dix-huit ans. Son exemple mérite d’être cité, en particulier aux enfants des écoles, c’est pourquoi un hommage lui sera rendu le 18 mars 2018, date du centenaire de sa mort au Faouët le 9 janvier 1900 Jean Corentin Carré, bien que son père fût un pauvre journalier, fréquenta assidûment l’école jusqu’à douze ans, puis entra comme petit commis chez le percepteur qu’il suit lorsque ce dernier fait mouvement sur Mauléon Pyrénées Atlantiques. Vint la guerre. Jean-Corentin Carré, dès les premiers jours, voudrait s’engager, mais il n’a que quatorze ans alors que l’âge légal est de dix-sept. Il essaye alors d’obtenir des papiers au nom de son frère plus âgé ; il n’y réussit pas. Mais le 27 avril 1915, à quinze ans et trois mois, il est plus heureux ; il tente en effet le tout pour le tout auprès du bureau de recrutement, en ayant recours à un subterfuge. Pour ne pas éveiller les soupçons, il déclare s’appelé Auguste DUTHOY, être né à Rumigny Ardennes, département alors occupé par l’armée allemande. Aucune vérification n’étant possible, il est engagé au 410éme d’ 20 octobre 1915, il part pour le front à Sainte-Menehould. Portant allègrement son barda » et ne le cédant en rien aux vieux brisquards. Le 29 octobre, Jean-Corentin Carré reçoit le baptême du feu. Je n’ai pas eu peur » note-t-il sur son journal ». Le 15 novembre il monte en première ligne et tout aussitôt il est volontaire pour toutes les missions. Après avoir tenu les secteurs de Mesnil-les-Hurlus, de Somme-Tourbe, de Somme-Suippe jusqu’en mai 1916, le 410ème prend position entre la ferme de Thiaumont et la côte du Poivre, en avant de la côte de Froideterre et du fameux ravin de la Mort. Le 19 juin 1916 ; il est sergent il a juste seize ans et demi, pas encore l’âge officiel d’être 15 novembre, le Petit Poilu, qui a pour mission de couper les barbelés ennemis, fait un prisonnier allemand, ce qui lui vaut de chaudes félicitations et une citation à l’ordre du corps d’armée. Il a la croix de guerre et ses dix-sept ans tant attendus DUTHOY voudrait reprendre son nom, aussi le 29 décembre 1916 il adresse la lettre suivante à son colonel Mon identité est fausse. Je ne suis pas le sergent Auguste DUTHOY. Je m’appelle Carré Jean-Corentin je suis né à Le Faouët Morbihan, le 9 janvier 19O0. J’aurai 17 ans le 9 janvier prochain. Je vous écris pour vous demander s’il ne me serait pas possible, ayant l’âge réglementaire, de reprendre mon véritable nom sans quitter le front. Je préférerais rester Ardennais jusqu’à la fin de la guerre et sans que mes chefs directs sachent la vérité. Je ne suis pas plus patriote qu’un autre, mais je considère qu’un Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’ colonel, je suis, sous vos ordres, le serviteur de la France ».Jean-Corentin jours plus tard, en réponse, le colonel nommait le sergent DUTHOY adjudant. Le changement de nom s’effectue, mais l’adjudant DUTHOY devient le soldat Carré. Toutefois, en quelques jours, le colonel lui rend, l’un après l’autre, tous ses grades. Le 16 avril, le 410ème attaque les Cavaliers de Courcy, et la compagnie de Carré est citée à l’ordre de l’armée, ayant fait cinquante prisonniers, enlevé un canon, deux minenwerfer » et deux mitrailleuses. Le16 juin, nouvelle attaque qui vaut au Poilu sa seconde citation à l’ordre de l’ 20 juin, sur sa demande, il passe dans l’aviation. Je saurai montrer aux aviateurs, dit-il, ce que vaut un Breton du 410ème ».Passionné pour sa nouvelle arme, il fait preuve des plus belles qualités militaires et conquiert rapidement son brevet de pilote. Au mois de février 1918 il revint en il a le pressentiment de sa mort. Un soir, chez sa sœur, à la fin du repas, il grave ces mots sur la table Carré Jean, tué le 22 mars ». Il ne se trompait guère. Le 18 mars, en effet, il tombait près de Souilly, accomplissant un dernier exploit près de ce Verdun qu’il avait défendu comme fantassin. Voici sa dernière citation posthume Adjudant Jean-Corentin Carré, du 410ème régiment d’infanterie, pilote à l’escadre par trois avions ennemis, le 18 mars, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse.
50 Jean-Michel Larqué Entre son impressionnante carrière de joueur et ses décennies passées à commenter, disséquer et analyser le football à la télévision et à la radio, combien de
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Lapériode scolaire va bientôt s'achever. Les élèves de la 6e à la 3e du collège Jean-Corentin-Carré, avec la complicité de l'équipe enseignante, ont, tout
Au Mans du 16 mars au 7 avril LE MOT DU MAIRE La Ville du Mans est heureuse d’accueillir l’édition 2019 du festival Les Photographiques’’ qui invite à la découverte d’auteurs photographes d’une grande qualité. Cette année, à travers l’artiste invité Vincent Gouriou, Les Photographiques’’ mettent l’accent sur la condition humaine et appellent à porter un regard sur ce que nous sommes, par une approche sensible et plastique du portrait. Au-delà de sa dimension esthétique, le festival Les Photographiques’’ est surtout un moment vivant et dynamique, au cœur d’une saison culturelle riche et diversifiée, mettant en valeur tous les Le Foll / Maire du Mans / Président de Le Mans Métropole / Ancien Ministre LE MOT DU PRÉSIDENT Les auteurs photographes, à l'instar des autres corps artistiques, sont sensibles à l'humain en tant qu'individu, à l'humanité et son devenir ainsi qu'au monde qui les abrite. Ils tentent de transmettre leurs préoccupations, chacun employant pour ce dessein, une écriture qui lui est propre. Les Photographiques 2019, retranscrivent ces ''points de vue'' à travers une sélection mêlant des travaux autour de l'identité, intime ou commune, et d'autres, relevant d'interrogations sociétales et environnementales. Laurent DELHAYE / Président de l’association festival de l’image, organisatrice des Photographiques Cette édition propose une nouvelle fois de découvrir, aux côté de l’exposition du photographe invité à la Collégiale St Pierre La Cour, un ensemble de travaux sélectionnés dans le cadre d’un appel à auteurs présentés au Mans au Centre des Expositions Paul Courboulay mais aussi au sein de structures partenaires le Centre d’art MoulinSart à Fillé/Sarthe, l’Éolienne à Arnage et la médiathèque Louise Michel à nouveautés carte blanche à Undertaker au parc Théodore Monod, projection permanente d’extraits de portfolios d’artistes présélectionnés au centre des expositions Paul Courboulay, partenariat avec Corridor Elephant, maison d’édition et revue en ligne et avec le cinéma Les Cinéastes qui projettera trois films parlants de nouveau, place est faite au Programme Associé, programmation d’expositions de divers lieux de la ville et du département. Notre invité La série ''Singularités'' par Vincent Gouriou, explore la condition humaine, les transitions de l'enfance à la vieillesse, l'évolution des corps, des sexualités. C'est à travers un prisme plastique et esthétique, transcendant ces portraits, qu'il nous donne à voir les différences et pose la question de la normalité. Les sélectionnés de l'appel à auteurs ''Le temps des grenadines'' par Dan Aucante, réveille nos souvenirs d'enfance à travers une lecture en noir et blanc de ce préambule de la vie insouciant du temps qui passe. Une écriture nostalgique que nous aimerions tous avoir en commun. ''Les Pinocchios'' de Philippe Chardon nous amènent à la frontière du rêve et du réel. Chacune de ses créations numériques nous renvoie à des situations vécues, tel Pinocchio, comme les grandes traversées, la pauvreté, ou encore nos liens à l'animal… C'est en observant les compositions que ces frontières s'estompent en traduisant le sens du réel. Isabeau de Rouffignac revient sur une catastrophe humaine et environnementale symptomatique de la frénésie industrielle contemporaine. Les femmes de ''Bhopal leur colle à la peau'' portent, pour ces portraits, des saris imprimés d'images et de textes rappelant l'explosion d'une usine de pesticides en Inde en 1984, laissant s'échapper un gaz mortel dans les artères de la ville. Sandrine Elberg évoque ''Yuki-Onna'', personnage fantomatique de l'imaginaire japonais. ''La femme des neiges'', cet esprit qui apparaît la nuit dans les paysages enneigés, figure la beauté glacée de l'hiver. Avec ''Double Je'', Isabelle I joue de son apparence, se métamorphose devant l'objectif et relève des questions d'identité physique, psychique et spirituelle. Le ''je'' est interprété à travers le masque graphique fait de ses mains camouflants son visage. Sommes nous visibles seulement par notre apparence ? ''Person_'', de Nicolas Ruann, métaphore de la surconsommation, confronte l'humain à ses propres excès. Des colonnes vertébrales sculptées sont juxtaposées aux portraits de ces femmes et hommes envahis par leurs tentations. ''Anaon'', le peuple des âmes en peine, nous emmène auprès des légendes de Basse-Bretagne. Aurélie Scouarnec, imprégnée de ces récits, cherche les empreintes laissées dans la roche, la terre, mais aussi les traces imaginaires laissées par l'humain et l'animal. Michaël Massart retrace la vie d'un être hybride, homme-ordinateur, objet de consommation destiné à une fin paramétrée par le biais de l'obsolescence programmée. De l'exaltation du déballage à la mise au rebut de cet objet tellement désiré, ''Very fast Trip'' dénonce, avec humour, les excès dictés par nos sociétés consuméristes. ''Les résistants'' de Christophe Hargoues vivent sur l'île de Sein. Alimentés en électricité par une centrale au fioul déversant d'énormes quantités de CO2, des habitants œuvrent pour utiliser l'énergie, si vivace, des éléments naturels. Ces images, portraits d'îliens engagés ou sympathisants, accompagnées de vues des éléments en mouvement, illustrent ce combat, porté en justice contre leur fournisseur d'énergie depuis 2013. Sophie Carles nous expose les traces laissées par la nature sur ses ''Tiers paysages'', comme une exploration archéologique des empreintes d'une industrie désertée par l'humain et redessinée par le végétal. L'installation de l'artiste est aussi composée de cartes postales, sur lesquelles elle cultive de la mousse, témoins d'une ère industrielle que la plante recouvre. Elle y associe l'érosion du temps sur la photographie, élément de la modernité. Le partenariat Corridor Éléphant Corridor Éléphant, magazine en ligne et maison d'édition dédiés à la photographie, éditeur de la revue papier en édition limitée NIEPCEBOOK invite, en partenariat avec Les Photographiques, Valérie Simonnet. Avec ''Escape game'', elle saisit des moments ou la rupture entre l'homme et son environnement semble imminente, des instants fragiles où l'architecture nous submerge. Ce partenariat permet en outre à l’un de nos auteurs, Dan Aucante, de figurer dans le prochain numéro du NIEPCEBOOK. Carte Blanche Les Photographiques proposent une carte blanche à Undertaker, jeune collectif manceau œuvrant à la diffusion artistique. Avec les travaux de Emma Mauger / Vulveception’’, Maxime Bihoreau / Puppets’’, Jean-Michel Regoin / Watching Me Watching You’’, Peter Winfield image ci contre Projection Extraits de portfolios issus de la présélection de l'appel à auteurs. Avec les travaux de “Les métamorphoses de Protée”, ÉMILIE ARFEUIL “Les métamorphoses de Protée”, ÉMILIE ARFEUIL“Solo”, ARTHY MAD“Dolor”, CHARLOTTE AUDUREAU“Blue Bird”, CÉCILE BALDEWYNS“Refuzniks, dire non à l’armée en Israël”, MARTIN BARZILAÏ“Seule avec toi”, HÉLOÏSE BERNS“Les orphelins du Poopo, récit d’un lac disparu”, ÉMILIEN BUFFARD“L’Heure Bleue”, ANNE-SOPHIE COSTENOBLE“Hous’Us”, CUSHMOK“Punk, love and kindness”, NIKO DJAVANSHIR“The Last Straw”, MAXIME MATTHYS“Je marche sur tes traces”, LAURE PUBERT“La main du singe”, MYRIAM RAMOUSSE“I am a superhero”, DOMINIQUE SÉCHER Hors cadre 8 En parallèle de la programmation des Photographiques, la MJC Ronceray accueille chaque année plusieurs photographes sur ses murs. L’occasion de découvrir de jeunes talents issus de la région. Avec les travaux de Corentin Gaborit, Edwige Lesiourd / Antr’eau’’ image ci-contre, Thibault Pierrisnard, Jin Fangru / Nouvelles briques de mur ancien’’ Le Programme associé Off des Photographiques, le Programme associé propose aux lieux désireux de se lier à l'évènement, de programmer leurs propres expositions sur la durée du festival. LES PARTENAIRES Les Photographiques 2019 sont organisées par l’association Festival de l’image, grâce aux financeurs institutionnels aux partenaires techniques • les services de la Ville du Mans et de Le Mans Métropole,• les Musées du Mans,• la MJC du Ronceray au Mans,• le cinéma Les Cinéastes• le Centre d’art de l’Ile de Moulinsart et la Communauté de Communes du Val de Sarthe,• l’Éolienne à Arnage,• la Médiathèque Louise Michel à Allonnes, à notre partenaire presse à notre partenaire pédagogique Et à notre partenaire pour l’hébergement des auteurs L'association Festival de l'image, organisatrice des Photographiques adhère au Pôle arts visuels Pays de la Loire. LES PHOTOGRAPHIQUES 2019 / PROGRAMMATION Vincent Gouriou ''SINGULARITÉS'' À la collégiale Saint-Pierre-La-Cour / Le Mans Avec des œuvres d’une grande beauté plastique et une étonnante maîtrise photographique, Vincent Gouriou s’approche des qualités picturales des grands maîtres de la peinture flamande pour entrer au plus près de l’intime et de la beauté. Le sujet est modelé par la lumière dans des mises en scène où la fragilité des apparences peut se muer en force de fiction transgenres, homosexuelles, hétérosexuelles. Où en sont l’identité sexuelle et le genre aujourd’hui ? Vincent Gouriou cherche. Ce photographe, attiré par la marge, parle des fêlures, avec comme prisme, sa profonde douceur. Finesse des dialogues silencieux, il signe le passage, la musique de l’intime qui n’a pas peur des dissonances, dans une vague d’images silencieuses qui séduisent ou dérangent, mais ne laissent jamais Gouriou cherche par l’acte photographique à montrer l’infinie nuance des corps singuliers. Des différences et ressemblances. Il s’intéresse aux transformations, qui peuvent être liées à l’adolescence, à la maladie, à la vieillesse. Pour cette exposition, il s’intéresse aussi à l’identité sexuelle et s’interroge sur la normalité.Je cherche ce qui est universel, j’essaie de trouver un lien entre ces personnes si différentes, mais qui ont pourtant quelque chose en commun une humanité peut-être ?’’Ce quelque chose de sincère, de simple chez chacun lui renvoie sans doute en miroir cette recherche de en essayant au fil des années d’aller au-delà de lui-même. D’aller plus loin encore. L'auteur Vincent Gouriou Dan Aucante ''LE TEMPS DES GRENADINES'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Depuis 2004, avec la complicité de ses deux fils, Dan Aucante capte l’essence de l’enfance, en observateur attentif de ses garçons mais aussi en effectuant un retour sur sa propre enfance. Il donne ainsi une vision hors du temps, dans une unité de lieu indéfini, où les signes, symboles et secrets ont toute leur Aucante malaxe l’enfance comme une matière première, y enchevêtrant deux temporalités, les jeux et rites qu’il saisit de se propres enfants auxquels répondent les souvenirs de ses propres jeunes années. Il nous livre ensuite cette matière, nous laisse se l’accaparer pour y agréger nos propres histoires, réelles ou de ces jeux, de l’insouciance, des découvertes, plane pourtant une légère angoisse, celle, inconsciente pour ses fils mais prégnante pour lui, du temps qui passe, de la fragilité de ces instants qui vont pourtant imprimer leur marque sur une vie véritable archéologue de son enfance, Dan Aucante exprime combien l’enfance est à la fois volatile dans sa durée mais indélébile dans ce qu’elle constitue au plus profond de nous. Dan Aucante est représenté par l’agence Révélateur Le coup de cœur de Corridor Elephant L'auteur Dan Aucante Philippe Chardon ''LES PINOCCHIOS'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Philippe Chardon a une perception et poursuit une recherche très personnelle du médium photographique dont il interprète les multiples série Les Pinocchios fait appel de maintes façons aux possibilités ouvertes par les techniques numériques, qu’il maîtrise parfaitement. Mais cela seul ne serait pas suffisant. Philippe Chardon joint à cette maîtrise technique l’expression d’un imaginaire très personnel, et une audacieuse mise en contact de toutes formes d’éléments graphiques et élabore de toutes pièces un vocabulaire plastique et une écriture absolument originaux. Le principe de la série n’est pas ici un artifice, mais le support d’une véritable narration, le germe d’un effet d’ Chardon fait appel aux grands mythes qui ont peuplé l’imaginaire enfantin, et les confronte à la banalité parfois inquiétante du quotidien, d’une manière que ne renierait pas Lewis Caroll.’’ Anne Biroleau, Conservatrice générale chargée de la photographie du 21ème siècle à la BNF Philippe Chardon est représenté par la galerie Mondapart L'auteur Philippe Chardon Isabeau De Rouffignac / Hans Lucas ''BHOPAL LEUR COLLE À LA PEAU'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Fallait-il déposer devant elles ces saris imprimés de coupures de presse racontant cette nuit de décembre 1984 où un gaz mortel s’est échappé de l’usine chimique Union Carbide, d’imageries médicales, du squelette de l’usine qui rappelle que la page n’est pas tournée ? Elles les ont dépliés, s’en sont drapé et m’ont regardée ou ont préféré m’offrir leur dos, juste leur silhouette comme une image ont accepté mon idée. Les faire poser dans ces saris imprimés. Elles ont accepté que Bhopal leur colle encore un peu plus à la peau. Certaines sont des combattantes inlassables. Elles réclament,réparation pour les 3 500 morts directs et les 200 000 malades qui se sont ajoutés au fil des années. Elles descendent dans la rue pour réclamer aux autorités qu’elles nettoient le site qui continuent de polluer. Elles souffrent, aussi, mais n’en disent pas grand-chose parce qu’il faut bien ou indirectement touchées, leur dignité m’a émue. Elles restent femmes et c’est aussi ce que disent ces broderies qui bordent les saris. J’ai voulu que ces mouvements de drapés et ces regards forts et doux à la fois s’imposent à nous et se détachent sur ces images qui nous rappellent ce qu’a été Bhopal et ce qu’est aujourd’hui cette ville indienne dont le nom est définitivement lié à une catastrophe qui aurait pu être évitée. Alors oui, il me fallait déposer devant elles ces saris. Elles les portent comme un défi et j’aime qu’elles soient belles de ce combat.’’ Isabeau De Rouffignac L'auteure Isabeau De Rouffignac / Hans Lucas Sandrine Elberg ''YUKI - ONNA'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Le travail photographique de Sandrine Elberg mêle recherche identitaire et exploration formelle. L’artiste livre des images ambivalentes issues de territoires hostiles et improbables liées à notre imaginaire collectif. Parée d’un masque de jeune fille Shakumi du théâtre Nô, elle incarne le personnage Yuki-Onna et nous invite à la rêverie et la contemplation. Yuki-Onna est un personnage de folklore japonais, c’est la femme des neiges. C’est un Yokaï, un esprit ou un fantôme qui apparaît la nuit dans les régions où il neige abondamment. Elle est décrite de différentes manières, tantôt comme une femme immense mais elle peut aussi incarner un paysage enneigé. Elle est la personnification de l’hiver et en particulier des tempêtes de neige. Yuki-Onna représente la dualité de l’hiver, de sa beauté lisse et froide née également la violence et la cruauté des puise son inspiration lors de ses voyages lointains, en quête de territoires aux climats hostiles pour réaliser des photographies propices à l’imaginaire collectif. L'auteure Sandrine Elberg Isabelle I ''DOUBLE JE'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Derrière le Masque, le mystère.[…] Dans cette série, j’ai décidé de me confronter à nouveau au portrait. Avec pour objectif premier, d’explorer le Je’’, de transformer mon apparence et de la doter d’une toute autre dimension esthétique et psychologique. Afin de me dépersonnaliser pour me repersonnaliser’’ à volonté, une maîtrise du geste s’imposait. Celle de mes mains, qui prendraient forme sur mon visage, telles un masque, pour engendrer une signification symbolique et plurielle, souvent en lien avec l’actualité. […] Une entité, une animalité, un mutant parfois se présente dans ce jeu de métamorphoses. Au fond, dans cette commedia dell’arte’’ ou comédie des hantés par la vie, par les rêves, par les sentiments…, ce que nous donnons à voir, en surface, n’est peut-être qu’une image à un moment donné de notre existence. Sommes-nous réellement ce que nous sommes, quotidiennement et instantanément ? Sommes-nous les je, tu, il, elle, quand il y a derrière le masque, le mystère de sa propre identité ? L’apparence est donc inévidence, quand la complexité de l’être est chose invisible pour les yeux.’’ Isabelle I extrait de Double Je / Les Masques L'auteure Isabelle I Nicolas Ruann ''PERSON_'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Dans l’abondante malle à accessoires, Nicolas Ruann semble délaisser le masque – qu’il a souvent trituré, fait reluire ou tomber – pour faire de la colonne vertébrale son nouvel objet de prédilection. Sculptées dans le papier recyclé, les ossatures postiches viennent surligner les dos nus comme d’étranges exosquelettes, interchangeables à l’envi, laissant déborder à la surface de la peau ce que la chair habille d’ordinaire d’un si grand secret. Simple désir d’exhiber crûment ? La démarche est plus fine. Si Nicolas Ruann s’empare de ce matériau anatomique, c’est pour en interroger la subtile symbolique qu’il décompose, dans un souci d’exhaustivité, sur plusieurs panneaux photographiques. Clef de voûte de l’architecture humaine, l’épine dorsale n’en demeurera pas moins, en terre, une ruine anonyme, os parmi les os. Conscient de la dimension sacrée qu’elle revêt, Nicolas Ruann la sublime en la déclinant à travers une gamme de métaphores et de compositions signifiantes pour raconter l’un des grands fléaux de notre époque l’envahissante surconsommation.’’ Nicolas Liau, écrivain L'auteur Nicolas Ruann Aurélie Scouarnec ''ANAON'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Le peuple immense des âmes en peine s’appelle l’Anaon.’’Anatole le Braz, La Légende de la mort en Basse-Bretagne, 1893 Avec des racines familiales ancrées dans le Finistère à proximité des Monts d’Arrée, territoire qui serait celui des portes de l’Enfer selon la croyance, les légendes bretonnes ont depuis longtemps imprégné mon par la lecture de textes comme ceux d’Anatole le Braz ou de François Marie-Luzel, cette série s’est ainsi esquissée comme une quête à la recherche de ce qui resterait de traces de rites et de contes anciens en Basse-Bretagne, partie la plus occidentale de la région bretonne. Dans cette région, l’enfer est un enfer froid, occupé par l’eau, les pluies, le brouillard. Les chevaux et les chiens sont ces animaux psychopompes qui escortent les âmes au royaume des où croyances païennes et pratiques religieuses sont encore étroitement liées, ces images naviguent parmi les figures qui peuplent les collectes de récits lus ou entendus. Elles m’ont également menée à la rencontre de formes de druidisme contemporain, notamment sous la forme d’un polythéisme vivant et renouvelé, au plus proche de l’expérience du série cherche ainsi à témoigner de cette singulière présence qui continue d’habiter ces espaces propices aux métamorphoses et aux manifestations de ce qui se trame dans les marges du visible.’’Aurélie Scouarnec L'auteure Aurélie Scouarnec Valérie Simonnet ''ESCAPE GAME'' Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans Dans 30 ans les baobabs auront disparu, moi convergence des fins rend chacune plus sensible, de se réanimer l’une l’autre dans le quotidien. Saisir ce qui s’effondre à l’intérieur comme à l’extérieur puisque c’est la même chose. Saisir ce qui résiste, cette part empêchée, maltraitée du vivant en l’homme, celle qui s’affirme malgré tout et tente de trouver la sortie, une échappatoire, le plus souvent dans l’art. La presque totalité de ces images est prise dans des oeuvres ou des lieux de culture, ambigüité et réflexion sur le réel et sa représentation. Théâtralisation de la vie ou réalisme d’un spectacle qui dit la vérité. Pas de mise en scène juste l’alignement d’un instant et d’une émotion qui lui préexiste. Instants éphémères de revendication ou de fuite des sujets dans un univers au destin puissamment contraint. Exercice de liberté dans le refus des cohérences vrai/faux, couleur/noir et blanc surtout quand il est esthétisant et viserait à adoucir le propos par la distance. Dialogue assumé des faux monochromes et des vrais noirs et blancs afin de souligner et redoubler l’inquiétude sur le sélection est un extrait d’un ensemble plus que d’une série, chaque instantané se voulant l’expression globale et définitive d’une sensation qui pourtant se répète. Valérie SimonnetSur une proposition de Corridor Elephant L'auteure Valérie Simonnet ///////////////////////////////////////////////////// PROJECTION D'EXTRAITS DE PORTFOLIOS Des photographes ayant fait partie de la présélection effectuée lors de l’appel à auteurs ont la possibilité de montrer un extrait de la série proposée dans le cadre d’un diaporama diffusé via un grand écran. Cela permettra ainsi aux visiteurs du Centre des Expositions Paul Courboulay de découvrir la diversité des dossiers reçus et une partie de ces quelques “coups de coeur” que l’équipe des Photographiques n’a hélas pu intégrer dans la sélection exposée. Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans “Les métamorphoses de Protée”, ÉMILIE ARFEUIL“Solo”, ARTHY MAD“Dolor”, CHARLOTTE AUDUREAU“Blue Bird”, CÉCILE BALDEWYNS“Refuzniks, dire non à l’armée en Israël”, MARTIN BARZILAÏ“Seule avec toi”, HÉLOÏSE BERNS“Les orphelins du Poopo, récit d’un lac disparu”, ÉMILIEN BUFFARD“L’Heure Bleue”, ANNE-SOPHIE COSTENOBLE“Hous’Us”, CUSHMOK“Punk, love and kindness”, NIKO DJAVANSHIR“The Last Straw”, MAXIME MATTHYS“Je marche sur tes traces”, LAURE PUBERT“La main du singe”, MYRIAM RAMOUSSE“I am a superhero”, DOMINIQUE SÉCHER ///////////////////////////////////////////////////// Carte Blanche à Undertaker Au Pavillon de garde, parc Théodore Monod / Le Mans Pour la première fois, nous offrons une carte blanche à une autre structure dans l’espace d’exposition du Pavillon du parc Théodore culturelle mancelle Undertaker, créée en 2014, se donne pour objectif d’aider des porteurs de projets à se rencontrer et de catalyser ainsi des projets communs, rassemblant des créateurs venus de différents domaines, des arts visuels aux arts vivants. Carte blanche à Undertaker Emma Mauger ''VULVCEPTION'' Au pavillon de garde du parc théodore Monod, Le Mans Sensible à l’environnement et ses formes naturelles, Misa Isobel/Emma Mauger nous présente une série intitulée Vulveception, une ode photographique à la Nature et à ses formes graphiques et...suggestives. Qu’ils soient de mousse, d’écorce, ou de roche, cette série composée essentiellement des sexes féminins ont été photographiés, capturés sous leur côté vulnérable, trouvés par hasard lors de balades, ou parfois même au coin d’une rue. Unir la végétation à la représentation, à l’idée que l’on peut se faire du sexe féminin et de ses formes, donne une dimension poétique à cette série. Observons la nature de plus près, observons ce qui nous entoure, suivez-votre regard et laissez-vous guider par votre imagination. Carte blanche à Undertaker Jean-Michel Regoin WATCHING ME WATCHING YOU’' Au pavillon de garde du parc théodore Monod, Le Mans Capter des images de villes la nuit a toujours fait partie de ma pratique photographique. Peut-être par soucis de discrétion, mais également pour jouir d’une plus grande liberté, j’aime m’approprier l’espace urbain vidé de ses habitants. Mais, dans cette solitude créative et nécessaire suis-je vraiment seul ? Bio Jean-Michel Regoin Carte blanche à Undertaker Maxime Bihoreau PUPPETS’’ Au pavillon de garde du parc théodore Monod, Le Mans Cet actuel projet a pris naissance autour d'une idée imposée. Un secteur, celui de la Plaine de Saint-Denis à la périphérie de Paris. C'est un vaste espace qui d'un point de vue graphique ne m'intéresse pas, je ne lui trouve aucune profondeur esthétique dans ses structures ou ses agencements. L'Est du quartier et ses rues sont animés par un nombre très conséquent de grossistes en textile, activité commerciale dominante de cette partie de la Plaine au vu de l'abondance des boutiques. La Plaine de Saint-Denis, qui se constitue d'une multitude de minorités, notamment asiatiques et africaines, comporte également au sein de ces populations une autre minorité, très bien implantée, les mannequins. J'ai choisi d'exposer dans une série de portraits la quantité de ces figures qu'il m'a été donné de voir au sein de cette population silencieuse, et très présente dans la Plaine. En explorant cette démarche, j'ai pu remarquer qu'une moitié de ces mannequins avaient un visage dessiné dont les traits se rapprochaient pour certains assez de l'humain. Il était même possible d'en desceller des fragments d'émotion sur quelques uns. Mais à aucun moment, l'émotion perçue semble joyeuse, heureuse, ou ouverte. Elle est constamment froide, parfois même mélancolique. Cette sensibilité relative créé un parallèle non volontaire mais audacieux sur ce qui ressort à mes yeux de cette Plaine de Saint-Denis. Un espace hétérogène alliant des structures modernistes neuves mais non esthétiques avec des parcelles d'habitat presque insalubres, repoussant toute idée de charme ou de beauté purement graphique. Suite et bio Maxime Bihoreau Carte blanche à Undertaker Peter Winfield JUST KIDDING’’ Au pavillon de garde du parc théodore Monod, Le Mans Prenez un Anglais. Un bel Anglais. L’œil doit être rieur, l’accent improbable, et la bouche doit arborer cette moue subtile qui laisse entendre qu’il y a toujours un rayon d’humour derrière la grisaille du quotidien. Prenez cet Anglais et mettez-le en France. Qu’observe-t-on ? Rien. La ville nous semble égale à elle-même, monotone, bruyante, agitée, bégayant sans fin sa litanie métro-boulot-dodo ». Qu’observe-t-il ? Tout. L’enfant qui dort dans l’œil d’une vieille dame. Le sourire du policier. L’élégance du balayeur. La façade oubliée qu’on ne regardait plus. L’amour au creux des rides. La joie naïve qui sommeille dans les froncements de sourcils du costard-cravate. Alors, l’Anglais fait cette chose étrange et mystérieuse il parle. Mieux encore, il fait parler. Et, finalement, il nous donne à voir. Il sort la réalité d’elle-même pour en goûter avec nous les meilleurs morceaux. Il décale. Il éclaire sous un autre angle pour partager avec nous son coup d’œil. Il nous invite à faire un tour derrière les apparences, dans cet espace étrange où l’agitation, un instant, s’arrête, pour laisser place à la vie. ///////////////////////////////////////////////////// Sophie Carles ''TIERS PAYSAGE'' Au Centre d’art MoulinSart / Fillé/Sarthe Une ancienne fonderie industrielle abandonnée comme ruine du post-modernisme. L’usine, dans un entre-deux temporel, devient terrain fertile, propice à la naissance d’un nouveau cycle végétal. C’est cette tension, entre la végétation et le bâti, qui est révélée dans ce que la ruine rend palpable l’impuissance des choses humaines à résister à la durée, le végétal, cyclique, traverse les époques. Le Tiers Paysage, paysage libre de toute volonté humaine, définit par Gilles Clément, s’est emparé de ces lieux, les plastique et contemplatif bien que documentaire dans un premier temps, à cette observation succède le prélèvement puis l’intervention, dans une tentative de création à la lisière de la photographie, passant de la culture de mousse à la fabrication d’objets végétaux, empreintes de l’objet manufacturé impuissant à résister aux bouleversements économiques. En partenariat avec le Communauté de Communes du Val de Sarthe et le Centre d’Art de l’Ile de MoulinSart L'auteure Sophie Carles Michaël Massart ''VERY FAST TRIP'' À l'Éolienne / Arnage VERY FAST TRIP est une fable contemporaine sur l’obsolescence programmée, la surconsommation. Ce que notre société porte aux nues aujourd’hui est jeté à la poubelle le de ce sujet et avec une certaine dose d’humour, j’ai tenté de retracer le parcours d’un objet de consommation en lui donnant vie sous les traits du moins partiellement d’un homme. S’il y a bien un domaine dans lequel tout va vite, c’est bien l’informatique. De plus, l’homme lui-même n’est-il pas devenu un objet de consommation dans notre société actuelle ?Le titre résume le parcours de ces objets, depuis l’ouverture du paquet jusqu’à leur remplacement qui intervient souvent trop rapidement, que ce soit par lassitude, par jalousie envers le voisin qui a le nouveau modèle, par manque de solidité ou encore absence volontaire ? de pièces de rechange à une époque où l’on préfère remplacer tout l’appareil plutôt que de tenter de le série propose de partager les aventures de ce “héros” de la surconsommation depuis son déballage jusqu’à sa mort … son recyclage, en passant par ses moments de gloire, d’impression d’être le roi du monde, d’excès, de lendemains difficiles, de nostalgie, de remise en question et de lutte pour tenter de survivre dans de monde bien ingrat vis à vis de de ses “stars déchues” … Michaël Massart En partenariat avec la ville d’Arnage et l’Éolienne, espace culturel L'auteur Michaël Massart Christophe Hargoues ''LES RÉSISTANTS'' À la médathèque Louise Michel / Allonnes L’île de Sein est un caillou de 58 ha au large de la pointe du Raz, d’une altitude moyenne d’un mètre cinquante où un millier de personnes séjournent l’été et 120 îliens y vivent l’ habite sur ce confetti, on devient très vite humble face aux éléments. Les violentes tempêtes des dix dernières années ont ouvert des brèches non seulement dans les digues de protection, mais également dans les consciences des habitants face à l’urgence l’île de Sein n’est pas un modèle de vertu écologique. N’étant pas rattachée au continent pour son alimentation en électricité, c’est une centrale au fioul gérée par EDF qui, brûlant plus de 400 000 litres de fioul, fournit de l’électricité pour les besoins des îliens conduisant ainsi à rejeter plus de 1200 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Pourtant l’énergie est là, disponible, illimité du vent, des courants marins, du de ce constat d’évidence, certains habitants de l’île ont décidé de se mobiliser et d’agir en constituant en 2013 une société pour passer aux énergies renouvelables, s’affranchir du fioul et gagner l’indépendance énergétique. Mais l’opérateur national qui détient le monopole s’y oppose fortement. La bataille est désormais sur le terrain juridique avec des recours nationaux et entre novembre 2016 et février 2018, cette série de portraits de sociétaires, d’adhérents, ou de simples sympathisants du projet énergie IDSE * veut être une photographie originale d’un groupe de personnes atypiques qui, amoureux de leur territoire, prennent leur destin en main. * IDSE Île de Sein Energie société composée de 66 sociétaires dont 40 îliens En partenariat avec la ville d’Allonnes et la médiathèque Louise Michel L'auteure Christophe Hargoues HORS CADRE 8 JEUNES PHOTOGRAPHES Jusqu'au 6 avril à la MJC Ronceray - Le Mans Chaque année, la MJC Ronceray s'associe aux Photographiques et expose de jeunes photographes prometteurs pour la plupart issus du territoire ou de l'École Supérieure des Beaux Arts du Mans. Hors cadre 8 Edwige Lesiourd ''Antr'eau'' À la MJC Ronceray, Le Mans. L’eau est parout sur Terre, et pourant nulle part elle n’est en tropMa démarche de création macro nature se fait évidemment au cœur de l’environnement et s’inscrit dans une réflexion du rapport de l’homme à son origine de vie qui semble disparaître pour l’un et en danger pour l’autre. L’urgence frappe à la porte mais les discours alarmants et culpabilisants ne semblent pas porter leur fruit. Peut-être est-ce parce qu’ils proviennent de l’extérieur, au lieu de venir de soi ? Le seul levier possible semble alors être d’interpeller autrement la conscience individuelle. Mais si ce n’est pas par une image choc, comment y parvenir ? Il semble délicat aujourd’hui d’attirer l’attention si ce qui est proposé n’est pas extraordinaire ou venu de contrées lointaines. L’exigence ambiante face au déferlement d’images et de films ''extraordinaires'' a été l’une des premières interrogations dans la recherche. La photo macro n’a rien d’originale puisqu’elle existe depuis des années. Et notre regard s’est également habitué à voir de prés. Science du microscopique, recherches moléculaires, etc. Notre œil sait désormais voir de prés, comme de très loin. Suite Edwige Lesiourd Hors cadre 8 Corentin Gaborit À la MJC Ronceray, Le Mans. Lors d’un dimanche après midi de décembre, lorsque je décidais d’aller me balader aux alentours de chez moi, longeant la Sarthe, je me suis arrêté devant les portes de ce cimetière, le cimetière du Grand Ouest. Les drapeaux ottants à l’entrée et l’inscription ''Common wealth'' me donnèrent alors l’envie d’y entrer. Au départ, je me baladais simplement d’allée en allée, l’appareil photo autour du cou, puis j’ai commencé à shooter les croix omniprésentes de ce lieu. C’est alors que je me suis penché sur le carré militaire. J’ai donc commencé à prendre quelques photos de ces tombes de soldats. Je fus alors marqué par certaines tombes comme celle de ce soldat juif au milieu de tous ces allemands, ou encore de ces deux soldats inconnus. Puis, à la manière d’Eugène Smith, j’ai commencé un essai photographique, essayant de capturer les photos parfaites. Je fus alors curieux d’observer que malgré l’ancrage et l’immobilité de ces tombes, l’environnement qui les berce, lui, change chaque seconde. Du ciel aux feuilles des arbres, tout ce décor s’avère être bien vivant. Plus tard, lors de la période de neige au Mans, j’étais dans mon école quand me vint l’idée certaine, à la pause méridienne, de retourner au cimetière afin de capturer ce moment. Arrivé là-bas, tout cet ensemble me semblait encore plus figé, j’ai alors trouvé qu’une certaine poésie se dégageait de ce lieu lorsqu’il était enneigé. Presque obnubilé par ce cimetière, j’y suis ensuite retourné plusieurs fois, tant les histoires de chaque militaire enterré ici me fascinaient, dont la plupart d’entre eux n’avaient d’ailleurs jamais reçu aucune visite. Suite et bio Corentin Gaborit Hors cadre 8 Thibault Pierrisnard À la MJC Ronceray, Le Mans. Je m’inspire dans ces différents travaux photographiques de la pensée qui réunit les deux concepts de ''vide'' et de ''plein'' qui a été traitée par l’académicien Francois Cheng sur l’art pictural chinois dans son ouvrage éponyme. Ces deux concepts se traduisent concrètement dans la peinture chinoise par le ''plein'' comme étant les traits et le ''vide'', cette surface de papier non peint mais qui ne demeure pas inerte. Le vide lie les choses entre elles et permet leur fonctionnement en un tout. L’art picturale chinois a ceci de fascinant qu’il lie complètement spiritualité et geste pictural. Si ces deux concepts me parlent particulièrement, c’est qu’ils mettent des mots sur des impressions que j’ai du réel ; le monde silencieux, neutre malgré toute l’action qui peut se dérouler devant soi... J’avais envie de m’exprimer sensiblement sur cette dichotomie entre un réel ''présent'' à soi et un réel ''cosmos'' qui surpasse notre environnement propre et qui donne parfois à notre action un goût de vanité. Cela rejoint d’autres impressions et pensées comme la lenteur traité par Milan Kundera dans un ouvrage éponyme. Ce n’est pas cependant une pensée triste, bien au contraire. C’est une expression poétique qui m’intéresse en travaillant le medium par différents langages. Pour les trois différents travaux, je ne pensais pas l’image comme devant se suffir à elle-même mais dépendante de son support et de la place physique qu’elle prend au sein de celui-ci comme le peintre chinois pensait aussi bien le sujet qu’il avait devant lui que le monde dans lequel ce sujet prenait place. Suite Thibault Pierrisnard Hors cadre 8 Jin Fangru ''Nouvelles briques de murs anciens'' À la MJC Ronceray, Le Mans. J’ai capturé fidèlement la rénovation des édifices historiques dans les rues de Pékin à l’aide de mon téléphone portable. Cela reflète la problématique de restauration de ces édifices dans le contexte du développement économique rapide de la Chine, surtout dans les métropoles. J’espère également que ces photos susciteront la réflexion des visiteurs. LE MANS Charlotte Auricombe Programme associé du 1er mars au 27 avril, du mardi au samedi, de 9h à 17h au Café Folk, 9 rue du cornet, Le Mans. Ma recherche photographique est une quête de lieux. Une collecte d'images des territoires que je traverse. Si certains se font écho, tous appellent une mémoire. La mémoire des lieux que l'on garde en soi. La façon dont certains viennent nous en rappeler d'autres. Ce lien que l'on entretient au fil de nos vies avec les espaces du souvenir. Le paysage est pour moi une source inépuisable d'émotions qui me permet d'explorer cette relation. Après avoir travaillé sur les chemins de forêt dans le Lot, les feux de forêts dans l'Alt Emporda, les bords de mer en Catalogne, j'explore actuellement deux territoires ; les Pyrénées et les Landes. Vernissage le vendredi 1er mars de 18h à 20h ////////////////////////////////////////// Didier Hamonet & Pierre Fuentes ''Origines'' Programme associé Week-end du 23 / 24 mars, de 14h à 19h. Le Poulpe à vapeur, 114 rue René Béchepay, Le Mans MISE EN SCENE par Dier Hamonet L’ INCONNUE DE LA SEINE est le masque mortuaire d’une jeune femme qui fut retrouvée noyée dans la Seine en 1892. Le carabin qui moula son visage fut fasciné par la séréinité de son expression au sourire énigmatique comme apaisé d’une délivrance mortelle. En photographiant ce moulage Je capte une lumière intérieure appelée à briller, toujours vivante touchant la blessure du temps vivant. Constat du temps qui passe, mystère de la vie, la naissance et la mort, berceau de la vie. Ode à la vie… Ainsi la lumière, la couleur, le cycle des saisons apparaissent à à renouer les liens avec la nature , les éléments, l’eau…Et les rêves. Ce masque mortuaire du siècle dernier est le modèle de différentes séries ''Hier, Aujourd’hui, Demain'', ''Différentes saisons'', ''Aquatique''… C’est un visage que je redécouvre sans cesse le confrontant à lui-même; passages imagés et construits .Alliage des éléments naturels, végétaux ou minéraux. Découpage, montage optique; l’acte photographique est une ''présence'', sentiment étrange, qui m’imprègne. Je conserve une approche noir et blanc argentique mêlant la richesse créatrice du digitale. Composition, alliance. L’allégorie, la couleur, le grain numérique traduisent la volonté de dévoiler plus intensément cette ''présence initiale''. Séduction graphique au premier regard invitant une autre vision plus allégorique. oeuvre unique et intime aguerrie d’un approfondissement quotidien au fil du temps. SUBLIMATIONS par Pierre Fuentes Le sens premier du mot ''sublimation'' est d’ordre physique. La sublimation est le passage d'un corps de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par la fusion ou la vaporisation. Je suis donc parti d’un corps organique que le visiteur pourra à son gré identifier ou non pour le ''dénaturer'' par ce que l’on peut appeler une alchimie photographique qui n’est autre que ce que l’on appelle maintenant la post-production. L’objet photographié est ainsi mis en apesanteur et offre au regardeur un potentiel d’interprétation multiple, il devient une offrande à l’imaginaire. L’autre sens du mot ''sublimation'' est d’ordre psychanalytique. A chacun, là aussi, d’y voir ou non une autre lecture possible de l’image. Vernissage samedi 23 mars à 18h ///////////////////////////////////////// Thibaud Thomas et Jules Le Moal Poses café’’ Programme associé Du 8 au 31 mars. Du mardi au mercredi 9h-19h, du jeudi au samedi 10h-22h et le dimanche 10h-20h. Le Bateau Lavoir Café 105 bis, Grande Rue, Le Mans Cette exposition est née de la rencontre de deux jeunes manceaux passionnés de photographie. C'est au hasard des rues, leur terrain de jeu favoris, que ces deux électrons libres ont lié amitié. Tant de choses les rassemblent, comme cette volontée de témoigner de leur époque à travers la photographie de rue . Vivre avec son temps oui, mais en prenant son temps. Observer, voir, cerner, cadrer, l'exercice n'est pas facile dans cette époque ou la société court à cent à l'heure. Aussi ce n'est pas par nostalgie qu'ils empruntent les outils des maîtres d'un autre temps, en associant à cette curiosité, la photographie argentique. Mais bien parce que cette dernière permet la maîtrise de cette temporalité qui file. Ralentir, se poser, attendre le bon moment, la bonne POSE . Shooter, attendre encore de découvrir l'image au développement, l'oublier entre temps parfois, puis la redécouvrir, la tirer, la révéler. On imagine au travers de cette exposition les conversations de ces deux copains, autour d'une pause CAFÉ au bateau lavoir. L'idée est là, devant eux, se révèle dans les tasses. Voici donc cette exposition alternative et écologique dont les tirages ont été réalisés à la main, avec du cafenol comme révélateur photo. Image Jules Le Moal Vernissage le 8 mars à 19h30 ////////////////////////////////////////// “Il était une fois en Sarthe - Vivre, croire et célébrer à la Belle Époque” Programme associé du 15 mars au 5 avril, du lundi au vendredi de 9h à 18h. Maison Saint-Julien, 26 rue Albert Maignan, Le Mans Exposition de cartes postales anciennes issues des fonds de la bibliothèque diocésaine du Mans et de la collection particulière B La bibliothèque diocésaine du Mans a pour mission de conserver, mettre en valeur et rendre accessible plus de 50000 documents. Au-delà de sa spécialisation en sciences religieuses, elle possède des fonds remarquables de livres anciens du XVe siècle au XIXe siècle et de publications relatives à l'histoire de la Sarthe. Établissement de prêt ouvert à tous, elle souhaite également mettre ponctuellement en avant certaines de ses collections et les présenter à la curiosité d’un large public. L’exposition ici proposée est née d’une rencontre avec un collectionneur passionné par les cartes postales anciennes. À travers 350 clichés, issus de cette collection et de celle de la bibliothèque, elle illustre divers aspects de la vie et de l’environnement des populations sarthoises à l’aube du XXe siècle, dans leur rapport au religieux. En faisant la part belle aux photographes locaux ! Vernissage le jeudi 14 mars à 18h ////////////////////////////////////////// Objectif Image Sarthe “À la campagne” Programme associé du 20 mars au 2 avril. Centre commercial Les Jacobins Entrée côté Office de Tourisme, 13 rue Claude blondeau, Le Mans. Vernissage le vendredi 22 mars à 18h30 ////////////////////////////////////////// Isabelle Gil Les vacances Programme associé du 16 au 26 mars, du mardi au samedi, de 9h à 17h à la librairie Récréalivres, 7 rue de la Barillerie, Le Mans. Vernissage et dédicace le samedi 16 mars à 11h ////////////////////////////////////////// Exposition de photographies de lycéens ATELIER MALICOT Florent Havard, Simon Lagoarde et Jacques Hirn Association Art dans le Vide
Dela même manière, les présidents de la V e République perpétuent à leur façon une tradition de représentation du pouvoir, avec son apparat ou non. De 1958 à nos jours, on peut distinguer deux traditions différentes. La première, classique, représente le président arborant les symboles de sa dignité.
Publié le 08/11/2014 à 0349 Le Verdier a payé un lourd tribut à la guerre de 14-18, comme tous les villages agricoles du pays. Au moment de la mobilisation, 82 jeunes hommes entre 19 et 45 ans sont partis au front, 21 n'en sont pas revenus. La commune comptait environ 400 habitants, ce qui montre la saignée. La municipalité a décidé de commémorer cette page de l'histoire communale dans un esprit de paix et non en exaltation du conflit. Le résultat en est une belle exposition, qui a nécessité un important travail de collecte de documents et d'archives. Les lettres des soldats portent témoignage des craintes et des espérances, de la vie au quotidien, dans la boue de la Somme, dans le froid de l'hiver, la peur dans la mitraille, l'inquiétude pour l'épouse au village et pour les récoltes à rentrer. Le village au cœur Le lien avec Le Verdier n'était jamais rompu, la ferme, le village, les camarades restés à l'arrière étaient toujours présents dans les pensées et les insomnies. Il revient régulièrement à travers les lettres et les colis. La thématique de l'exposition suit la chronologie l'entrée en guerre et la mobilisation, la vie quotidienne dans les tranchées, correspondances et marraines de guerre, la vie au village, le bilan de la guerre. L'inauguration aura lieu dimanche 9 novembre, à 10 h 30, après la commémoration au monument aux morts. L'exposition sera ouverte au public le mardi 11 novembre, les samedis 15, 22, 29 novembre et 6 décembre de 14 h 30 à 17h. Les organisateurs n'ont pas oublié les enfants, avec une exposition à hauteur du regard». Ils pourront entendre sonner le tocsin, feuilleter un album de coloriage de 1914, toucher des casques de poilus, comprendre une affiche envoyée dans les écoles à la gloire de Jean Corentin Carré» et réfléchir à la paix toujours à préserver ou reconstruire.
Expérienceinédite le lundi 12 novembre 2012 au carré militaire du cimetière municipal d'Issy-les-Moulineaux. Les classes de CM2 de l'école élémentaire Anatole France, emmenées par Madame Pacitto et Monsieur Susini, sont venues écouter Monsieur Thierry Gandolfo, conservateur et Frédéric Rignault, président du comité du Souvenir Français, en collaboration avec
quand une main se libère du sol elle invente l’autre main et deux mains apprennent ensemble toutes les autres mains Philippe Païni 2007, p. 123 Les poèmes sont de merveilleux tests pour l’observation de la langue. Pour deux raisons au moins la première tient au fait que les poèmes mettent toutes les grammaires en crise et ne cessent d’inventer des manières de dire et d’écrire qui obligent à observer la langue toujours en discours, toujours en se situant ; la seconde résulte de la première puisque le changement de point de vue sur la langue qu’oblige à faire la lecture des poèmes entraîne du même coup l’habitude à observer toute la langue dans tous les discours autrement qu’on ne le fait d’habitude. Mais ces deux raisons demandent d’abord de changer de point de vue sur ce que font les poèmes et en particulier de cesser de leur faire jouer le rôle de fou du roi, de bouffon du prince ou d’exception à la règle ce que fait la théorie de l’écart qui met n’importe quel poème dans l’écart à la norme quand n’importe quel poème ne fait que montrer du doigt qu’il n’y a que du discours et non de la langue et seulement des points de vue sur la langue et non des vérités. On sait depuis toujours, à moins de mauvaise foi, que les poèmes sont écrits avec le lexique et la syntaxe de tous les discours et inversement. Aucun lexique poétique si ce n’est, comme tout discours, un lexique qui peut faire système on dira alors comme pour tout auteur, voire pour tout locuteur le vocabulaire de Hugo… Aucune syntaxe poétique si ce n’est là encore des inflexions, des tournures, des manières qui feront dire c’est bien du Hugo comme on dit c’est bien de mon voisin ! ». Certes, Hugo a plus fait pour le lexique et la syntaxe que mon voisin, mais il ne s’agit que d’une question d’échelle et non de changement de paradigme, de changement de langue donc, pas de langue poétique et de grammaire afférente ! Continuer la lecture de Observer la langue la grammaire des poèmes → Art du langage, la poésie avec tous ses poèmes comme autant d’œuvres d’art, ne peut que résonner avec les autres œuvres d’art parce que les unes comme les autres sont des activités subjectives qui inventent des manières de vivre en même temps que des manières de dire. Alors des unes aux autres, les passages sont incessants parce qu’elles n’existent qu’en relation un tableau comme un poème ne vivent qu’en passant de bouche en bouche, qu’en s’écoutant – la réciprocité étant ici toujours langagière ! C’est pourquoi tous les arts, quels qu’ils soient, y compris ceux non encore enregistrés dans les genres homologués, peuvent appeler les poèmes. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à brancher » les pratiques artistiques entre elles ou, plus précisément à laisser s’emmêler les arts dans des pratiques qui effectuent des branchements » inédits voir, sur cette notion, Amselle, 2001. Aussi la voix en poésie peut se trouver dans les poèmes de la peinture, de la musique ou de toutes les activités artistiques que l’homme ne cesse de renouveler de la danse au masque, de la photographie aux installations…. Deux manières principales s’offrent aux activités poétiques en classe les pratiques artistiques les plus diverses viennent accompagner les poèmes ou les poèmes viennent accompagner ces mêmes pratiques artistiques. Les va-et-vient pouvant d’ailleurs se rejouer à l’infini… Ces accompagnements trouveraient le plus souvent leurs concrétisations dans le cadre d’anthologies modestes et ambitieuses à la fois. Continuer la lecture de Mêler les arts → Souvenons-nous que, bien souvent, le vrai poème est le livre tout entier dont l’auteur de l’anthologie l’a extrait. […] Ainsi, en nous proposant de rencontrer des poètes et en nous aidant à les lire, une anthologie est là pour nous inciter à aller vers les poètes qui vivent parmi nous aujourd’hui, et écrivent. Les poètes de notre temps, dans la langue qui est la nôtre aujourd’hui, transforment en ce que seul un poème peut dire, ce qui est le plus profond de nous-mêmes, que parfois nous ne connaissons pas, que nous avons besoin de crier ou de taire, et le ciel, et quand l’éclair de l’amour nous traverse. Ils partagent nos inquiétudes, notre désarroi, nos espoirs, et par le langage, dans le langage, les transforment en beauté. Et en confiance. Car écrire, et lire, c’est avoir confiance. C’est toujours transformer le présent en avenir. Bernard Vargaftig, 1993, p. 2. Traditionnellement, la poésie est scolairement lisible sous la forme d’anthologies. Non seulement, les enseignants ne la connaissent le plus souvent que sous cette forme mais également les élèves n’y accèdent qu’à travers elle. Qu’est-ce qu’une anthologie ? Étymologiquement, une anthologie est un bouquet de fleurs, c’est-à-dire un bel ensemble de beaux textes. Cette beauté » double est à considérer plus précisément fragmentaire, l’anthologie n’en propose pas moins un ensemble unifié et la conception que nous avons des anthologies n’est pas forcément la seule qui vaille et qui a valu dans l’histoire des anthologies. En effet, l’anthologie à l’école primaire est devenue un instrument pour l’enseignant qui y puise à sa guise à des fins très pragmatiques qui mettent le poème sous le régime d’une utilisation décontextualisée et donc en fin de compte ignorent l’anthologie elle-même. Ferait exception la pratique de certains enseignants qui laissent leurs élèves choisir dans l’anthologie, réduite alors souvent à un fichier. Mais, historiquement, l’anthologie à l’école a pu recouvrir d’autres usages. Petite bibliothèque choisie et portative constituant un vade-mecum culturel fondamental, elle servait d’abord à l’élève qui s’appropriait ainsi les fondements d’une culture textuelle, en l’occurrence poétique, dans le cadre d’un cursus scolaire qui avait défini les éléments de cette culture. Nous retrouvons ici les caractéristiques d’un genre pratiqué dès l’Antiquité et qui fut au cœur de l’enseignement de la littérature dans toutes les institutions scolaires depuis lors. Toutefois, on sait que les corpus de morceaux choisis qui visaient toujours un degré d’homogénéité assez fort à visée édifiante que ce soit pour des raisons morales ou civiques, sont entrés en crise parce que ces mêmes visées sont elles-mêmes en crise. pensons à la continuité homogénéisante de la langue, de la grammaire, de la religion, de la morale et de la nation… qu’elle fut d’inspiration laïque ou autre et dont on sait qu’aujourd’hui elle est le plus souvent rompue, du moins toujours en débat. Il faudrait cependant préciser que continuité et homogénéisation ne sont pas synonymes. En effet, la pensée du continu des activités humaines que les sciences sociales et humaines » découpent depuis l’Encyclopédie en autant de disciplines » séparées, demande de penser la pluralité. Aussi, la crise du continuum homogénéisant qu’une certaine école républicaine » aurait pu instaurer n’est-elle qu’apparente car, dans ce cadre discontinu d’une pensée des activités humaines, enfantines en l’occurrence, c’est toujours à la fois à la séparation et à l’homogénéisation que nous avons à faire. L’idéologie du discontinu exige même cette homogénéisation des pratiques qui permet d’osciller de l’individualisme au collectivisme selon les moments, les intérêts et les enjeux… Très concrètement, les anthologies d’aujourd’hui mêlent une bonne conscience alter-mondialiste et écologiste thématiques de la différence et des droits de la terre autant sinon plus que de l’homme… et un hédonisme enfantin thématique de l’enfant-roi voire du génie langagier enfantin à travers le ludisme débridé des jeux de mots bien scolarisés. Inutile de donner ici des noms ou des titres mais chacun doit travailler sa lecture pour ne pas laisser faire trop facilement ces séparations homogénéisantes c’est-à-dire consensuelles et donc non-critiques, tout le contraire de l’activité du poème. Il semblerait donc, qu’aux antiques anthologies qui s’imposaient naturellement, on ait fait place à des anthologies dans lesquelles les enseignants comme les élèves butinent à leur guise… C’est ce que les textes officiels rédigés dans la foulée de la rénovation de l’enseignement du français depuis les années 70 n’ont cessé de proposer. Mais cette liberté est fort trompeuse car les enseignants comme les élèves ne lisent plus les anthologies comme des livre. Ils y prélèvent des éléments qui, décontextualisés, perdent leur sens. Aussi faut-il qu’ils le retrouvent en n’en ayant plus les moyens. Car, si les anthologies sont des ouvrages dont les choix peuvent porter à critique, elles n’en restent pas moins des parcours de lecture qui nous sont proposés dans une écriture qu’il n’est pas possible d’ignorer, sous peine de ne pas pouvoir justement en faire une lecture critique, une lecture libre donc. La liberté n’est jamais donnée, toujours acquise… Regard sur une anthologie… Il faut être éditeur en Vendée et originaire de Bourgogne comme Louis Dubost pour réaliser une anthologie thématique sur l’escargot Dubost et Diguet, 1996. Il faut avoir créé une maison d’éditions avec un vers de René Char, Le Dé bleu », devenue récemment L’idée bleue » mais toujours sise à Chaillé-sous-les-Ormeaux en Vendée, pour reprendre au même René Char le titre d’une telle anthologie Fine pluie mouche l’escargot ». Il faut aimer les livres qui emmêlent textes et images comme dans les plus beaux albums pour collectionner autant de petits fragments poétiques et de dessins suggestifs qui nous enroulent dans le temps lent de la lecture et nous emballent dans du papier kraft, s’il vous plaît. Il faut suivre les mots qui font la sagesse des hommes et donc les poèmes-escargots qui font vivre grâce à leur coquille ou à leur trace brillante d’un fragment de sagesse au détour d’un mot, d’un vers ou d’une phrase ». Il faut aimer les poètes les inconnus que cachent des proverbes chinois ou africains, les méconnus, les disparus, les inoubliables et tous les autres. Il faut être éditeur et poète. …vers d’autres anthologies S’il faut du temps pour arriver à ce petit 48 pages, chacun peut s’y essayer plus modestement car nul besoin d’être éditeur vendéen d’origine bourguignonne s’il s’essaie avec un autre animal, légume, fruit ou élément quelconque du monde qui perdra son anonymat puisqu’il deviendra sien. Une anthologie pour agrandir le monde comme celle de Louis Dubost avec Isabelle Diguet qui font d’un escargot un monde en transhumance, un monde porté par les poèmes, les dits et récitations de leurs lectures. L’anthologie est toujours un projet paradoxal puisque dans un même mouvement, elle proclame volontiers sa volonté de faire lire moins et s’affirme comme moyen de faire lire plus. Lire moins en réduisant une œuvre à un extrait suffisant, et lire plus en renvoyant à l’intégralité de l’œuvre » Fraisse, 1997, p. 9. Cet aspect pragmatique qui répond à la double injonction faite à tout lecteur, particulièrement à l’école, de tout lire et bien lire, est doublé par un aspect programmatique puisque l’anthologie est nécessairement écartelée entre la démarche du bilan et celle du manifeste » Ibid., p. 190 l’anthologue est en charge du passé autant que de l’avenir, avec les renversements qu’on pourrait apercevoir entre ces deux termes puisque certaines anthologies rendent au passé un bel avenir quand d’autres feraient le contraire. Et parfois les deux à la fois ! Il suffirait de citer la publication en 1948 de l’Anthologie nègre et malgache de L. S. Senghor, préfacée par Sartre, qui a paradoxalement annoncé l’émergence aux yeux et aux oreilles du public occidental d’une littérature nègre » montrant l’avenir d’un passé et d’un présent enfoui et rejeté, et qui a pour longtemps fixé ces poèmes dans l’ambiguïté d’une assignation racialiste et culturelle soumise au contexte politico-littéraire de la métropole »… Quoiqu’il en soit, l’anthologie est l’œuvre d’un auteur, qui plus est en tant que lecteur. C’est pourquoi elle a tout son prix pour n’importe quel lecteur puisqu’elle est une manifestation créatrice de la lecture et d’un rapport à la littérature » Fraisse, 1997, p. 102. C’est ce rapport qu’il ne faudrait jamais perdre avec les anthologies elles nous ouvrent à un rapport de rapport. Aussi, contre toutes les instrumentalisations, la plus courante étant celle qui consiste à isoler, prélever le morceau choisi, poème en l’occurrence, hors de son contexte anthologique, il faudrait toujours, du moins le plus souvent possible, considérer l’anthologie comme anthologie, c’est-à-dire comme une organisation médiatrice de la littérature avec un ordonnancement et une hiérarchisation reposant sur autant de sélections et de prélèvements que d’oublis et de rejets, avec un appareil critique et de présentation. Autant d’opérations qui, non seulement, font la mémoire et l’oubli de la littérature, mais également, font sa réécriture. C’est à ce point que nos pratiques pédagogiques peuvent se transformer et si nous proposions à nos élèves de devenir anthologues, non seulement, parce que c’est le meilleur moyen de s’obliger à lire des anthologies, mais surtout parce que c’est le meilleur moyen de trouver sa voix en poésie, comme en littérature d’ailleurs. Faire des anthologies c’est tout simplement concrétiser l’histoire de ses lectures en en réalisant la mémoire et en en projetant l’avenir, les potentialités. Faire des anthologies c’est montrer concrètement, quasi matériellement, et certainement de la manière la plus vive, que les lectures sont toujours l’aventure d’un sujet en relation, d’une relation pleine de sujet. Il s’agira donc d’en faire, des anthologies, sous forme de livres mais également de productions sonores et enfin de réalisations qui n’hésitent pas à brancher » les autres pratiques artistiques sur les poèmes et l’inverse. Regards sur d’autres anthologies Auparavant, il peut être tout à fait judicieux d’observer régulièrement les anthologies elles-mêmes. Par exemple, de scruter presque ludiquement les sommaires, d’observer de près les extraits et donc de construire progressivement une culture anthologique qui fasse de son lecteur un critique averti. Non pour reprocher telle ou telle erreur, relever tel ou tel oubli, discuter tel ou tel choix mais bien pour observer le point de vue que construit n’importe quelle anthologie. Observons la table des poèmes » d’un très beau livre où se mêlent poèmes, photographies en noir et blanc et illustrations aux pastels. Si le titre fait jeu de mots, On n’aime guère que la paix, il semble partir d’une double naturalisation dans laquelle les poèmes » sont embarqués. Naturalisation que confirme in fine la quatrième de couverture qui fait office de commentaire pour cette anthologie. L’œil des photographes de l’agence Magnum nous montre la guerre, les pastels de Nathalie Novi nous disent la couleur des jours paisibles et les mots des poètes nous crient que les armes ne doivent plus faire la loi sur la Terre. Un album constitué de bannières de papier pour que les enfants fêtent la paix. Henry, 2003, quatrième de couverture La naturalisation est double puisque l’énonciation du titre on » sembla universaliser un sujet qu’on devine être l’enfant-lecteur de cette anthologie ; mais tous les enfants du monde doivent-ils naturellement se plier à un sentiment aussi consensuel. D’autant plus que la seconde naturalisation est celle de la dichotomie guerre et paix qui empêche de dissocier les guerres et les paix, qui absolutise l’un et l’autre terme quand on sait que des guerres justes peuvent être nécessaires et des paix injustes sont pires que des guerres qu’elles nourrissent d’ailleurs… Sans entrer plus avant dans cette thématisation qui est réduite à cette double naturalisation, on peut concevoir que les poèmes ne peuvent qu’être instrumentalisés. Les mots des poètes … crient que les armes ne doivent plus faire la loi sur la terre » est une réduction des poèmes présents à un slogan, ce que confirme la métaphore des bannières de papier ». Or, les poèmes que rassemblent l’anthologie ne sont pas tous, loin de là, sur le registre du cri et, de plus, beaucoup ne sont pas du tout des hymnes à la paix ». Prenons quelques exemples célèbres qui contredisent cette thématisation-naturalisation. Le poème il y a » d’Apollinaire dont l’anthologie nous livre seulement qu’un extrait alors même que le livre fait preuve d’inventivité pour augmenter la dimension des pages en jouant des pliages. Pourquoi donc ne pas donner tout le poème d’Apollinaire qui ici perd sa force et perd justement sa force problématique où l’amour et la guerre s’emmêlent dans une redoutable réflexion et surtout un rythme totalement neuf ? Notons que les lignes d’Apollinaire sont transformées en pseudo vers libres. Et Il y a » suit de près un poème intitulé Merveille de la guerre » ! Certes, il y a de l’antiphrase dans ce titre mais il fait litanie en lançant Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit »… car Apollinaire dans son écriture-vie essaie de penser la fascination qu’on sait, chez les enfants aussi, pour la guerre. Si le poème de Robert Desnos, La voix », est un poème particulièrement fort – nous y reviendrons dans le chapitre suivant – il aurait été préférable de donner le poème Ce cœur qui haïssait la guerre » dont le premier vers est explicite et dont la fin situe précisément l’enjeu Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille ! / […] Révolte contre Hitler et mort à ses partisans ! / […] Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit » Desnos, 1999, p. 1246. Car ce que doit une anthologie à ses lecteurs, c’est l’historicité des poèmes. Et dans cette anthologie, tout est presque effacé les dates des poèmes voyez la bibliographie incomplète de la table alors même que les photographies sont légendées par conflits et souvent datées – mais là également, l’information reste rudimentaire 1994 Rwanda – Tutsis fuyant les massacres ». En fin de compte, si cette anthologie avait confronté des poèmes contemporains aux conflits, on aurait cherché les échos réciproques avec photographies et illustrations mais les poèmes vont de Victor Hugo à Jean-Pierre Siméon et parsèment ce parcours poétique français » de quelques poèmes d’origine étrangère allemand, turc, vietnamien, italien, sénégalais, cubain, bosniaque, israélien et palestinien. Aussi l’anthologie demande toujours la critique. Elle demande toujours à son lecteur une lecture critique, c’est-à-dire l’historicité de sa lecture, l’engagement que le poème ouvre dans sa multiplicité interne voyez Apollinaire et ses poèmes de guerre et d’amour et externe que de poèmes de par le monde !… Il y a des anthologies indispensables. Réunir seulement dix poètes pour un siècle, c’est certes peu mais suffisant pour bien connaître par la traduction des poèmes que des millions d’enfants russes, aujourd’hui encore, connaissent pas cœur » quatrième de couverture de Anthologie de la poésie russe pour enfants, 2000. Placés sous la tutelle du grand poète Ossip Mandelstam qui demandait de ne lire que des livres d’enfants… », cette anthologie est passionnante car elle est à la fois érudite l’introduction mais aussi la présence de poètes que peu connaissent en France même parmi les spécialistes et immédiatement lisible par tout un chacun. Les poèmes y sont vraiment des poèmes pour enfants sans aucune afféterie ou démagogie, résultant bien plutôt de ce qu’une autre grande poète russe, Anna Akhmatova, disait de la littérature russe du XIXe siècle dont se sont emparés les enfants et que l’on pourrait appliquer à ce XXe siècle russe moment unique et magique grâce auquel un pont fut jeté entre la poésie et les enfants ». Suivre cette anthologie c’est forcément la lire comme un livre. Un livre d’histoire d’abord même si l’on ne s’intéresse pas à l’histoire russe, on peut suivre lentement mais avec une grande proximité une histoire du regard sur l’enfance ou peut-être même du regard des enfants… et puis il y a dans cette anthologie une leçon de français à nulle autre pareille LEÇON DE FRANÇAIS Il y avait Dans la rivière Un gros brochet Qui savait se taire En français. Les canards Si bavards, Les hochequeues Si curieux Lui demandaient Cher ami, cher brochet, Taisez-vous un peu En français. » Et le brochet Se taisait, Se taisait tout le temps En pur français. Poème de Roman Sef, dans Anthologie de la poésie russe pour enfants, 2000, p 133 Fabriquer des livres Pour s’engager à lire des anthologies, il faut en écrire. Mais, dira-t-on, la tâche est hors de portée des enfants, de nos élèves, de nos classes déjà si pauvres en poèmes… À moins de considérer l’anthologie dans ses rudiments qui en font les fondements et alors la taille ne sera plus qu’une question d’habitudes construites, d’apprentissages réguliers et d’activités adaptées au bon moment. Il suffit de s’habituer déjà à consigner dans un carnet de lecture sur une seule page quelques fragments de chaque livre de poèmes lus en classe. Ces fragments choisis librement par chaque élève et recopiés proprement, illustrés à l’occasion et pourquoi pas titrés voire commentés, constituent de rapides et courtes anthologies qui, chemin faisant, feront une grosse et longue anthologie pour chaque élève au bout d’une année voire d’un cycle si l’on conserve le même support ou l’additionne dans une collection de cahiers, et pourquoi pas, de petits livrets réalisés à l’occasion. Manière de poursuivre le cahier de poésies » en le transformant radicalement… sans en avoir l’air ! Au-delà, des projets anthologiques moins rivés aux lectures successives peuvent voir le jour à propos d’activités qui auraient pour origine d’autres domaines voire d’autres disciplines. Ce projet anthologique regroupant des fragments poétiques pris à des ouvrages les plus divers en privilégiant toutefois les ouvrages littéraires et les livres de poèmes demande quelques recommandations qui suivent les étapes d’un tel projet 1. La première étape est celle de la collecte pendant laquelle tout fragment relevé pour son intérêt doit être toujours bien référencé – que ce soit avec des post-it de couleur ou la photocopie ou mieux le copiage. Cette étape peut s’appuyer sur des moments de lecture libre pendant une quinzaine de jours. 2. La seconde étape est celle du montage et de la présentation anthologique pendant laquelle un sommaire s’organise, des critères de classement et de présentation se génèrent et enfin une présentation se trouve. Cette seconde étape demande deux ou trois séances pour que le montage ait le temps de se discuter y compris personnellement car il peut-être bienvenu de réaliser des anthologies à plusieurs même si l’anthologue doit, à un moment donné, se retrouver seul face à la tâche. Quoiqu’il en soit, les critères d’organisation doivent apparaître dans le sommaire voire dans les titres et intertitres organisation chronologique ou thématique voire alphabétique ; enchaînement par opposition, par proximité, etc. Ces anthologies ne doivent pas être démesurées pour de jeunes élèves un petit quatre pages inséré dans une couverture avec un sommaire peut d’abord suffire ; l’élève qui désirerait un huit pages est bien entendu libre… Quelques exemples de projets anthologiques Anthologie d’un poète, d’un groupe poétique, d’une époque, d’un pays… Anthologie thématique arbre, branche, forêt… ; soleil, lune… Anthologie notionnelle type de vers, de strophes, de rimes, de présentations sur la page… Fabriquer une anthologie avec une feuille A4 Couverture du livre d’Eric Sautou, Un Oursin, le farfadet bleu », éd. L’Idée bleue, 2004. Prendre une feuille A4 et la plier en 4 Découper en deux la feuille et obtenir un petit livre de 8 pages. Réaliser la couverture auteur, titre, éd. Commencer l’anthologie extraits du livre de Sautou référencés avec la pagination ; ne pas oublier une dédicace éventuelle sur le revers de la première de couverture. Continuer l’anthologie. les deux pages centrales permettent des chevauchements. Finir l’anthologie sur la page 6 et réaliser un sommaire en page 7 ici, c’est un index qui reprend la liste des arbres et plantes. Rédiger une quatrième de couverture. Réaliser des enregistrements Ce que la poésie impose à la littérature c’est la voix. Ce que la poésie demande au langage c’est d’entendre la voix. Ce qui implique bien entendu de considérer la voix physique, c’est-à-dire du point de vue de l’acoustique mais à condition de faire de la voix autre chose qu’une simple réalité biologique voire psychologique l’enjeu est encore plus important. Considérer la physique de la voix c’est, en passant par l’acoustique, donner toute sa place à une physique du langage et donc ouvrir les voies d’une écoute de la voix dans et par le langage, tout le langage et pas seulement son acoustique. C’est seulement à la condition que cet enjeu soit pleinement pris en compte et sans cesse redynamisé que les pratiques sonores avec la poésie s’ouvriront sur cette écoute qui est certainement plus l’invention d’un organe oreille intérieure ? et d’un sens écoute interne ? que l’utilisation d’un sens entendre avec un organe l’oreille porté à son maximum d’efficacité. Mais cela peut passer par son exercice qui n’est certainement pas assez pratiqué si ce n’est lors des activités musicales, ce qui n’est pas négligeable mais qui est totalement insuffisant pour le langage. Au chapitre Argot qui pleure et argot qui rit » du livre septième, L’argot » de la quatrième partie du roman Les Misérables de Victor Hugo, on peut lire ceci Mirlababi surlababo Mirliton ribon ribette ; Surlababi mirlababo Mirliton ribon ribo Dans ce même septième livre Victor Hugo écrivait significativement Apprendre à lire, c’est allumer du feu ; toute syllabe épelée étincelle. C’est ce qu’on recherche ici que les syllabes épelées étincellent… pas forcément toutes mais au moins quelques-unes parce qu’elles vont alors résonner de l’étincelle du poème qui mettra le feu à toute la plaine, à tout le langage. Et on apprend dans le roman de Hugo que ce court refrain quatrain se chantait en égorgeant un homme dans une cave ou au coin d’un bois » ! Le narrateur hugolien précisait auparavant ceci On retrouve au dix-huitième siècle dans presque toutes les chansons des galères, des bagnes et des chiourmes, une gaîté diabolique et énigmatique. On y entend ce refrain strident et sautant qu’on aurait dit éclairé d’une lueur phosphorescente et qui semble jeté dans la forêt par un feu follet jouant du fifre […] Les développements qui suivent sont de la plus haute importance quant à la congruence de l’éthique et du politique le sens révolutionnaire est un sens moral » ; et le livre sur l’argot s’achève sur la comparaison forgée à propos de notre comptine-refrain Faut-il continuer de lever les yeux vers le ciel ? le point lumineux qu’on y distingue est-il de ceux qui s’éteignent ? L’idéal est effrayant à voir ainsi perdu dans les profondeurs, petit, isolé, imperceptible, brillant, mais entouré de toutes ces grandes menaces noires monstrueusement amoncelées autour de lui ; pourtant pas plus en danger qu’une étoile dans les gueules des nuages. La lecture à voix haute par le moyen de l’enregistrement serait cette étoile d’utopie car, on le sait fort bien, la lecture à voix haute est difficile mais ce qu’on espère c’est que dans les gueules des nuages » que sont forcément les ratages, les bafouillages, les silences et les bruits de toute mise en voix dans la classe, s’apercevra le point lumineux » de la voix irremplaçable, celle qu’on se doit d’entendre dans sa fragilité même, dans ses essais. L’argument premier de la nécessité d’une vocalisation des textes poétiques est celui qui ouvre la lecture à une appropriation par la voix haute. Il suffit de rappeler qu’historiquement la voix haute a précédé la lecture silencieuse d’une part et, d’autre part, de souligner combien la vocalisation des textes constitue, pour le moins, une première et décisive appropriation. Non seulement, des pans entiers de la compréhension et de l’interprétation peuvent et doivent passer par de telles activités, mais l’oralisation est une incorporation qui permet que le texte porte son lecteur autant qu’il le porte. En effet, un texte s’il fait œuvre et encore plus s’il fait poème est un opérateur anthropologique qui transforme le lecteur voire transporte, au point de modifier indissociablement ses affects et ses pensées, son corps comme son langage, sa vie comme le monde. Même si ces changements paraissent minimes, l’essentiel est qu’ils soient réels ; qu’ils soient parfois même imperceptibles prouverait qu’ils en sont d’autant plus probants car hors de tout contrôle, hors de toute maîtrise. La chair de poule, le vertige, la sueur… ne se maîtrisent pas plus que les œuvres qui les font venir au corps. Sans parler de la mémoire involontaire, du moins, de ce travail qu’un poème fait durablement à un corps dans son indissociabilité avec l’esprit voire avec l’âme… restons avec Hugo et les derniers mots des Misérables LIVRE NEUVIEME SUPRÊME OMBRE, SUPRÊME AURORE […] VI L’HERBE CACHE ET LA PLUIE EFFACE Il y a, au cimetière du Père-Lachaise, […] une pierre. […] Cette pierre est toute nue. On n’a songé en la taillant qu’au nécessaire de la tombe, et l’on n’a pris d’autre soin que de faire cette pierre assez longue et assez étroite pour couvrir un homme. On n’y lit aucun nom. Seulement, voilà de cela bien des années déjà, une main y a écrit au crayon ces quatre vers qui sont devenus peu à peu illisibles sous la pluie et la poussière, et qui probablement sont aujourd’hui effacés Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange. Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange ; La chose simplement d’elle-même arriva. Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. Le monumental fait place ici au movimental » aux inscriptions gravées dans le marbre, il est préféré la nudité d’une voix qui a retenu en quatre vers » toute une vie et bien plus toute une relation. Et encore bien plus tout un poème qui porte tout l’univers dans le plus banal événement. C’est que dans cette voix les finales de vers en particulier s’entend non seulement le nom Valjean mais s’entend aussi son infinie résonance. La vie, la voix, comme la nuit se fait ». Enregistrer sa voix régulièrement, telle serait la première activité qui viendrait comme éprouver cette physique du langage que les rencontres avec les textes poétiques obligent à construire, à vivre. Deux solutions très simples le permettent dans toutes les classes aujourd’hui. Chacun sa bande-son… La première solution est ancienne chaque élève possède une cassette sur laquelle il enregistre au magnétophone régulièrement des fragments de textes lus ou récités. La seconde solution est plus récente chaque élève ouvre un dossier personnel d’enregistrement avec un logiciel adapté sur l’ordinateur de la classe, de son groupe… Tous à l’écoute La contrainte dans chacun de ces cas, c’est d’archiver les enregistrements. L’enjeu didactique qui repose sur cette pratique régulière d’enregistrements, consiste à organiser de temps en temps des moments d’écoute critique soit individuels soit collectifs petit groupe ou classe entière. Dans le cahier poésie ou littérature, chaque élève note ce qu’il a écouté et rédige un court commentaire. L’enseignant peut fort bien préciser les consignes d’écoute et donc de prise de notes. Il peut également organiser de courts débats avant la prise de notes quand l’écoute se fait en petit ou grand groupe. … vers des anthologies sonores publiques Au-delà de cette activité régulière, d’autres modes d’enregistrement peuvent être réalisés afin d’effectuer des montages de voix, de textes et/ou de sons comme autant d’anthologies sonores mises ensuite à la disposition de tous BCD, classe de correspondants, familles, site Internet…. Il y a des poèmes de prédilection pour les enregistrements les comptines, en premier lieu, mais également les poèmes dits illisibles à voix haute. On comprendra aisément qu’entre ces deux pôles, tous les poèmes peuvent donner lieu à enregistrements, à anthologies sonores. 1. Des comptines Si tous les textes peuvent passer par la voix enregistrée, on peut aussi aller droit vers ceux qui obligent à trouver une voix qu’on ne savait pas qu’on avait… Les comptines sont souvent réservées aux élèves du cycle 1, en confier aux élèves des cycles 2 et 3 permettrait d’une part d’ouvrir le répertoire et d’autre part de saisir cette physique du langage qui est forcément à l’œuvre avec les comptines. Au niveau du collège et dès le cycle 3, l’introduction des chansons » dans le corpus devrait problématiser ce qui perdure de la comptine à la chanson. Pensons, entre autres phénomènes plus ou moins récents, au rap et au slam voir Lecture jeune, n° 115. Il y a des traditions multiples qu’il ne faudrait jamais perdre de vue et que des références toujours vives aux plus vieilles chansons » de nos répertoires devraient nourrir, et il y a également dans une actualité qu’il faudrait toujours saisir pour rester vigilant et à l’écoute ce qui n’est que répétition ou au contraire heureuse reprise, vraie réinvention. Voilà une piste d’anthologies sonores qui ne peuvent se faire qu’en tâtonnant, en cherchant ce qui, dans les voix enregistrées, continue, résonne, fait écho, renverse ou encore fait entendre à neuf. Ce poème de Robert Desnos met la voix dans une ronde non seulement par ses rimes qui tournent mais également par sa métrique 4x huit-syllabes puis 4x cinq-syllabes qui oblige à faire entendre ce déhanchement du pair à l’impair avec une accélération que renforcent les attaques finales qui imposent une sur-accentuation jusqu’à presque prononcer l’envoi ainsi Et salut tout l’monde » La sardine Une sardine de Royan Nageait dans l’eau de la Gironde ; Le ciel est grand, la terre est ronde, J’irai me baigner à Royan Avec la sardine, Avec la Gironde, Vive la marine ! Et salut au monde ! 2. Des textes impossibles à dire Si les comptines et autres textes de chansons » semblent faciles à dire et donc peuvent et doivent constituer le premier fonds des anthologies sonores, ne serait-ce que pour conserver en vie ce fonds immémorial ou largement partagé, d’autres textes devraient paradoxalement venir constituer un fonds propice aux anthologies sonores ceux qui semblent justement impossibles à dire ! Commençons par un exemple ! ôrondElune,co mment flottronDe plus que roNdees-tu ; tou te &rOnde plus dor éeque Rond issime ? E. E. Cummings, 2002, p. 68 Enregistrer ce texte dans une anthologie sur la lune, par exemple à côté de Moi, j’irai dans la lune » de René de Obaldia 1969, c’est chercher ce que fait un tel poème autrement qu’en rimant en fin de vers lune » avec fortune » ou qu’en comptant six syllabes. Mais alors que fait un tel poème qu’on a peine à faire entendre ? Il nous force à augmenter l’écoute, à chercher cette écoute dans des dimensions inhabituelles. Et cela demande autant d’essais que de bredouillages, de dérapages, de bégaiements. Mais, de l’exclamation à l’interrogation, des coupes incongrues de vers, de mots, de lettres aux incises entre parenthèses, peut s’entendre une voix qui nous fait voir une lune jamais vue dans le halo lunaire… Mais l’impossible à dire c’est certainement le silence et l’orientation première que toutes les anthologies sonores réalisées à l’école jusqu’en troisième devraient concrétiser, c’est bien celle de faire entendre les silences des poèmes qui résonnent de tout ce qu’ils ne peuvent pas dire et qu’ils disent si fort à leur insu et à notre insu. Il ne s’agit pas alors d’enregistrer des silences comme on ferait en musique mais de laisser venir à force d’écoute dans le travail de la voix enregistrée et des poèmes dits à voix haute, des uns aux autres, dans ces anthologies, de laisser venir le silence du poème, c’est-à-dire sa force insoupçonnée, son inconnu qui est aussi notre inconnu, l’inconnu de notre diction, de notre lecture. Prenons un exemple qui demande, grâce aux enregistrements, autant de reprises que de tentatives LE CÔTÉ BLEU DU CIEL Les bancs sont prisonniers Des chaînes d’or du mur Prisonniers des jardins où le soleil se cache Près de la forêt vierge De la prairie étale Du pont qui tourne à pic Dans l’angle le plus froid La boîte des nuages s’ouvre Et tous les oiseaux blancs s’envolent à la fois Tapis plus vert que l’eau plus doux que l’herbe Plus amer à la bouche et plus plaisant à l’œil Les arbres à genoux se baignent L’air est calme et plein de soleil La lumière s’abat Le jour perd ses pétales Plus haut c’est tout d’un coup la nuit Les regards entendus Et le clignement des étoiles Les signes Par-dessus les toits Pierre Reverdy, 1967, p. 275 Ce poème de Pierre Reverdy semble ajouter statiquement des éléments de paysage alors qu’au contraire c’est un mouvement d’élévation de libération ? qui progressivement met en branle tous les éléments d’une rêverie certes mystérieuse mais active au plus haut point jusqu’à se fondre au cosmos. C’est ce continu, au-delà du silence, qu’il s’agit de rendre actif dans la respiration toute retenue d’une lecture. Celle-ci ne peut se contenter d’accumuler des éléments informatifs mais doit chercher cette voix silencieuse qui la porte vers le côté bleu du ciel ». Aucune recette ni technique ne peut venir à bout d’une telle recherche. Elle demande le temps d’une écoute la plus vive qui soit entendre dans la voix enregistrée ce qui trouve ce continu, ce qui fait entendre même à peine ce côté bleu du ciel », voilà l’objectif de telles anthologies sonores qui incluraient aussi des textes impossibles à dire… Continuer la lecture de Multiplier les anthologies → Il y a donc les séquences qui permettent de vivre avec des œuvres pour faire œuvre, des rituels qui construisent des habitudes d’écoute et d’attention vers les poèmes et, enfin, des projets qui vont accroître le continu du poème à la vie sous l’angle de la fête ou de la rencontre. Moments d’exception mais moments indispensables pour que les rituels et les séquences prennent sens, se ressourcent à des dynamiques où la surprise et la jubilation, l’aventure et le hasard, l’attente et la coopération jouent multiplement pour chacun. Nous avons surtout veillé à faire rentrer les poèmes dans la classe, à ce que les élèves, tous les élèves, puissent avoir les moyens de grandir leur écoute du poème dans des activités variées au cœur de leur scolarité. Aussi, faudrait-il envisager le mouvement inverse pour que le continu de la vie s’entende dans les poèmes sortir les poèmes de la classe, du moins tester que les poèmes tiennent face à la vie, toute la vie, celle qui parfois ne peut rentrer dans la classe… Mais également faudrait-il sortir de la classe pour rencontrer des personnes, poètes ou pas, qui disent vivre le poème dans leur vie. Ces projets n’ont pas pour ambition de produire » des résultats qui devraient immédiatement plaire à quelque institution culturelle encadrant de ses fonds des activités contrôlables ou à tel public avide de trouver la poésie sans travailler son écoute du poème et son attention au langage. Il ne s’agit pas non plus d’y développer un plaisir » qu’on n’aurait pas eu dans les rituels et les séquences pendant lesquels le travail » aurait été de rigueur, auquel cas ces activités n’auraient pas pu engager les élèves dans une dynamique de subjectivation dans et par le langage, dans une dynamique qui en fait un sujet de ses apprentissages. Il s’agit bien de poursuivre en risquant une ouverture maximale le risque des rencontres, des lieux, des moments et des personnes auxquels on n’est pas habitué. Sortir les poèmes de la classe Les manières de sortir » les poèmes de la classe sont multiples et chacun trouvera dans les circonstances qui sont celles de sa classe les modalités concrètes voire les idées pertinentes qui feront que les poèmes, quand ils ont engagé leurs lecteurs, ne peuvent que devenir des opérateurs de rencontres et de manifestations les plus diverses, en inventant même de nouveaux modes de diffusion. Si tous les supports sont à explorer, ce sont souvent les poèmes eux-mêmes et les lectures qui ont permis leur appropriation, qui exigeront tel ou tel support. Que les supports soient donc faits de papier ou de virtualité, ils ne sont que le prolongement d’un geste initié dans la classe et qui demande de devenir un geste pleinement relationnel, de devenir réciprocité. Des échanges entre classes, des rencontres régulières entre groupes d’élèves, des espaces d’échange régulièrement renouvelés, des moments privilégiés dans le calendrier scolaire, autant de modalités que les enseignants connaissent bien et que les enfants apprécient toujours pour que les poèmes tiennent leurs promesses de lanceurs relationnels. Nous proposerons ci-après deux modalités peut-être plus originales mais, rappelons-le, ces sorties » du poème ne sont que le prolongement obligé d’une activité qui est au cœur du poème et de sa réénonciation, l’infini de son activité sous peine de ne plus être un poème. Cet inaccompli n’exige aucun défi autre que celui qui fait que le poème engage à sortir de ce qui est son confinement à quelque assurance que ce soit, donc à risquer sa valeur et nous avec elle. Envols poétiques Le poème est d’abord un appel à entrer en relation, à trouver l’inconnu. Que des cerfs-volants soient porteurs de ces appels signerait dans l’air et le vent cette activité de tout poème traverser l’espace pour inventer une relation. On peut varier les propositions mais la collection Petits géants » des éditions Rue du monde nous en suggère une faire monter dans le ciel de la cour de récréation un poème sur plusieurs cerfs-volants comme chacun de ces petits livres offre un poème découpé en autant de doubles-pages qu’en compte l’album carré. Celui qui nous semble le plus adéquat pour toucher du doigt cette proposition est illustré par Antonin Louchard avec le poème de Paul Eluard qu’il publia dans son livre issu d’émissions radiophoniques réalisées en 1949, Les Sentiers et les routes de la poésie. Ce poème et sa mise en livre font ce projet d’envols qui suit le vent de la comptine en boucle où tout un monde est parcouru et contenu dans l’air de son récitatif ; de la même manière, les illustrations de Louchard cherchent cette légèreté, trouvent cet envol qui renverse. C’est comme ce jeu enfantin où l’on aime voir le monde à l’envers. Paul Eluard, Antonin Louchard ill., Dans Paris il y a…, coll. Petits géants », Rue du monde, 2001. Publicités poétiques Disperser les poèmes des fragments de poèmes dans des lieux insolites, là où on ne les attendrait pas, permettrait de suggérer ce que les poèmes nous font. Ils nous refont parce qu’ils nous changent le monde. Cette dispersion peut prendre de nombreuses modalités parmi lesquelles la plus simple consiste à utiliser les voies de la publicité si prégnante dans notre société contemporaine. Apposer des post-its dans des endroits inhabituels mais stratégiques de l’école, voilà qui interpelle le passant, crée même des itinéraires nouveaux… À partir du livre de Daniel Biga, La Chasse au haïku 1998, les élèves mettent le livre en confettis et dispersent leurs post-its dans toute l’école en cherchant à réaliser des jeux de pistes qui recomposent les itinéraires qu’ils ont découverts dans le livre. Lequel était organisé en chapitres » En ville » ; l’atelier des écritures » ; le jardin » ; en montagne » ; des animaux » ; l’hiver » ; neige ». Ci-dessous un parcours sans titre réalisé par un jeune lecteur, qui commence au matin et finit en rêve… bonne journée ma chérie ‑ au-revoir mon amour rendors-toi aucun livre ne vaudra jamais une journée heureuse le haïku je le pratique comme la promenade quotidienne lettre du jour je lis puis ça se brouille les larmes aux yeux Abed a dit “quand la tristesse se présente accueille la tristesse” dans la chaleur animale des WC boite à rêves sur la table l’ombre de la main qui écrit après le genou qui gratte c’est le nez qui démange dans la salle silence d’or écriture d’argent au carrelage du mur répondent les carreaux du sol derrière le mur résonnent des voix sans corps la parole est au cœur du silence ceux qui m’entourent ceux que je vois autour sous l’écharpe se cache une gorge frileuse la mouche dans mon oeil nul autre ne la voit qui je suis ici et maintenant n’a pas de visage parfois je me demande comment me voient les oiseaux ? mon ombre passe merci à la terre comme au ciel ni pensée ni souci ouvre la fenêtre du jardin plein de pensées plein de soucis je me penche tout en bas sur le lac une minuscule silhouette me regarde le nuage gris dérobe une portion du caviar lacté je fais un détour pour ne pas déranger un moineau picorant vent redoutable je m’achète une écharpe d’hiver plus haute que moi neige au matin je pense aux poireaux du jardin ce soir je m’endormirai la neige sous mes paupières Il y a bien sûr la modalité opposée aux confettis poétiques l’agrandissement démesuré du poème ou d’un fragment sur un mur, sur une banderole… agrandir au maximum un court fragment et poser à proximité le poème en entier mieux le livre dont il est extrait. Exemple Cachecachecachent psst pssit petites chosesfantômes en catimini clins-d’yeux-mini petites agitées sorcières et tintinabulantes lutines à tu et à toi à tu et à toi petites hop-hop heureuses flatteuses en flanelle flanelle petites gratteuses souriquoises aux yeux qui se carapatent crissent et courent et cachecachecachent droppent droppent guettant la vieille femme avec une verrue sur le nez ce qu’elle vous fera nul ne sait car elle connaît le diable ooh le diable ouh le diable aah le grand et vert danseur de diable diable diable diable huiiIII poème de E. E. Cummings, traduit par Jacques Demarcq dans Contes de fées, 16 poèmes enfantins, Clémence hiver éditeur, illustration de Macha Poynder, 2002, p. 62-63 La complexité revendiquée de la poésie de Cummings est aussi, avec de tels poèmes, la revendication de sa part enfantine qui est aux antipodes du simplisme l’amour produit de l’inconnu, c’est sa fonction », disait ce poète dans un sonnet. Et les 16 poèmes que ce grand poète américain a rassemblés à la fin de sa vie font comme un hommage aux lectures enfantines de la poésie la plus difficile, puisqu’elle font un autoportrait voir la postface écrite par le traducteur, lui-même poète, Jacques Demarcq plein de confiance dans la relation que lance le poème de lectures en lectures. Réénonciation continue de l’écriture toujours en mouvement et qui trouve son sujet, comme dit le distique final du troisième poème Car quoi qu’on perde comme un moi ou un toi c’est toujours soi que dans la mer on trouvera p. 54 Rencontrer les poètes On ne peut pas nier que la rencontre avec un écrivain participe à la fois de la désacralisation et de la valorisation de la littérature un écrivain est un homme ordinaire… dont l’œuvre nous fait des choses extraordinaires. Ou alors, cet écrivain est un faiseur et son œuvre est une mystification , ce qui est malheureusement parfois le cas ! Aussi, est-il tout à fait judicieux d’organiser de telles rencontres les élèves sont souvent partie prenante à condition qu’aucune démagogie spectaculaire ne vienne altérer la qualité d’une rencontre comme on peut en avoir beaucoup d’autres – avec tel voisin » de l’école qui vient partager son expérience de vie ou de travail… Suivent deux modalités complémentaires de ces rencontres. La première répond à un souci d’ancrage dans le temps d’une rencontre qui doit certainement garder son caractère d’événement mais qui exige qu’on la prépare, la poursuive. De plus, la rencontre avec un poète peut très bien ne pas être possible si ce dernier ne le souhaite pas, ne le peut pas, mais la correspondance peut venir la rendre vive à sa façon. Correspondances poétiques Odilon Redon, illustration pour les Fleurs du mal de Baudelaire Engager une correspondance avec un poète est une modalité forte de la rencontre que ce soit donc pour sa préparation ou son prolongement mais également pour tout simplement l’assurer et l’ancrer dans l’écriture elle-même – qu’elle prenne la forme d’écrits ou d’enregistrements, d’envois d’objets divers photographies, livres…. Une telle correspondance ne doit pas rester formelle et de simple politesse. La correspondance engage vraiment chacun dans une relation qui s’appuie sur la lecture. Chaque lecture celle des œuvres comme celle des lettres va demander une écriture et donc une meilleure écoute de ce qu’on a lu puisque l’écriture épistolaire demande de reformuler toujours avec l’autre. L’épistolaire oblige à relancer à chaque échange et donc à remettre sur le chantier sa lecture puisque l’échange avec un poète ne peut s’engager qu’à partir des lectures. Car il n’y a pas à chercher une vérité de son écriture dans le discours du poète qui détiendrait une vérité quelconque qu’elle soit prise à l’anecdote biographique ou à la révélation d’un procédé quelconque de fabrication mais plutôt à poursuivre dans la relation épistolaire ce que fait l’œuvre à son auteur comme à son lecteur l’échange de cette recherche augmentant certainement ce que l’œuvre fait à chacun. Chaque élève peut écrire au poète, y compris dans des formes qui ne sont pas forcément canoniques, et si ce dernier ne répond pas à chacun – ce qui serait certainement beaucoup trop lui demander –, sa réponse au collectif classe saura entendre chacun et donc répondre à chacun dans les inflexions de sa lettre. Si l’enseignant ne sait pas où adresser la correspondance, rien n’est plus facile il suffit d’écrire à l’éditeur qui saura transmettre le courrier, ce qui signalera d’ailleurs que cette correspondance est partie de la lecture du livre publié chez cet éditeur ! Car pas de correspondances sans lectures il ne s’agit pas de jouer à la rencontre mais de la jouer à partir de ce qui seul peut la nourrir les poèmes et leurs lectures. Rencontres poétiques La Poésie à plusieurs voix. Rencontres avec trente poètes d’aujourd’hui, préface de Jean-Pierre Siméon, coll. Le Français aujourd’hui », Paris Armand Colin, 2010, 264 p. Un jour alors peut arriver qui permettra une rencontre de vive voix échange de regards et surtout de voix, c’est-à-dire d’écoute les yeux dans les yeux. Moments parfois magiques, souvent décevants mais toujours marquants quand le poème est passé dans les voix comme dans les yeux ou encore un geste, une inflexion minuscule, un sourire même. Il faudrait conclure sur la nécessité de varier de telles rencontres dans le domaine qui nous concerne ici. Cela demande de concevoir le continu des rencontres avec un poète, avec d’autres personnes œuvrant chacune dans un domaine précis mais toutes engagées par et dans le langage. C’est alors que la rencontre jouera son rôle montrer la force du langage parce qu’elle est l’éthique de la relation quand elle devient poème-relation. Et cela, un poète est en devoir de le faire mais quiconque peut le réussir. Alors chaque élève comprendra qu’il n’y a pas de rencontres plus grandes » que d’autres parce que le partenaire de la rencontre est reconnu avant puisque célèbre ou médiatisé. Les rencontres sont grandes » parce que le partenaire nous engage à y être grands », plus grands que nous sommes, dans une réciprocité certaine. C’est d’ailleurs ce que font les poèmes quand ils sont poèmes nous faire plus grands dans et par le langage avec les autres car la grandeur ici n’est pas celle qui se mesure à l’aune d’une comparaison avec les autres mais avec soi en relation. C’est aussi tout l’enjeu de n’importe quelle activité avec les poèmes les pratiques que nous venons de suggérer n’ont pour finalité que cet agrandissement qui est aussi la condition d’un apprentissage langagier et littéraire conséquent. Avec les poèmes, les activités scolaires mettent l’enfant en mesure de connaître et de grandir à la fois. il peut alors porter ce beau nom d’élève puisqu’il est pris dans une démarche d’élévation. Par une comptine, l’enfant saute à pieds joints par-dessus le monde sur mesure dont on lui enseigne les rudiments. Il jongle délicieusement avec les mots, et s’émerveille de son pouvoir d’invention. Il prend sa revanche, il fait servir ce qu’il sait au plaisir défendu d’imaginer, d’abuser. Paul Eluard 1954 Pour conclure sur l’ensemble de ces rituels voir les billets précédents, il faudrait repartir du plus célèbre d’entre eux et qui semble se confiner aujourd’hui à l’école maternelle, donc au cycle 1 de l’enseignement primaire, pour parfois s’y trouver de plus instrumentalisé à des fins d’enseignement phonologique le rituel de la comptine. Ce dernier n’est pas à proprement parler scolaire mais l’école maternelle a su lui accorder depuis longtemps une place quasiment quotidienne il permet de constituer la classe en chorales, de laisser chaque voix trouver ses gestes relationnels et surtout d’engager le langage dans tout le corps, d’engager le corps dans tout le langage, à condition certes d’écouter chaque voix, chaque geste dans une polyphonie indispensable à la comptine elle-même. Observer les comptines dans les pratiques enfantines montre très vite que le langage y est entièrement engagé dans une pragmatique qui elle-même devient entièrement langage. Ce qui pourrait d’une certaine façon orienter notre attention à ce qui fait poème l’invention d’un rapport à soi, aux autres, et au monde » Meschonnic, 2001, p. 44. Car les comptines sont irréductibles à quelque schéma ou recette que ce soit dans leur diversité considérable qu’aucun savant – folkloriste, ethnologue, sociologue, littéraire, pédagogue, psychologue… – n’a réussi à ce jour à considérer dans leur force. Qu’on s’intéresse à leur dénomination même – nous disons comptine depuis que Pierre Roy en 1926 a rassemblé ces formulettes, comptes, rengaines, disettes et autres amusiottes voir Roger Pinon, Les noms de la comptine » dans Jean Baucomont et alii, 1961, p. 52 et suivantes.… –, qu’on se préoccupe de leur origine, de leur dissémination, de leur évolution, de leurs multiples variantes, et surtout qu’on soit attentif à leurs valeurs poétiques et relationnelles dans et par le langage, on ne peut manquer d’abord et avant tout de considérer le corps-langage qu’elles inventent à chaque fois. Ce corps-langage est celui de chaque acteur en comptines comme celui de chaque petite ou grande collectivité qu’elles constituent immanquablement ne serait-ce que dans cette activité qui est toujours une transmission de relation, une invention de gestes langagiers relationnels. Jean Baucomont a pu parler avec justesse à leur sujet de gestateurs » et a pu évoquer d’une façon absolument pertinente la transe » poétique, montrant ainsi qu’il faut considérer ces productions à égalité avec les plus grandes œuvres de la littérature. Or elles sont encore trop souvent considérées comme puériles et, par conséquent, souvent instrumentalisées à des fins strictement didactiques phonologie et prononciation par exemple. Le spectacle de cette transe » poétique incite à évoquer d’autres faits de même nature l’ivresse linguistique des inventions vocabulaires chez Rabelais, le débordement jaculatoire des sibylles antiques, le flux des lamentations vocératrices corses, les inépuisables phantasmes de certains textes réalistes obtenus par l’écriture automatique, voire les piétinantes litanies des versets de Péguy. Baucomont et alii., 1961, p. 23 C’est que les comptines, quand elles ne sont pas réduites à un simple divertissement futile et naïf, ad usum Delphini » Baucomont et alii., 1961, p. 12, font bien plus visiblement que ce que tous les poèmes font , ainsi que Henri Meschonnic le précise fortement dans une définition qui vient défaire bien des préjugés et engager le poème dans le vivre tout entier La poésie comme activité d’un poème, est un des universaux du langage. Anthropologiquement. C’est une définition qui échappe au signe. Elle fait du poème une éthique en acte, en acte de langage. Inséparablement du fait que le poème est ce qu’un corps fait au langage. Meschonnic, 2001, p. 41 Comment ne pas conclure alors cette réflexion sur les rituels par une comptine et par une fable… S’entretenir, c’est se tenir ensemble, c’est-à-dire vivre ensemble dans et par le langage. Je te tiens Tu me tiens Par la margoulette ou par la barbichette ou par la barbette ou par la barbignette ; Le premier qui rira ou Celui de nous deux qui rira ou le premier des deux qui rira Aura la claquette ou la tapette ou la clafette. Différents départements Par la barbe je te tiens ; Si tu me tiens, je te tiens. Le premier d’nous qui rira, Une claque il aura. Brest Je te tiens par le menton, Barbichon ; Et moi aussi, Barbiche ; Premier d’nous deux qui rira, Un bon souffle aura, L’oreille tirée, La cuisse pincée. Saône-et-Loire Cette comptine et ses variantes viennent du chapitre VII, Jeux et formulettes de jeux ; Le Pince-sans-rire », du très beau livre d’Eugène Rolland, Rimes et jeux de l’enfance publié en 1883 2002. Elles sont introduites ainsi par l’auteur Deux enfants se tiennent réciproquement par le menton en chantant la formulette qui suit. Le premier qui rit reçoit de l’autre une claque ». L’ethnographe Thierry Charnay préface la réédition bienvenue de cet ouvrage. Il voit, dans l’anthologie rééditée du folkloriste, un répertoire authentique » avec des matériaux pour une étude comparative et historique », des curiosités […] liées au contexte socio-culturel de l’époque » et des textes vraiment originaux ». Il note le manque d’indications ethnographiques, comme les circonstances du jeu, le lieu, sa périodicité, l’âge des joueurs, leur sexe, sa fréquence, etc. ». Voici sa conclusion L’intérêt des Rimes et jeux de l’enfance, de tout le folklore enfantin, réside dans le fait qu’il s’agit d’un mode de transmission traditionnel reposant sur le bouche à oreille, sur l’imitation, sur l’imprégnation culturelle [suit l’exemple du jeu de billes appris par l’enfant hors tout magistère]. Il n’y a pas d’écriture, ces formulettes et ces jeux enfantins, transmis entre pairs mais l’école peut aussi jouer un rôle, le sont oralement, et, comme pour la “littérature orale”, admettent des variations, des variantes car la reproduction exacte n’est guère possible. Ce sont des œuvres ouvertes, toujours disponibles pour être réalisées selon des conditions qui en permettent la reconnaissance mais qui admettent également des innovations. En somme, les activités ludiques des enfants relèvent du “patrimoine immatériel” comprenant cette culture enfantine transmise entre pairs notamment dans les cours de récréation des écoles, pratiquement le seul espace où elle peut circuler, se constituer, socialiser les enfants ; c’est pourquoi les récréations sont des espaces de liberté à garder, à condition que le football ne les occupe pas tout entières. Comme Rolland, nous souhaitons par cette publication attirer l’attention sur la production enfantine qui devrait mériter tout notre intérêt pour une meilleure compréhension de notre société . Observons que l’objectivité ethnographique laisse entendre son soubassement subjectif une historicité des savoirs et méthodes que le scientisme socio-ethnologique ne peut masquer. L’ethnographie depuis Rolland a certainement progressé. Elle attache dorénavant autant d’importance au faire qu’au dire. Mais elle semble maintenir les points de vue traditionnels de l’ethnographie du XIXe quand Charnay, voulant ne serait-ce qu’à la marge contrôler l’incontrôlable, oublie que le football est une pratique et donc une invention jamais fixée dans telle ou telle rhétorique du jeu, et surtout quand il rapporte, sous prétexte d’absence d’écriture, la culture enfantine à la culture populaire et donc au langage ordinaire, ce no man’s land du discours, ce non-lieu du littéraire. Son il n’y a pas d’écriture » vient comme répéter les clichés habituels qui déclinent les dichotomies naturalisées de l’ordinaire et du littéraire, de l’oral et de l’écrit, de la variation et de la fixation, jusqu’à celle du populaire et du savant, qui toutes conduisent à séparer la littérature de la vie. Mais l’ethnographe est savant et il sait que cet ordinaire » est extraordinaire » aussi remet-il cette spécificité dans une pragmatique de l’actualisation d’une forme immatérielle » soumise à une performance de la quotidienneté. Mais il s’agit de bien autre chose ! Certes l’ethnographe voit passer un sujet de l’imitation sociale, du conformisme groupal, intégrant une certaine innovation forcément nécessaire, le temps passant, les conditions évoluant. Mais il est sourd et n’entend pas le sujet du langage qui est au cœur de tels processus, dont seule la considération permet de penser l’articulation de la société et du langage hors de toute instrumentalisation et du langage et du sujet. Ces formulettes sont bel et bien écrites » ! Il faut le rappeler à l’ethnographe oublieux, parce qu’elles font l’écriture d’un sujet un sujet-relation dont tout le corps est langage non seulement parce que les formulettes exigent la performance dans ses variantes et variations, mais parce qu’elles inventent chaque fois nouvellement une performativité du corps-langage, à savoir une éthique du dire par son faire. Reprenons notre formulette. Il faut vraiment se tenir » pour que la formulette marche… En effet, le se tenir » qui fait la réciprocité est une forme de vie transformée en une forme de langage et l’inverse. Se tenir » par ce qu’on n’a pas la barbe… c’est justement faire la démonstration que le langage nous tient plus que ses signes. C’est cette tenue qui est la relation dans et par le langage, sa prosodie, son rythme, que la transmission ne cesse de rejouer dans les formulettes et autres jeux de récréation, de re-création. Alors on ne peut se contenter de rapporter cette transmission à une simple actualisation, il faut la concevoir comme l’invention d’un noyau poétique, forme interne de ce discours, historicisation radicale qui met toute actualisation au diapason d’une relation et non d’une répétition. On voir par là que la transmission transmet d’abord de la transmission, de l’entretien pour le moins. Laissons maintenant la formulette et passons à la fable. Nous allons vite voir que l’entretien, ou plutôt l’entretenue, en fait toute la force. Nous la prenons dans une vieille édition scolaire Jean de La Fontaine, Fables précédées d’une notice biographique et littéraire et accompagnées de notes grammaticales et d’un lexique, dans Radouant, 1929. Le Corbeau et le Renard Maître corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître renard, par l’odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau, Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le renard s’en saisit, et dit Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit au dépens de celui qui l’écoute Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Cette tenue par le corps-langage d’un sujet-relation que la formulette suggère, on peut aussi entendre son activité dans la poésie » de la récitation scolaire, celle qui rejoue plus un enchantement » qu’elle ne représente un théâtre de la parole ». C’est que, pour se limiter à la fable du corbeau et du renard, l’enchantement de l’ arbre perché », paradoxalement bien remarqué par Rousseau, se poursuit dans tous les échanges que fait faire la fable ramage-plumage », fromage-langage » pour une analyse plus détaillée et pour une considération plus vaste de cette lecture dans l’histoire de la poésie » à l’école, voir Martin et S. Martin, Les Poésie, l’école, p. 69-72.. Passage d’un corps-langage, formaticum, par la tenue réciproque. N’est-ce pas cette tenue que la récitation scolaire de génération en génération a transmise bien plus qu’une morale de l’interlocution ? Ce qui serait tout autre chose qu’une leçon de rhétorique sur cette question, je me permets de renvoyer à Faire poésie, faire récitation, produire un poème chercher le ton ou chercher la voix ? » dans F. Marcoin, 2002 ? Cette poétique relationnelle fait l’enchantement de la fable de La Fontaine . Ce langage nouveau » qui fait parler le Loup et répondre l’Agneau », est un poème-relation que la récitation a peut-être plus réussi à entendre que ne le font certaines activités pédagogiques portées sur la versification ou l’argumentation qu’Anne-Marie Malazeyrat 1996 juge avec raison réducteurs. Démontrer la polyphonie narrative » permet certes de prendre conscience de l’écart » qu’instaure l’écriture de La Fontaine avec la formule attendue, avec les règles traditionnelles du genre », avec la parole figée ». Mais cela revient à réduire le récitatif de la tenue réciproque du corps et du langage, du langage et de la société, à une mise en scène de la parole des personnages » puis du narrateur » Mazaleyrat, 1996 alors que c’est le récitatif continu d’une voix-relation qui l’emporte sur la représentation de voix. Le théâtre est dans la voix et non l’inverse, tout comme la performance est dans la formulette et non l’inverse. Par conséquent, la récitation scolaire, dans son aveuglement même, son approche peu littéraire » qui laisse bien des écoliers » seulement entrevoir quelque chose de La Cigale et la Fourmi ou du Corbeau et du Renard » ibid., a pu transmettre ce théâtre de la fable plus que son explication. C’est cette tenue d’un sujet-relation qui fait le poème du langage. Il est dans cet ordinaire de la cour de récréation et de la récitation en classe, ordinaire qui ne l’est donc plus. Et nos rituels de devenir alors extraordinaires tous les jours que l’on fait classe… Cette troisième catégorie de rituels ne doit pas nous bercer d’illusions et vise au contraire à nous méfier de ce que l’école et certaines traditions culturelles voudraient parfois faire accroire soit la création poétique est innée, soit elle est apprise ! Dans le premier cas, elle est réservée à une catégorie de personnes les génies ou à une période de la vie l’enfant-poète » ; dans le second cas, elle peut s’enseigner par une transmission de techniques d’expression ou de fabrication ateliers d’écriture inspirés du modèle américain creative writing ou du modèle français OULIPO pour Ouvroir de Littérature Potentielle ou encore rhétorique ancienne que les lycées du XIXe siècle enseignaient avec leurs exercices d’imitation des Anciens. Ces deux versions de la création poétique sont les deux faces d’une même conception qui sépare le poème du langage sous l’appellation de langage poétique » opposé au langage ordinaire » alors que le génie poétique » est au cœur de toute activité langagière tout au long de la vie tout comme on ne peut réduire aucun poème à quelque procédé que ce soit sous peine de séparer la définition du poème de sa valeur et la valeur du poème de sa définition. Avec les conséquences qui s’en suivent relativisme subjectiviste ou dogmatisme traditionnaliste. Comme dit Henri Meschonnic 2006, p. 14 Alors, que fait un poème ? Un poème fait la poésie. Sinon il est refait par elle. Refait, dans tous les sens du mot. Et qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas raconter une histoire, ce n’est pas dire une vérité, la vérité, aucune vérité. Je ne vois pas autre chose qui reste sinon s’inventer langage, vivre sa vie, et une vie langage. Ces rituels ne viseront donc pas autre chose que d’intensifier l’activité langagière pour qu’on y augmente l’attention au langage. Car cette dernière est certainement la condition de la création de poèmes, plus précisément la condition de création de moyens permettant qu’on les écoute, les poèmes, dans et par les activités langagières, en lecture comme en écriture, à l’oral comme à l’écrit. De la notation rapide au journal au long cours Le fruit de l’expérience m’a permis de dégager trois types d’exercice dans la composition du haïku éveiller les enfants au rôle de chaque mot dans une phrase, les habituer à manipuler les mots, affiner leur sensibilité à l’égard des mots et de leur usage. Fujii Kunihiko, Composons des haïku, 1989 [cité par Alain Kervern, 1995, p. 113] On sait le succès des haïku dans l’enseignement l’écriture courte a toujours eu bonne presse parce qu’elle permettait de tenir dans le temps scolaire et dans le cahier des charges de l’enseignant corriger 25 expressions écrites… et l’on sait que bien des ZEP ou lieux équivalents n’offrent comme projet d’écriture à leurs élèves que ces carnets de haïku » qui permettent de donner de la place à tous » et d’acculturer avec presque rien… Malgré ces critiques que d’aucuns trouveront rapides et faciles, gardons toutefois de ces expériences largement connues et explorées ce qui en constitue le plus grand intérêt, l’écriture de notations rapides, et ajoutons leur ce qui souvent leur manque une temporalité adéquate et un travail de la reprise et du montage. Dans un premier temps, il semble tout à fait judicieux de faire noter rituellement des brèves – remarques, citations, notations sur le vif… – qui, d’une part, s’accumulent l’intérêt de ces brèves consiste d’abord à rendre disponible rapidement une certaine quantité pour la réécriture et, d’autre part, entraînent une dextérité de la prise de notes comme pour tous les projets d’écriture dans les classes, il est nécessaire de penser leur durée qui doit à la fois ne pas être trop longue mais assurer assez de possibilités de reprise. Dans un second temps, l’activité d’écriture se transforme en celle de lecture, de relecture et surtout de sélection et de montage, voire d’illustration et d’édition, sans pour autant viser quoi que ce soit d’ambitieux si ce n’est de se constituer un parcours qui montrerait une histoire, ne serait-ce que l’histoire de cette activité de prises, au quotidien ou presque, sur le réel. La justification d’une telle activité est plus à rechercher par le moyen d’un support et d’un moment adéquats qu’à initier par une connaissance de la tradition japonaise ce qui me paraît soit irréalisable avec de jeunes enfants et de moins jeunes apprenants !, soit démagogique et d’un exotisme de très mauvais goût car les haïku constituent certes une tradition populaire au Japon mais on oublie souvent que leur dimension savante est extrêmement rigoureuse sans parler de la prégnance d’une dimension érotique si ce n’est vulgaire… qui en fait tout le charme si ce n’est le sel. On comprendra alors qu’il est plus sain, non seulement pour les enfants mais pour l’enseignant qui alors ne se joue pas d’un pseudo-savoir transmissif, de proposer de noter des bribes de réel sensations, visions, évocations voire citations en utilisant la page d’un carnet minuscule afin de favoriser l’agrandissement de la bribe ou de la brève à la dimension de la page lui conférant ainsi une unité formelle mais également temporelle immédiate tout en la situant dans une opération d’accumulation – ce qui permet à la fois de rester sec un jour pour devenir disert un autre jour et surtout ce qui permet que les bribes s’enchaînent les unes les autres sans forcément suivre la même logique, le même thème… Il y a là des libertés et des nécessités hasardeuses ! qui sont au principe d’une telle activité qui paradoxalement retrouvera alors l’esprit de la tradition japonaise, sachant bien que cette dernière n’est pas homogène et qu’elle est très ancienne… et donc diverse historiquement. Ce rituel de la notation sur le vif peut se construire avec des consignes répétées à satiété au moins une dizaine de fois et toujours assez simples – notez ce que vous avez vu en sortant de chez vous… – notez les paroles entendues à la récréation… – notez la météo du jour dans une acception très large, on peut noter les humeurs et autres sentiments du moment… – etc. Ce rituel peut alors se transformer progressivement en un jeu collectif petits groupes d’abord pendant lequel les participants enchaînent leurs notations brèves comme dans un défi, une joute verbale en l’occurrence écrite. Il serait judicieux alors que les élèves puisent dans leur stock de notations pour venir répondre aux brèves lancées par leurs camarades. En groupe de 4, les élèves proposent une série enchaînée de 12 notations en puisant dans leurs carnets puis les proposent à la classe oralement en prenant la parole chaque fois qu’il s’agit de leur notation. En groupes plus importants, les élèves vont écrire sur une grande affiche une notation qui vient répondre aux précédentes… Le principe du jeu doit mêler le défi et la participation de tous. En conclusion, ces notations ne prennent saveur qu’au long cours. De la citation au collage Nous avons déjà évoqué l’activité de notations et de diction de citations, donc de brefs fragments pris aux textes poétiques voire à d’autres textes ; aussi, il s’agirait de suggérer aux élèves de poursuivre cette activité de notations jusqu’au montage-collage de nombreuses citations qu’on appelait centon » Le terme désigne un texte en vers ou en prose dont les fragments sont empruntés à divers auteurs ou à diverses œuvres d’un même auteur Demougin, 1985. Ces mélanges qui introduisent pratiquement à l’anthologie nous y revenons bientôt n’ont pas pour objectif de présenter un simple ensemble de citations mais bien un texte cohérent, du moins dont le continu est perceptible – ce qui n’exclut pas des sauts et gambades », comme disait Montaigne de son écriture. Ces rituels peuvent se contenter de créer non des poèmes mais bien plutôt des ensembles qui, de la liste écriture en lignes au texte continu écriture en prose, permet de découvrir par l’écriture les traits saillants d’une recherche du poème ce qui coupe / ce qui enchaîne ; ce qui reprend / ce qui perturbe ; ce qui s’allie / ce qui désunit ; ce qui accentue / ce qui fond ; ce qui annonce / ce qui répond ; ce qui accompagne / ce qui sépare ; ce qui se retranche / ce qui s’affirme ; ce qui ralentit / ce qui accélère ; ce qui ouvre / ce qui ferme ; etc. Bref, autant de catégories discursives qui font entendre du poème dans et par une activité de reprise multiple. De l’imitation à la création Continuer Cézanne est impossible. On ne peut le continuer que par de tout autres chemins. Ernest Pignon 1966 Mais nous savons que la tradition scolaire qui prend sa source dans les anciens exercices de rhétorique tout comme dans certaines pratiques des ateliers d’écriture, préconise l’activité d’imitation pour produire » des textes dits poétiques en vertu de procédés de fabrication qui garantirait le label de poéticité… La littérature didactique et pédagogique sur la question naturalise cette activité en confondant procédé ou technique d’écriture et valeur poétique même si l’intitulé de tels exercices » d’imitation est plus que suggestif et engage bien autre chose que l’application de procédés à la manière de ». C’est que la manière » est un concept qui fait problème est-ce seulement une affaire de main », un savoir faire transmissible, d’autant plus réduit à un tour de main » le plus souvent ! Non ! Nous savons bien que la manière conceptualisée dans le domaine pictural à l’époque classique rentre en concurrence dans le domaine littéraire avec la notion de style, laquelle n’est pas moins problématique puisque le concept semble se confondre avec l’individu quand, ailleurs, on sait que le style fait la caractéristique d’une époque, d’une école, d’une série de fauteuils, etc., bref d’un collectif, d’un passage à l’anonyme. C’est pourquoi Gérard Dessons a réintroduit le concept de manière dans l’attention au poème pour lui donner sa force conceptuelle de prise sur l’activité subjective au cœur du langage et des discours. C’est justement en considérant la manière comme ce qui permet que, par le langage comme aventure du dire, l’expérience d’un seul devient l’expérience de tous » Dessons, 2004, p. 380. Ce que pose Dessons, c’est que la manière est un opérateur relationnel qui oblige chacun à trouver son rythme et non, à la différence du pastiche, de la parodie ou de la caricature, par exemple, de dissoudre le transubjectif dans une répétition d’objet et/ou de sujet qui achève l’œuvre dans ses détails, dans ses tics, dans ses signes quand la manière engage à la continuer dans et par sa réénonciation. Aussi, s’agirait-il de travailler à des copies qui ne sont pas, à proprement parler, des copies » Octave Mirbeau dans Nathalie Heinich, 1991, p. 226, c’est-à-dire de continuer la manière d’une œuvre plutôt que de la répéter, selon la formulation de Dessons p. 267. Jean-Claude Touzeil, Maud legrand ill., Parfois, Coll. Le farfadet bleu », Chaillé-sous-les-Ormeaux, L’Idée Bleue, 2004, p. 20-21 Parfois, geai zéro phote an ortografe. oui, je l’ai relu trois fois avant de comprendre!!! Décidément, je ne suis pas encore habituée au langage SMS… Parfois, Tintin rejoint Titeuf au “Bar des Bulles” pour taper le carton avec Obélix et les frères Dalton. j’imagine bien la scène, au Pré-en-Bulles, un bar de ma ville… Parfois, l’avenir du futur antérieur me semble problématique. à moi aussi… c’est quoi d’ailleurs? Parfois, à Ixelles Belgique, on ne trouve plus que des grandes tailles. va falloir que j’aille y faire un tour ^^ Le livre de poèmes de Jean-Claude Touzeil illustré par Maud Legrand, Parfois 2004, semble proposer une même formule répétitive d’engendrement poétique » du début à la fin du livre puisqu’il est constitué d’une litanie de propositions qu’ouvre l’adverbe parfois ». Mais, d’une part, l’illustration qui met deux blocs colorés face à face les anime de petits personnages qui progressivement développent une épopée minuscule et mystérieuse et, d’autre part, la litanie construit des registres thématiques, des parallélismes, des échos aussi variés qu’inattendus. Bref, la répétition se fait rythme du texte à l’image et de fragments en fragments. Ce que chaque page, même sans illustration, impose par son organisation en quatre propositions comme les quatre points cardinaux du sens en mouvement, une girouette au vent toujours changeant… Contentons-nous d’observer ces deux pages 20 et 21 si les jeux de mots ou approximations nous mettent sur la piste d’un procédé unitaire, un fragment la rose des sables » n’y concourt pas et donc défait cette première réduction possible de la litanie à la réitération d’un procédé unique ; la structure syntaxique de la proposition est également trois fois identique syntagme nominal+groupe verbal mais la première proposition commence par un impersonnel ; trois propositions font deux lignes mais la quatrième se contente d’une ligne ; etc. La litanie est donc plus un montage de propositions, souvent mais pas forcément analogues par un de leur aspect. Ces propositions visent d’abord à construire un souffle ininterrompue de remarques certes hétéroclites mais qui progressivement font entendre une manière de voir, de sentir, de vivre le monde, la pensée et le langage. Cette manière devient alors inimitable. Aussi, que reste-t-il à faire sous peine de réduire ce souffle à quelques procédés au souffle court, voire au souffle coupé qui enterrerait la manière de Touzeil et celle du livre, donc aussi l’épopée de l’illustration… ? Il reste à continuer cette manière, à inventer si ce n’est avec des lanceurs du type de parfois », du moins avec des observations qui trouvent en même temps qu’elles se poursuivent un chemin pour une pensée qui se trouve dans le jeu de langage. Il n’y a pas de recettes… pour passer de l’imitation à la création car, pas seulement parfois » mais toujours, faire la doublure / en retournant sa veste est une autre paire de manches » Touzeil, 2004, p. 43 Vous voyez, je ne nomme pas avant que de faire. Si on savait, si on savait, on ne serait pas là d’abord. C’est l’immense part d’inconnu ! Quand on parle de signe, on entre dans le connu ! Il y aurait une connaissance avant que fût le savoir. Pierre Tal-Coat 2007, p. 22, p. 27, p. 76 Les poèmes n’existent pas hors du livre, plus précisément, les poèmes sont édités et ces éditions les proposent très souvent avec un accompagnement artistique de type graphique ou plastique. C’est à cette dimension que d’autres rituels peuvent s’attacher sans que cela ne demande à proprement parler d’explications autres qu’une fréquentation ouverte à toutes les sollicitations. Donner à l’illustration sa force première de rendre illustre, de faire briller, et donc de faire mieux entendre le poème en le voyant mieux, puis donner toute leur valeur d’opérateurs poétiques à tout ce qui concoure à l’édition dont l’illustration mais également la mise en page, la typographie, etc., c’est tenter de trouver des activités régulières qui font aller plus vite au cœur du livre de poèmes, au cœur de la lecture. De l’illustration à l’édition Parfois, le poème voudrait changer de page. Jean-Claude Touzeil 2004 Merci à Marie-Therese Cuenat L’habitude scolaire de recopier des poèmes peut-être considérée de deux façons soit il s’agit d’occuper les élèves et de leur demander de recopier tel texte poétique en pariant sur le fait qu’ils ne perdent pas leur temps à recopier un beau texte » d’autant plus que la poésie étant ce qu’elle est et les élèves aussi, il vaut mieux ne pas se faire d’illusion et assurer les compétences de base manuscrites et orthographiques avant d’envisager autre chose… soit il s’agit de considérer une telle activité comme une véritable activité intellectuelle non dénuée de sensations qui touchent à une physique de la lecture ainsi que Walter Benjamin le signalait avec beaucoup d’humour dans un beau texte Objets de Chine » dont je retiens l’extrait suivant La force d’une route de campagne est autre, selon qu’on la parcourt à pied, ou qu’on la survole en aéroplane. La force d’un texte est autre également, selon qu’on le lit ou qu’on le copie. Qui vole voit seulement la route s’avancer à travers le paysage elle se déroule à ses yeux selon les mêmes lois que le terrain qui l’entoure. Seul celui qui va sur cette route apprend quelque chose de sa puissance, et apprend comment, de cet espace qui n’est pour l’aviateur qu’une plaine déployée, elle fait sortir, à chacun de ses tournants, des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives, comme l’ordre d’un commandant qui fait sortir des soldats du rang. Il n’y a que le texte copié pour commander ainsi à l’âme de celui qui travaille sur lui, tandis que le simple lecteur ne découvre jamais les nouvelles perspectives de son intériorité, telles que les ouvre le texte, route qui traverse cette forêt primitive en nous-mêmes, qui va toujours s’épaississant car le lecteur obéit au mouvement de son moi dans l’espace libre de la rêverie, tandis que celui qui copie le soumet à une discipline. Aussi l’art chinois de copier les livres fut-il la garantie incomparable d’une culture littéraire, et la copie une clé pour les énigmes de la Chine. Benjamin, 1950, 115-116 Demander régulièrement de copier des poèmes pour les lire demande de laisser les élèves effectuer ce travail à leur guise, c’est-à-dire en leur donnant le temps à l’issue de l’activité d’échanger rapidement sur leurs pratiques de la copie. Cela constitue un rituel de lecture extrêmement conséquent si l’on y réfléchit bien. D’autant plus qu’en poursuivant la proposition de Walter Benjamin et se rappelant du fait que les chinois calligraphient, on peut suggérer aux élèves de dessiner au cœur même de leur activité de copie. Plutôt que de séparer le dessin et la copie comme le faisait le cahier de poésies traditionnel, il serait judicieux d’engager les élèves à dessiner en même temps qu’ils copient. Non pour tout confondre, encore qu’un continu de la pensée du lecteur peut s’y inscrire, mais pour donner prendre le temps de la lecture. Ajoutons que la pratique d’écriture de bon nombre de poètes associent dès le manuscrit ou dans des pratiques de prise de notes diverses, dessin et écriture. On verra ci-dessous que le dessin peut se prolonger voire disparaître au profit du collage. Pour commencer de tels rituels, il est nécessaire de lancer des activités très régulières de copie » qui convoquent des poèmes » ou plutôt des extraits de poèmes très courts. Par exemple, la lecture magistrale ou par des élèves d’un poème peut être suivie immédiatement par le copiage d’un extrait soit imposé soit libre de ce poème. Un petit carnet de lecture – servant par ailleurs à d’autres activités – ou plus simplement le cahier du jour, peuvent servir à cette activité qui ne dure pas plus de cinq à dix minutes. Des reprises sont toujours possibles en vue d’une édition de copies »… en utilisant, par exemple, la photocopie ! Mais alors, le montage va intervenir. On y revient plus loin. Il faudrait particulièrement réserver cette activité de copie aux poèmes » car c’est avec de tels textes que vont se rencontrer un certain nombre de problèmes de lecture et d’écriture et donc se construire des problématisations et conceptualisations importantes et décisives pour tout lecteur. Le plus important – et peut-être le premier dans la genèse de l’écriture et de la lecture – est celui de la justification qui ne peut se réduire à un vulgaire code typographique quand il s’agit de faire sens, de donner vie. La manipulation par la copie, qu’elle soit manuscrite ou tapuscrite jusqu’au traitement de texte, demande de penser l’écriture dans son activité quasiment physique comme invention de son espace en même temps que de sa temporalité, de son continu en même temps que de ses discontinuités, de sa volubilité en même temps que de ses silences, etc. Les questions naïves des jeunes élèves copiant un texte sont des questions fondamentales de lecture pourquoi, comment aller à la ligne ? », pourquoi, comment couper un mot ? », pourquoi, comment des majuscules, des signes de ponctuation… ? » pourquoi, comment disposer dans la page ? », etc. Tenant compte de ces objectifs et des possibilités d’accorder toute son importance à l’activité de copie de poèmes voire, de préférence, d’extraits choisis de poèmes, il paraît judicieux de continuer à utiliser le cahier de poésie. Cela demande alors de le transformer de deux points de vue varier son format et surtout ne plus opposer texte et illustration en recherchant des formes libres d’association et en laissant s’accumuler des essais de copie mêlant écrits et dessins. Nécessairement, les enseignants et peut-être les parents demanderont alors à vérifier ces copies » de poèmes mais dans un premier temps il semble préférable d’y attacher de l’attention et de les relire ensemble ou, mieux, d’y consacrer de courts moments pour voir ce qui a été fait, ce qui est nouveau… et les erreurs de copie se corrigeront d’elles-mêmes puisque le seul moyen de vérification est de repartir de l’original, de l’édition officielle » du poème en vue de cette édition personnelle qu’est sa copie. Du collage au montage Une autre modèle du rituel pour illustrer avec les poèmes demande de donner toute sa place à l’activité de collage. Comme dit Michel Butor, dans le collage, les mots ne sont plus quelque chose que l’on trace, mais que l’on trouve » Butor, 1974, p. 88. Si Butor parle des collages de fragments d’imprimés, on peut généraliser sa proposition également à tous les types de collage matières, couleurs, illustrations diverses et bien évidemment morceaux de textes imprimés ou manuscrits car le collage demande, après voire au cours de sa réalisation, d’engager une parole qui construit une lecture. Cette parole prendra forcément appui sur les rapports qui peuvent apparaître entre la lecture première du poème ou fragment de poème qui précède le poème et la lecture seconde qui voit se superposer ou se juxtaposer collage et poème. Prenons quelques exemples qui donnent matière à ces activités de collage lire un poème, ou répétons-le une dernière fois, un fragment de ce poème, à côté de papiers de couleur déchirés ou découpés qui viennent l’accompagner observer alors les différences de lecture selon les accompagnements colorés et ne coller les papiers qu’une fois l’expérience conduite après plusieurs essais ; réaliser le même genre d’expérience avec des papiers transparents en variant les couleurs, les formes, les superpositions, finir par une proposition ; prendre dans une banque d’images de reproductions d’œuvres ou de photographies paysages, portraits,objets… et essayer des combinaisons avec le poème coller après avoir effectuer si nécessaire des prélèvements, des superpositions… Si ces activités avec bien d’autres variantes peuvent se réaliser dans le traditionnel cahier de poésies, elles peuvent également en sortir et s’ouvrir à des boîtes de poésies qui feront place à des objets – s’inspirant , par exemple, des boîtes de Joseph Cornell, autant qu’à des papiers pour que la lecture alors prenne la troisième dimension sans hésiter ! Mais avec le montage, c’est vers la quatrième dimension que les élèves vont alors se diriger… Joseph Cornell Navigating the Imagination Pour concrétiser cette activité, nous allons observer un ouvrage publié dans la collection Le farfadet bleu ». Au-delà, une observation de plusieurs ouvrages de cette collection permettrait d’ailleurs aux élèves de trouver par eux-mêmes des idées de montage avec les poèmes et les images… Le Capitaine des myrtilles de Daniel Biga est accompagné par un carnet de dessins » p. 25 à 34 réalisé par Kélig Hayel. Les 29 poèmes de Biga qui font comme une courte anthologie de son œuvre pour ses jeunes lecteurs puisqu’ils ont été pris à trois ouvrages antérieurs, sont parfois annotés d’un renvoi au carnet de dessin. Ce livre propose donc un montage étonnant un ensemble de poèmes et un carnet de dessin avec un système de renvois des uns aux autres ! Mais si l’on observe de plus près ce dispositif, on voit que c’est l’écriture de Biga qui l’a suggéré. Le poème qui suit est précédé de la mention manuscrite dessin du carnet ». PAYSAGE RAPIÉCÉ haies de cyprès de saules de peupliers longues et hautes allées de domaines inconnus chemins terreux route de goudron limites de champs et vignobles ruisseaux serpentins bordées de forêts de cannes talus frontaliers enchevêtrés de garrigues lambeaux campagnards bourrelets cicatrices haché coupé retaillé bordé surfilé patchwork multiples coutures reprises du paysage image à venir Ce poème et ce dessin qu’il faut donc associer en tournant les pages du livre nous font faire ce qu’ils font et ce qu’ils disent qu’ils font rapiécer » ! Mais ce montage qui est un travail de reprise par les bordures, les enchevêtrements, les cicatrices, le surfilage et les coutures, lie dans un continu le texte à l’image, le propos à la manière, le rythme au sujet. Aussi, le paysage n’est plus une description statique mais un mouvement de va-et-vient qui ne cesse de tisser une voix autant qu’un regard, une expérience autant qu’une pensée. Pour encore mieux préciser la démarche ici proposée avec les élèves, il s’agit bien de considérer l’activité d’écriture de listes voir nos séquences avec un livre de poèmes et la première activité proposée liste lexicale hiérarchisée comme une véritable activité d’écriture. Ici, l’écriture de listes inclut la prise d’éléments graphiques et illustratifs, du moins n’hésite pas à passer des uns aux autres. Quand la collection a été plus ou moins réalisée, les élèves sont amenés à la présenter et donc à effectuer un montage. Ce montage peut s’effectuer linéairement comme fait Daniel Biga dans son poème – ce qui correspond à l’activité de hiérarchisation précédemment proposée – ou tabulairement comme fait Kélig Hayel pour son dessin d ». Ce tableau » est en effet concentrique par son organisation signifiante collage concentrique de fragments de dessins, pastels grattés et encres » autour de reproductions découpées de papillons venant elles-mêmes entourer une liste de ces mêmes papillons – ces derniers ayant été pris à un manuel » ou guide » naturaliste. Il faut toutefois ajouter que cette organisation concentrique est perturbée puisqu’elle est orientée vers le coin supérieur droite de la double-page et que les dessins » noirs y concourent par leur disposition. Un peu comme la liste hiérarchisée des éléments du paysage rapiécé » de Daniel Biga est lancée par le syntagme haies de cyprès » qui met le lecteur au cœur si près ! de ce qui organise ce poème-paysage ses coutures ». De ce principe désorganisateur, le poème fait une orientation qui paradoxalement construit un continu dans et par la fragmentation haies de cyprès-de saules-de peupliers » où dès la première ligne nous lisons cette accumulation apparemment hétéroclite puisque chaque fragment est une reprise du paysage » . Le continu du poème puise son principe dans l’exigence du continu du microcosme au macrocosme et de l’extérieur à l’intérieur, que la voix du poème réalise. Il ne faudrait surtout pas perdre ces moments qui permettent à la classe de continuer à apprendre sans se soucier d’objectifs à atteindre, de savoirs précis à trouver, de démarches à contrôler… Ces moments ritualisés sont comme bien des moments de la vie, ceux où l’on fait sans trop savoir ce que l’on fait mais en sachant bien qu’on le fait bref, ce sont des moments d’écoute ou de diction flottante, de lecture à vue et d’écriture au fil de la plume parce qu’on se laisse aller dans un cadre ritualisé qui assure qu’on en reviendra sain et sauf et même ragaillardi, réjoui, et pourquoi pas reposé aussi. Ces rituels sont généralement courts certains les ont appelés gouttes de poésie » mais une tornade ne peut prendre que quelques instants et le goutte-à-goutte est souvent le dernier remède avant l’extinction ! Alors de la minute qui vient comme ponctuer les autres activités scolaires à ce petit moment régulier qu’on retrouve tous les jours ou tous les deux jours et qui nous met tous ensemble pour entamer une activité sérieuse ou au contraire boucler une activité qui manque de sérieux… de la minute au quart d’heure, on peut trouver une variété de rituels qui mettent les poèmes au diapason des habitudes toujours vives et pas forcément empêtrées dans la morosité, les mauvaises habitudes ou les facilités occupationnelles. Rituels pour réciter les poèmes Le souci Et pour qui sont ces six soucis ? Ces six soucis sont pour mémoire. Ne froncez pas les sourcils Ne faites donc pas une histoire, Mais souriez, car vous aussi, Vous aussi aurez des soucis. Robert Desnos 1991, p. 42. De la récitation au récitatif Le rituel le plus répandu dans l’école c’est la récitation qui est à la fois un exercice très ancien et progressivement réduit à l’instrumentalisation de la poésie. On aurait tendance aujourd’hui à le vouer aux gémonies. Pourquoi ne pas le garder en lui redonnant ses lettres de noblesse, peut-être même en le réinventant ! Par exemple, la récitation pourrait s’inspirer de cet extrait du théâtre de Valère Novarina 1997, p. 142-144 L’enfant d’outrebref Vous n’avez plus que cinquante-huit phrases à dire. La figure pauvre En tout et pour tout ? Le plancher est ; la pluie coule à verse ; j’ai passé les tuyaux au Zèbracier ; j’ai déplacé sur ma table les galets témoins ; de plus en plus de personnes en moi, ou hors de moi, disent qu’elles ont froid aux pattes ; le soleil luit aujourd’hui ; j’irai faire un tour chez les vénénaux ; puis je me lèverai matin ; bénis ceux dont les langages me parlent dans la tête ; bénie soit la vie qui nous échappe ; ombre verte est l’ombre verte ; je vais balayer. » L’enfant traversant Encore trois cent quatre-vingt-neuf mots. La figure pauvre […] L’enfant traversant Trois-cent vingt et un. La figure pauvre Par la fenêtre, on voit un groupe de sapins ; un sapin isolé à double tronc ; une maison en ruine avec des poutres ; une haie d’orties ; une prairie d’herbes avec des chardons ; les sapins vert sombre ou bleu sombre, vert-bleu sombre ; les sapins toujours là sombrement ; une colline bleue ou bleu-gris ; le ciel très-très-très blanc au-dessus du bas de la colline ; le ciel un peu plus bleu au-dessus ; des rojales oyu épilobes au milieu des orties. – Nom des herbes, dire le nom des herbes ! – Je peux encore dire le nom des herbes ? L’enfant traversant Dites le nom des herbes que vous savez ! La figure pauvre La tramine, l’épieuse, le lactis, les foliacées, l’égrangette, la bardane, l’épilobe, la prêle, la fétuque, la brize, le dactyle, le vulpin, le scirpe, la laîche, la luzule, le colchique, le narcisse, l’iris, l’oseille, le mélandre, le coucou, l’œillet, le caltha, le trolle, la renoncule, la cardamine, la parnassie, l’ansérine, la benoîte des ruisseaux, la valériane, la succise, la scabieuse, le coult, la campanule, la marguerite, l’arnica, le séneçon, la carline, le salsifis, le pissenlit, la chicorée sauvage, la piloselle, la folle avoine, le muscari, la tulipe sauvage, la petite oseille, la renouée, la dauphinelle, l’adonide, le pavot, le coquelicot, le fumeterre, le sénevé, la ravenelle, le bec de grue, l’euphorbe, la pensée, le liseron, la morgeline, le lamier, la galéopse, la menthe, la mélampyre, la nièble, la matricaire, l’anthémide, la centaurée, le laiteron, le cirse. N’avoir que 58 phrases à dire, que 389 mots ou encore dire le nom des herbes que l’on sait… autant de pistes de récitation ! Qu’est-ce à dire ? Qu’il s’agit de réciter des listes qui ne sont pas seulement nominales, de manière adéquate au niveau ou aux finalités que l’on se donne un récitant et un chœur qui reprend – le récitant pouvant être l’enseignant, le chœur pouvant être la classe ou de petits groupes qui récitent alternativement… des listes ; un ou plusieurs élèves lisent des listes dans un premier temps puis progressivement emportés par la récitation se mettent à improviser des suites de listes ou des listes nouvelles… Ces récitations n’ont pas pour objectif premier de bien lire, de bien articuler, de bien exprimer ces listes mais de faire passer des fragments certes sensés d’un discours qui n’a de tenue que par sa profération, son passage en bouches – voire en boucles – exactement comme les ritournelles enfantines qui d’ailleurs peuvent être pour les plus petits l’occasion de récitations semblables. Ces récitations habituent à mettre le corps dans des dispositions libres pour que les textes prennent voix indépendamment des volontés et autres stratégies d’arraisonnement à des fins trop réfléchies. Il s’agit de faire venir l’énergie discursive proche de la volubilité des parleurs engagés dans des conversations passionnantes des enfants qui parlent pour parler, par exemple comme font bien des adultes au téléphone ou au café voire dans les soirées mondaines dont l’art, rappelons-le, est de tenir la conversation coûte que coûte… Quand la récitation de listes acquiert cette volubilité, elle peut alors facilement s’étendre à n’importe quel texte pour faire peut-être entendre son poème c’est-à-dire ce qui peut en faire un poème, étant entendu que la volubilité entraîne tout le discours dans l’inconnu de la relation langagière. C’est un test excellent pour voir si un texte mis en bouche fait poème. Et il faudrait autant sinon plus que par l’explication tester les textes ainsi. Ce qui n’a rien à voir avec la diction théâtrale qui peu ou prou entre dans une culture qui surplombe le texte bien souvent ou avec la diction dite expressive qui vient comme confirmer la compréhension et l’interprétation scolaires ou savantes. Les unes comme les autres ne rendront jamais tel texte de Henri Michaux 1963, p. 92-93 à son poème autant qu’une récitation-profération. Dans la nuit Dans la nuit Dans la nuit Je me suis uni à la nuit À la nuit sans limites À la nuit. Mienne, belle, mienne. Nuit Nuit de naissance Qui m’emplit de mon cri De mes épis. Toi qui m’envahis Qui fais houle houle Qui fais houle tout autour Et fumes, es fort dense Et mugis es la nuit. Nuit qui gît, nuit implacable. Et sa fanfare, et sa plage Sa plage en haut, sa plage partout Sa plage boit, son poids est roi, et tout ploie sous lui Sous lui, sous plus ténu qu’un fil Sous la nuit, La Nuit. Tous les poèmes de cet ensemble intitulé Poèmes » – il y en a treize ! – peuvent ainsi être mis en bouche pour le seul enjeu de vivre leur volubilité qui fait le plein de poèmes. Celui qui figure ici – le neuvième – commence par se répéter pour ne plus arrêter de se reprendre un peu comme s’il bégayait mais, plus qu’une hésitation dans la diction, il s’agirait d’une insistance, d’un tournoiement, d’un abandon à cette nuit », à cette obscurité envahissante qui tient autant à sa prosodie qu’à sa thématique, qui tient à sa voix éblouissante. L’énergie discursive se trouve dans la diction qui se cherche en répétant, en reprenant presque inlassablement jusqu’à un certain épuisement, un certain oubli du texte, de la situation même… C’est que l’enjeu d’une telle activité consiste à faire venir jusqu’à son écoute l’inconnu d’un texte autant que l’inconnu de l’activité elle-même. La surprise est imprévisible ; la trouvaille ne se maîtrise pas. De la citation à l’action Écrire au tableau une phrase du jour ou, variante, faire écrire aux élèves la phrase du jour sur une affiche qui accumule ainsi les phrases, extraits de proses et de vers… pour que chacun les recopie, les redise, les apprenne par cœur on vérifie ces mémorisations dans la journée, le lendemain…, sachant bien que la sélection s’opérera d’elle-même pour chacun mais aussi dans le groupe. Ce bon mot » du jour peut se voir reconsidérer de plusieurs manières le recopier, certes, mais en travaillant le graphisme sans, pour autant, faire calligramme de ce qui n’a pas été écrit pour cela mais simplement pour démonter l’extrait, le montrer autrement, se l’approprier La rivière parfois tremble se noue pourtant jamais elle ne se retourne pour voir si on la suit. Alexandre Voisard dans Guy Goffette, 2003, p. 92 le contextualiser en lisant le contexte de l’extrait avant et/ou après, en donnant les références, en se documentant sur l’auteur, le thème, les mots… Voulez-vous parlons d’autre chose Il y a des esprits moroses Des esquimaux des ecchymoses Louis Aragon, 2003, p. 72. l’afficher dans des lieux insolites dans la classe, dans l’école pour que ces nouveaux contextes obligent à lire autrement, à inventer d’autres lectures, à trouver d’autres lecteurs tout l’intérêt de cette activité c’est aussi d’être régulière jusque dans ses surprises mêmes. Liste indicative de telles possibilités souvent inspirées par Amandine Marembert dans Cahiers pédagogiques, n° 417, 2003, p. 37-38 corbeille de fruits poétiques à l’entrée de la classe, de l’école fil à linge poétique dans le couloir self poétique un poème sur le plateau du self le midi post-it poétiques sur les marches d’escalier, aux plafonds parapluie, parasols et paravents poétiques dans la BCD papillotes, boules et autres guirlandes poétiques dans l’arbre de la cour portes-clés, badges, tickets et autres petits matériels poétiques pour une fête de l’école sms, timbres et enveloppes poétiques pendant une semaine de la poésie petites annonces poétiques sur le panneau des informations tracts poétiques la matin ou le soir avant ou après les heures de classe fusées, avions et cerfs-volants poétiques etc. le jouer de multiples fois pour en tester la force en variant les dispositifs scéniques ou vocaux La source tombait du rocher Goutte à goutte à la mer affreuse. L’Océan, fatal au nocher, Lui dit Que me veux-tu, pleureuse ? Je suis la tempête et l’effroi ; Je finis où le ciel commence. Est-ce que j’ai besoin de toi, Petite, moi qui suis l’immense ? » La source dit au gouffre amer Je te donne, sans bruit ni gloire, Ce qui te manque, ô vaste mer ! Une goutte d’eau, qu’on peut boire. » Ce poème de Hugo tiré des Contemplations avril 1854 dans Hugo, 1973, p. 254 demanderait plus qu’une mise en scène dialogique qui d’ailleurs détruirait la continuité de la voix du fabuliste. Il exige un long travail de variations sur un ou deux vers seulement, quels qu’ils soient. Dire de très nombreuses fois un ou deux vers, les passer de bouche en bouche, les faire vivre dans des déplacements du corps et dans des gestes, vont alors permettre que les commentaires fusent et surtout que le poème de cette fable s’incorpore, devienne le propre de chacun sans qu’aucune explication n’ait été donnée. Ces variations partagées sur de petits moments poétiques d’un texte ouvrent un vrai débat interprétatif dans et par l’attention précise aux détails les plus infimes de ce que fait un poème au corps, à la voix, à chacun et à tous. Parions que le mot goutte » ne sera plus jamais entendu, compris, employé comme avant… Deux ouvrages seulement pour le collège mais après ceux des cycles 2 et 3, chacun comprendra aisément la démarche et saura l’adapter aux autres ouvrages que nous avons proposés et à bien d’autres tout aussi forts de lecture. Certes, l’ampleur et la difficulté augmentent mais rien ne remplace, contrairement aux habitudes souvent acquises dans le secondaire, cette démarche qui laisse toute sa place à l’aventure de la lecture et des lecteurs étant donné qu’elle est toujours l’exigence de leur liberté, c’est-à-dire de l’écoute la plus proche des œuvres. Avec Blaise Cendrars et ses Feuilles de route Il n’y a pas plus allégorique de la lecture elle-même que le journal de voyage et c’est un tel journal que Cendrars propose comme livre de poèmes avec ses Feuilles de route la dédicace fort longue qui ouvre le livre parle de cahier » ; ce qui nous fait songer au carnet de bord. Lequel est constitué de trois parties I. Le Formose », du nom du bateau qu’emprunte Cendrars en direction du Brésil en passant par Bilbao et Dakar, dont nous connaissons lieux et dates d’écriture puisqu’on lit au bas de cette première partie la mention Le Havre-Saint-Paul, février 1924 »; II. Sao-Paulo », le Saint-Paul de la mention finale de la première partie, qui comprend six courts poèmes ; III. », la troisième partie du cahier » sans autre titre que sa numérotation qui commence par un Départ » pour s’achever sur un question abyssale Pourquoi j’écris ? » à laquelle est donné la réponse la plus ouverte qui soit Parce que… » avant que ne figure l’année de cette écriture 1924 ». On notera toutefois que les éditions Gallimard ont donné, dans le sommaire le titre du premier poème » à la troisième partie sans utiliser les règles typographiques qui s’imposent… C’est donc un cahier » de 80 pages environ qu’on peut lire d’une traite comme l’invention d’un livre qui se cherche autant dans ses lecteurs que dans son propos, même si Cendrars semble nous donner des pistes rassurantes autant que déroutantes avec sa lettre-océan » LETTRE-OCÉAN La lettre-océan n’est pas un nouveau genre poétique … La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie des lettres-océan On fait de la poésie p. 22 Passage qui pourra certainement susciter un débat nourri tout au long du livre même si les formes du débat peuvent rester allusives voire silencieuses… *** Les listes lexicales possibles sont bien évidemment nombreuses ; il semble toutefois que des pistes exemplaires puissent être empruntées et la classe pourra utiliser à bon escient des répartitions en sous-groupes étant entendu que chaque liste lexicale hiérarchisée réalisée ne peut l’être qu’individuellement puisqu’il s’agit toujours de se montrer un parcours de lecture dans l’œuvre. Observez quelques personnages rencontrés par Cendrars au long de son voyage et ordonnez-les à votre convenance ; Le narrateur du cahier livre ses impressions de voyageur au long cours, relevez-les et ordonnez-les ; Listez quelques activités des voyageurs à bord des transatlantiques telles que décrits par le narrateur de ces Feuilles de route et ordonnez-les dans l’ordre de préférence de ce même narrateur. Il s’agit, on l’aura compris, de pénétrer la voix narrative, d’en comprendre les accents, d’en saisir la force jusque dans son ironie parfois grinçante et sa porosité aux clichés de l’époque quoiqu’elle ne cesse de s’y opposer – perdons l’habitude de dire que le poète pense que, parle de… et considérons en poésie comme en roman, y compris autobiographique, que le narrateur que nous préférons appeler, dès qu’il y a poème, le raconteur » n’est pas l’auteur ! *** Les instantanés théâtraux peuvent avoir pour objectif de montrer le travail d’écriture pensive et aventurière de Cendrars écriture au présent de l’écriture. Cendrars donne toujours l’impression du poème en train de s’écrire au moment du vivre. On pourrait donc proposer aux élèves de dire tel ou tel passage de leur choix en mimant leur écriture machine à écrire ou plus certainement traitement de texte avec vidéo-projecteur si le collège a les moyens. Ce mode de diction en écrivant – même fictivement car un diaporama projeté peut très bien avoir déjà écrit le texte qui se projette s’écrivant – permet à la voix de s’intérioriser dans son passage au public. Un exemple avec trois poèmes » qui vont ensemble p. 34-35 L’ÉQUATEUR L’océan est d’un bleu noir le ciel bleu est pâle à côté La mer se renfle tout autour de l’horizon On dirait que l’Atlantique va déborder sur le ciel Tout autour du paquebot c’est une cuve d’outremer pur LE PASSAGE À LA LIGNE Naturellement j’ai été baptisé C’est mon onzième baptême de la ligne Je m’étais habillé en femme et l’on a bien rigolé Puis on a bu JE NAGE Jusqu’à la ligne c’était l’hiver Maintenant c’est l’été Le commandant a fait installer une piscine sur le pont supérieur Je plonge je nage je fais la planche Je n’écris plus Il fait bon vivre Ce passage de la ligne l’Équateur peut être lu comme un passage à la ligne dans l’écriture, passage qui renverse toute l’écriture comme l’Équateur traversé renverse les saisons. Ce qui rappelle le sérieux d’une anecdote dans l’écriture aller à la ligne. Sérieux qui aussitôt peut aussi faire rire, défaire le sérieux de l’écrire je n’écris plus »… L’instantané théâtral peut suggérer ce passage à la ligne en créant cet espace brisé et renversant espace qui doit d’abord s’entendre dans la diction qui explorera les modes du passage à la ligne liées et séparées, les lignes inventent une danse de la voix… *** Les écrits à la première personne emprunteront bien évidemment le genre » qui n’en est pas un ! de la lettre-océan. La plus grande liberté est possible quant aux signataires de ces lettres-océan un papillon » Un papillon grand comme la main est venu virevolter tout autour du paquebot / Il était noir et jaune avec de grandes stries d’un bleu déteint », p. 39 ou un ouistiti » j’ai acheté trois ouistitis que j’ai baptisés Hic Haec Hoc », p. 78 ; voir aussi p. 82 peuvent fort bien en être les signataires ; mais le charpentier » p. 82 ou encore Christophe Colomb p. 83 peuvent signer de belles lettres-océan en écho à celles de Cendrars. La mythologie personnelle de Cendrars pourrait aussi venir nourrir une lettre-océan signée d’Orion, sa constellation de prédilection p. 30 qui est sa main montée au ciel » p. 34. L’écriture de telles lettres demandent de se nourrir du poème, de ne pas hésiter à le citer, de glaner des documents dans les dictionnaires, bref, de dériver, de voyager dans et par l’écriture. Didactiquement, il est certainement préférable d’orienter la liberté dans un projet d’écriture qui montera progressivement en puissance. Par exemple, en suivant une progression de ce type 1. Écris la réponse à la Lettre » p. 13 ; 2. Europe » répond à la lettre En route pour Dakar » p. 17-18 ; 3. Cendrars a trouvé une lettre-océan » dans un cachot » de Gorée » p. 24 mais ne l’a pas publiée ; tu décides de nous la montrer ; 4. Orion envoie une lettre-océan » à Cendrars voir p. 30 et 34 ; Etc. Avec Valérie Rouzeau et Pas revoir Ce petit livre est un grand livre. Cela commence par son titre son attaque qui fait entendre la première syllabe de l’être cher disparu Papa » ; sa syntaxe ouverte, béante sur tout ce qui s’y entend si fort mais qui ne peut être nommé, seulement suggéré ; son refus du syntagme figé au revoir » des rituels relationnels y compris avec les morts, son refus du semblant, cette exigence de dire vrai, non le vrai ; son anonymat qui crie l’énonciation la plus singulière parce que justement s’y entendrait cette voix d’enfant – peu importerait son âge – qui s’affirme face au père et avec lui, dans ce face à face où l’altérité la plus grande la mort devient forme de vie. Donc, un grand poème de vie, non qui rend vie, mais qui vit, donne vie à qui l’entend, le lit. Soixante-dix-neuf stations d’un thrène au père font de ce livre une course éperdue Toujours courir » de Toi » à mon père », premier et derniers mots du livre tout le contraire d’une lente remémoration, d’une commémoration. La mémoire est au présent d’une syntaxe qui récupère, évacue, redistribue, un peu comme le père faisait dans son métier avec son camion. Les voix s’emmêlent pour peut-être mieux entendre celle qu’on cherche à écouter ça va quand on demande moi je dis bien surtout s’il y a du monde je prends sur moi très bien ». Et c’est dit très fort Tu me fais marcher ». Car ce long poème est aussi le rythme d’un sujet qui travaille son écoute, l’affine, parce que justement la voix du père résonne la voix de sa fille, et l’inverse Les fleurs seront bientôt très bleues. / Mon œil, tes yeux ». Le thrène n’est pas un chant désenchanté mais l’échange comme enchanteur Tu as mes fleurs j’ai ton sourire on est quittes ». Et c’est par moments, un bouquet d’air, presque une voix qui comptine, un rire quand pas les mots ». Et c’est à la fin Ma main là posée sur la table de dehors. / De la même couleur que sa main à mon père. » Le poème a juste mesuré, et mesuré juste il faudrait dire rythmé, car rien n’est calculé et tout est trouvé, cette distance deux phrases ou lignes séparées par un point et cet échange extérieur/intérieur ; ma main » / sa main ». A-t-il aussi trouvé la couleur à mon père » ? La lamentation serait alors un hymne à la vie ? Les grands poèmes font vivre pas revivre nos morts. Pas revoir en est un, il participe, à sa manière de poème, d’une invention de l’anthropologie du quotidien, de la mort dans et avec la vie, dont nous avons tous le désir quand ce n’est le besoin. Toutes les activités que nous avons proposées dans les séquences précédentes viennent ici empêcher que l’on réduise ce livre, comme les précédents, à ce dont il parle car ce qui compte avec les poèmes c’est de s’intéresser à ce qu’ils nous font, à ce qu’on fait avec eux au dire plus qu’au dit, au sentir plus qu’au senti, au ressentir plus qu’au ressenti, etc. C’est pourquoi on raterait le poème de ce livre si sa lecture était d’emblée placée sous le signe de son genre le thrène ou chant pour les morts ou de son thème la mort du père… Les activités proposées, si elle n’empêche pas la problématisation générique ou thématique visent d’abord à laisser agir les lectures au plus près de chacun et de tous dans les circonstances de ces lectures. *** La première activité attire l’attention des lecteurs sur les passages jugés difficiles bizarres » si l’on préfère en les ordonnant par ordre de difficulté ou, si l’on préfère, de bizarrerie ». Il ne s’agit pas de résoudre » ces difficultés mais seulement de montrer par ces prises d’abord hasardeuses que le poème fait système et que telles difficultés locales va soudain s’éclairer du contexte ou d’occurrences semblables. La consigne peut se préciser ainsi Relève quelques passages qui te paraissent difficiles. Attention pas plus d’un par page les 79 stations » ! Ordonne ces passages par ordre de difficulté ». Apparaîtront donc des similitudes et donc ainsi certaines difficultés s’élimineront d’elles-mêmes quand d’autres seront rendues moins difficiles par comparaisons et, forcément, relectures. Quelques exemples La première station en offre bon nombre mais suivons la consigne Toi mourant man au téléphone pernoctera pas voir papa p. 7 Comment lire ce verset » ? Où découper les syntagmes signifiants ? Tout s’enchaîne et pourtant… tout est suggéré dans cet enchevêtrement, dans ce chamboulement des habitudes que fait la mort au langage, à la vie, jusqu’à inventer des mots pernocter »… Il y aurait peut-être des coquilles dans ce livre La neige a ses rêves qu’elle ignore de tant tomber de ciel sur nous p. 13 On dit toujours tomber du ciel » ! Mais ici c’est le ciel qui tombe ! Et puis plus bas, l’accord n’est pas fait pour la neige » quand il semble fait pour la voix » Beau neige voix blanche. p. 13 Etc. Mais on retiendra pour montrer la direction de cette activité un des faits les plus saillants de tout l’ouvrage et qui en constitue certainement l’enjeu Je prends son vélo à mon père. p. 31 Ma main là posée sur la table de dehors. De la même couleur que sa main à mon père. p. 85 Ce doublement du possessif est bien autre chose qu’une faute » enfantine ou populaire » la duplication est l’écriture d’un échange qui met les corps et le langage dans le mouvement d’un passage réalisant ainsi une transmission réciproque masculin/féminin, troisième et première personne…. *** On peut alors s’engager dans les instantanés théâtraux qui chercheront ces passages de voix. Prenons un seul exemple pour montrer l’enjeu de cette recherche, par ces essais qui doivent bien évidemment être multiples, se jouer seul ou à plusieurs, une fois ou de nombreuses fois en variations infinitésimales… Te parler papa j’ai pu te paparler un peu un petit peu paparce que nous n’avions plus tout le temps. p. 30 Le bégaiement écrit n’est pas un symptôme d’un hors-langage deuil qui empêche de dire… mais l’écoute dans le discours de ce qui le double, de ce qui va plus vite que lui, de ce qui vient dans le dire avant le dit l’appel de l’interlocuteur envahit tout le dit et met le dire te dire » au premier plan. Ce qui laisse une marge plus qu’importante à la force de l’adresse que toute diction cherchera à trouver dans des gestes et d’abord dans des gestes de paroles pensons aux postillons que l’occlusive ne manque pas de lâcher !. Alors les répétitions qui suivent ne sont plus les tics d’un bégaiement mais les gestes d’une relation qu’il faut faire entendre, faire voir, faire sentir et d’abord en les sentant dans sa bouche Te parler papa j’ai pu te paparler un peu un petit peu paparce que nous n’avions plus tout le temps. Dehors le monde ses oiseaux blancs comme des avions, le mur du son. Tes mains sur le drap blanc jaunissaient jaunissaient. Ils n’ont sûrement pas le droit de voler aussi bas pas pas le droit de voler aussi bas tu disais. Même même le blanc de tes yeux était jaune nous alors nous sommes tout pardonné. p. 30 *** Ce livre de poèmes est également un parcours dont les lecteurs peuvent reconstituer les étapes les stations » si l’on veut filer la métaphore chrétienne avec la Passion du Christ qui constitue certainement dans la tradition littéraire un des grands topoï du passage de la vie à la mort. L’écriture d’une anthologie légèrement commentée du parcours de la narratrice en choisissant des lieux-moments clés de ce parcours, mettrait en valeur cette dimension organisatrice du livre. Il y a des lieux qui suivent l’agonie, l’enterrement, l’après…mais ces lieux d’une temporalité linéaire qui rendraient compte d’un destin et donc d’une fin qui achèverait la vie, sont doublés voire multipliés dans tous les sens par d’autres lieux, lieux-souvenirs, lieux-avenirs, lieux-rêves, lieux-dérives…, qui alors mettent le récitatif plus fort que le récit, le poème plus fort que le destin, la vie incluant la mort, le vivant des voix plus fort que l’écho mortel, le pas revoir » d’un appel plus fort que l’au revoir » d’un adieu. On saisira pour l’exemple ces passages de lieux dans ce poème-comptine qui fait entendre bien d’autres poèmes de Charles d’Orléans à Guillevic en passant par Apollinaire Mon père mon père mon père en terre au vent d’été au vent d’hiver. Oh mon père terra terraqué je te répète perroquet mon père mon père. Au vent d’hiver au vent d’été en terre entier au vent chanté. Enfant dans les grands sapins verts c’était toi qui sifflais soufflais enfant dans les grands sapins blancs. Mon père je te répète en l’air c’est une fleur lancée assez haut. Les deux pieds dans tes graviers clairs. Les mains pour la fleur ou l’oiseau. p. 57 Les lieux circulent de la tombe gravier à l’air », de la terre » au ciel, de l’ hiver » à l’ été », de la fleur » à l’oiseau » mais aussi de l’enfance à maintenant, du vert au blanc, des pieds aux mains, du siffler » au souffler », etc. Ces itinéraires commentés doivent rester toujours fort singuliers et les lieux les plus incongrus peuvent donner à voir autant de parcours de lecture qui sont des parcours vivants dans le livre. *** Enfin, l’écriture de paroles donnés aux sans-voix du poème permettrait de laisser entendre le débat qui ne manquera pas de sourdre pour chaque lecteur entre tristesse et joie, tendresse et révolte, détresse et joie de vivre, mutisme et jubilation volubile… C’est qu’il n’y a pas à choisir mais à entendre toutes ces voix qui nous traversent et forment le chœur d’un poème de vie. Ce poème part certes d’une disparition mais il fait repartir d’une force de vie. Le défi maximal serait de faire entendre la voix du père mort, de faire entendre sa vie non seulement en reprenant des souvenirs que le poème fait revivre mais également en trouvant des accents de vie dans une voix qui répondrait jusque dans son silence Tu n’écoutes plus rien si je parle plus bas. Ni tu n’entends plus rien des guêpes qui s’occupent de piquer les lilas. Ni n’en vois la couleur ni celles que j’ai sur moi. Ces bottes sont faites pour marcher tu ne chantes plus ça. C’est de la haute fidélité ton silence m’arrête là. p. 34 Après que les élèves du cycle 2 ont commencé la rencontre avec des œuvres poétiques, les élèves du cycle 3 vont augmenter leur capacité de faire œuvre en cherchant à augmenter tout ce qui fait la force d’un auteur et en particulier en percevant qu’une œuvre est toujours une force en mouvement qui peut inclure plus d’un texte, qui ne sait jamais où elle commence ni où elle finit. Avec une anthologie thématique, La mer en poésie Comment lire une anthologie en classe ? S’il est vrai qu’une anthologie conséquente comme celle que nous proposons ici ne peut exiger sa lecture intégrale, il n’empêche qu’il s’agit d’amener les élèves à sa lecture dans tous les sens et donc à une lecture du livre pour en comprendre les choix, les valeurs et les enjeux. L’anthologie, de ce point de vue, est un excellent terrain d’entraînement pour la lecture critique. La table des matières du livre offre la liste des auteurs et surtout l’origine bibliographique des extraits qui constituent l’anthologie thématique. Véritable bibliothèque poétique qui mêle connus et inconnus, célèbres et oubliés, cette table est toutefois incomplète puisque les titres des poèmes, quand ils existent, n’y figurent pas. Pire, on ne voit pas à sa lecture si une organisation quelconque préside à l’ordonnancement des poèmes. Ces lacunes apparentes peuvent être prétexte à des interrogations qui relanceront fortement les activités proposées. Le dossier pédagogique sera laissé à l’usage libre des élèves car il nous semble ne pas répondre à notre objectif, lire une anthologie, quand il sollicite simplement des activités plutôt occupationnelles non justifiées par cette anthologie. La plupart des activités consisteront à mobiliser les élèves dans des activités anthologiques quitte à faire mieux – c’est le défi – que l’anthologie convoquée, du moins à engager une critique anthologies d’anthologie… pour suggérer que la lecture n’est rien moins qu’une activité d’écriture anthologique et que toute écriture est une anthologie de lectures. *** La liste lexicale hiérarchisée peut viser en plusieurs séances, au fil des lectures qui vont parcourir linéairement ou sauvagement » l’anthologie, à constituer un répertoire de morceaux choisis généralement courts incluant le mot mer ». Ce répertoire devra être hiérarchisé en suivant le degré d’évocation proposé par chaque fragment. Les critères de la hiérarchisation s’ils restent toujours subjectifs sont toujours discutables et donc permettent de mettre en valeur les critères d’appréciation construits par les élèves. Depuis la citation de Baudelaire Homme libre, … / La mer est ton miroir … » jusqu’à celle de Saint-Pol Roux Océan // Ciel à l’envers », des résonances s’entendent mais d’infimes gradations peuvent aussi s’établir métaphore abstraite puis concrète ou extériorisation d’une subjectivité puis personnalisation d’un élément objectif… Et la quête se poursuit avec Guillevic Mer de ceux qui veulent y mourir » et Maurice Fombeure Si la mer touchait à la nuit »… Si la consigne paraît trop difficile, la simple recherche des occurrences de mer » et leur hiérarchisation peut suffire pour aboutir aux mêmes discussions et appréciations plus ou moins attentives au travail poétique qu’engage cette anthologie. *** Les instantanés théâtraux viseront de la même manière à monter des passages qui s’enchaînent d’un poème à l’autre enchaînements thématiques ou autres qui feront entendre un parcours de lecture seul ou à plusieurs. Ici, le travail en petites équipes est à encourager pour augmenter les lectures en les mutualisant. Le prétexte actif aux enchaînements peut être le passage d’objets, de mots, de matières, de lumières – des lectures qui incluent un éclairage, voire une projection de diapositives ou d’ombres colorées, seraient propices à cette anthologie vivante. Loin d’aboutir à un quelconque spectacle, cette activité n’a pour objectif que de faire vivre la lecture dans et par l’activité corporelle dont la voix constitue le cœur le plus vivant, le plus extime », c’est-à-dire nouant sans faire appel aux intentions explicites l’intime d’une lecture à son exercice public – étant entendu que le public ici convoqué l’est toujours dans l’égalité du partage et de l’échange réciproque des lectures, donc du respect de chacune. Des montages plus faciles peuvent être réalisés les poèmes de Jules Supervielle présents dans l’anthologie, tous les poèmes s’intitulant Marine », etc. *** La réalisation de documentaires » avec tous ces poèmes peut rappeler des expériences éditoriales fréquentes en littérature jeunesse mais tout particulièrement celles qu’a initiées Georges Jean voir Jean, ????. Rassembler des citations autour d’objets marins » présentés thématiquement bateaux et marins, plages et tempêtes… ou encore réaliser un glossaire de tel ou tel aspect de la mer » avec, pour chaque entrée du glossaire », une citation ou plusieurs bien référencées, prises à un ou plusieurs poèmes de l’anthologie, voilà de quoi relire et proposer une lecture dans et par l’écriture anthologique. Exemple de réalisation par un élève sur le premier tiers du livre Petit glossaire des bateaux de La mer en poésie Baleinière Alors dans sa baleinière le père tout seul s’en est allé » Jacques Prévert, La pêche à la baleine » Barque L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ? » Victor Hugo, Oceano Nox » ; Sur la mer blanche de colère, par cette blanche nuit de neige, les barques plongent, aux arpèges de la rafale et de la mer » Paul Fort, Puisqu’il faut toujours que l’on parte » ; La barque est belle fille / Du flèche à la quille » Saint-Pol Roux, Prière à l’Océan » Caravelle … penchés à l’avant des blanches caravelles, / Ils regardait monter en un ciel ignoré / Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles » José Maria de Heredia, Les conquérants » Cargo Au loin un cargo fait naufrage » Jacques Prévert, Le gardien du phare aime trop les oiseaux » Esquif Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ; / L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots ! » Victor Hugo, Oceano Nox » Felouque La felouque a coupé l’étreinte de leurs mains / … / La felouque glisse au creux des vagues de guerre » Robert Arnaud, Le pirate d’Alger » Motogodille Maintenant les autres vont me pourchasser en motogodille » Jacques Prévert, La pêche à la baleine » Navire En pierre mon navire s’embosse à la Terre » Saint-Pol Roux, Prière à l’Océan » Nef Lente la nef cambre les muscles de son torse » Robert Arnaud, Le pirate d’Alger » Vaisseau Et comme un jour les vents, retenant leur haleine, /Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux » La Fontaine, Le berger et la mer » ; Voici rentrer l’officier de marine, / … / Il dit combien de vaisseaux il a pris » Charles Cros, Chanson de la côte » ; Démon de verre cassant des vaisseaux comme on casse des noix » Saint-Pol Roux, Prière à l’Océan » En vue d’un tel écrit, on pourrait envisager la collaboration de plusieurs élèves mais rappelons que jamais l’exhaustivité n’est l’objectif et que l’engagement personnel jusque dans les erreurs est une condition de l’appropriation puis de la discussion avec l’œuvre. *** Donner la parole à la mer en réalisant un montage de citations des poèmes de l’anthologie permettrait de boucler » ces activités en laissant toutefois l’écriture dériver et donc les citations passer dans l’écriture des élèves les citations se perdant donc dans l’écriture deviennent ainsi non seulement la parole de la mer mais la parole de chacun des lecteurs. Exemple de réalisation L’Océan parle à la suite de Claude Roy, Guillaume Apollinaire, Pablo Neruda, Paul Verlaine et Victor Hugo Je suis beau je suis sel je suis vent je suis bleu Je suis immense et fou je suis avide et tout Autour de ta maison il y a moi que tu connais Et qui ne repose jamais Et j’œuvre en ton silence Tu ne reposes pas auprès de ce rocher Je palpite sous l’œil de la lune en deuil et palpite encore Je vais, viens, luis et clame Le sombre oubli que jette le temps sur tous ceux que j’enfouis Avec Anacoluptères de James Sacré Ce petit livre porte jusqu’au bout son énigme avec un plaisir certain qui demande toujours de revenir en arrière souvenirs d’enfance et d’aller de l’avant surprise d’un poème qu’on n’attendait pas comme ces fourmis qui vous montent dans les jambes…. On comprend qu’il ne s’agira jamais d’en venir à bout – qui prétendrait maîtriser le monde des insectes, monde infini comme celui des poèmes… On comprend aussi qu’il s’agira de beaucoup s’amuser tout en se posant des questions redoutables la mort rôde ou plutôt l’expérience élémentaire de ce pouvoir d’écraser, de punaiser n’importe quel insecte avec les meilleurs prétextes…. Ce petit livre et les lectures qu’il va entraîner demandent l’attention la plus forte possible aux toutes petites choses qui vont s’y faire un peu comme un collectionneur d’insectes sait que la valeur de sa collection est dans les toutes petites différences. Le titre constitue à lui seul une énigme qui peut-être le restera après la lecture des élèves… mais ces titres énigmatiques ne sont-ils pas ceux qui laissent le plus de souvenir parce qu’ils éveillent la rêverie. Ce titre est un mot valise qui emmêle anacoluthe » et coléoptères », donc deux types d’observation concernant le langage et le monde. Ce qui montre bien que ce petit livre possède dès son titre une réversibilité des plus actives. ANACOLUTHE. Ce terme est utilisé traditionnellement et encore par Littré pour désigner deux phénomènes syntaxiques différents. La tradition grammaticale faisait de l’anacoluthe l’emploi du pronom relatif sans antécédent par exemple il y aurait ellipse de là dans Il va où le devoir l’appelle, ou de celui dans Qui vivra verra. L’anacoluthe est définie, plus généralement, comme une rupture de construction, un changement d’orientation, une asymétrie pouvant produire divers effets surprise, suspens, etc. En fait les exemples classiques relèvent d’une possibilité très générale le déplacement à gauche » ou thématisation » Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court… ». Demougin, 1985 COLÉOPTÈRE gr. koleos, étui, et pteron, aile. Coléoptères ordre d’insectes à métamorphoses complètes, pourvus de pièces buccales broyeuses et d’ailes postérieures pliantes protégées au repos par une paire d’élytres cornés, comprenant plus de 300 000 espèces parmi lesquelles le hanneton, le charançon, la coccinelle, etc. Larousse, 1995 Les activités avec ce livre vont tenter de tenir cette réversibilité jusqu’au bout, réversibilité qu’il faudrait d’ailleurs généraliser description et narration, vers et proses, réflexion et divagation, etc. *** Viser un premier parcours dans l’œuvre demande de hiérarchiser un lexique. Ce livre commence et finit par une liste alphabétique de coléoptères Liste quelques-uns de ces coléoptères en commençant par ceux que tu connais ». Ce premier lexique hiérarchisé précède un second qui semble indispensable à un premier parcours personnel dans l’œuvre Relève les coléoptères évoqués par le livre de James Sacré – en excluant ceux listés au début et à la fin de l’ouvrage – puis énumère-les dans l’ordre de tes préférences ». Les élèves apercevront dans les échanges qui s’en suivront bien des spécificités de l’ouvrage le premier fragment signale le cétoine et le calosome », si le premier est mentionné dans la liste ouvrant le livre, le second ne l’est pas ! le second qui est consacré au carabe doré » s’achève sur les cicindèles » les deux figurent dans la liste mais on ne comprend pas facilement le rapport entre eux ; le troisième consacré au criocère », lequel ne figure pas dans la liste augurale, mais les coléoptères évoqués avec lui sont des paysans perchés dans les peupliers » ! qui pourraient – pourquoi pas ? – venir compléter la liste des coléoptères… ; les fourmis » évoquées dans le cinquième fragment sont-elles des coléoptères ? si l’on en croit le Larousse illustré, non ! puisque les hyménoptères, s’ils sont des insectes, ne sont pas des coléoptères ! Le livre s’ouvre donc à une découverte des insectes plus que des coléoptères au sens strict ! Sans compter que maman » est comparé par le narrateur à une grande fourmi dans le temps » ! etc. sans oublier le termite » et non la » ! qui est inclus sur la liste des isoptères… Conclusion du narrateur à propos du dictionnaire Dans le gros livre qui est un arrangement systématique des mots ça fait une dérive de vocabulaire mal tenu » 6e fragment ! De la même façon, les listes des élèves pourront mal se tenir puisque les dérives lexicales inévitables auront suivi l’imprévisibilité des passages entre découverte du monde et dérive langagière. Ces réversibilités tenues jusque dans les listes répondent au poème Un poème comme un doigt levé ou comme Un coup de balai bien donné, vraiment, Le voilà-t-y qui ruse encore, Autrement que j’ai pu penser ? 13e fragment Précisons-le à cette occasion cette activité qui généralement ouvre les lectures-écritures-jeux avec les livres de poèmes demande à l’enseignant d’accepter et même d’écouter au plus près toutes les propositions des élèves autrement qu’il a pu penser »… C’est certainement dans ces altérités » de la pensée, dans ces imprévus de la didactique que se construisent les valeurs de l’œuvre. Si, par exemple dans la classe, un débat prend sur l’inclusion ou non de la nicole » fragment 16 qui ne figure pas dans la liste du livre mais qui bien évidemment semble être le nom pour la coccinelle, l’occasion est belle de faire travailler la confusion toujours forte de l’expérience personnelle et de la connaissance du monde parce que, comme dit le narrateur au fragment 18 Peine perdue de pas le croire, tu joues / À transformer la bestiole et ton poème en je. » Dès l’écriture de liste lexicale hiérarchisée, l’enjeu c’est bien de faire venir ce je » qui n’est pas le moi » de l’individu, ou de l’élève mais le sujet d’une activité que le poème seul peut faire advenir au cœur du langage. Des variantes de consignes sont tout à fait possibles faire une liste non exhaustive des souvenirs d’enfance du narrateur et les ordonner dans l’ordre d’importance ; faire une liste non exhaustive des comparaisons que le narrateur effectue et les ordonner à sa convenance ; etc. *** La seconde activité demanderait de laisser une grande liberté de choix aux élèves avec une consigne à la fois très ouverte et extrêmement ferme choisis un passage du livre – pas trop long – et joue-le en l’accompagnant d’un geste fort et d’un objet évocateur ». Cette association du fragment textuel, d’un geste et d’un objet oblige les élèves à chercher entre l’illustration littérale et l’analogie la plus suggestive possible leur voix propre que peut seul permettre une mise en espace rapide mais décisive. Exemples de réalisations sachant bien que mille autres sont possibles et qu’aucun modèle ne peut ici intervenir ; on considèrera également que la classe est par ailleurs entraînée à des activités régulières de jeu dramatique avec les textes littéraires instantanés théâtraux Maman s’en va, j’entends mal ce que dit maman… maman comme une grande fourmi dans le temps » peut faire entendre un À l’âge que t’as ! » dit par une mère qui est trop prise par ses occupations domestiques entre les deux parties de ce fragment ; ce qui oblige le joueur à se dédoubler et à remplir » la suspension qui sépare ce court fragment. Qui c’est qu’a peur des libellules ? / Petites filles princesses dragons » l’adresse demande d’interpeller fortement le public, de lui décrire en deux temps trois mouvements des métamorphoses subites petites filles=>princesses=>dragons… La nicole. Le seul insecte à qui presque on donnait de l’affection. La voilà montée au bout de ton doigt, du côté qu’elle s’envolera tu te marieras ! » finir sur une comptine en ayant joué des doigts auparavant facile et difficile car il faut se retenir et faire tenir toute la diction sur un doigt… L’enseignant peut aussi faire jouer toute la classe dans une course à la liste des insectes diction articulée mais rapide, diction sans compétition mais pour que chaque voix fasse entendre sa propre polyphonie diction qui prend bien entendu place dans l’anthologie sonore de chacun. *** L’écriture documentaire avec ce livre de poèmes semblerait couler de source puisque le poème parle d’insectes » fragment 13 et qu’il évoque les soixante-dix illustrations en noir et une planche en couleurs pour les seuls papillons » dans le dictionnaire Larousse de mille neuf cent soixante-trois » dessine la planche des anacoluptères de James Sacré en utilisant comme légendes des citations de cet ouvrage » ! Mais ne pourrait-on pas le faire parler d’autre chose… et par exemple de poèmes réalise une anthologie des passages de ce livre qui parle de poésie » ou bien encore de souvenirs confectionne un album des souvenirs du narrateur de Anacoluptères un peu comme un album photos de famille »… Plus qu’en cycle 2, les élèves vont maintenant chercher à mieux coudre » les éléments de leur documentaire. De deux points de vue soit en proposant un court texte de présentation des éléments regroupés chapeau d’introduction ou quatrième de couverture du livret, soit en liant les éléments du documentaire avec des titres qui s’enchaînent voire se répondent, ces titres pouvant même ouvrir à de courts textes de liaison qui montrent une progression, un ordre de présentation. Exemple de réalisation d’un petit livret anthologique commenté des illustrations peuvent l’accompagner, en l’occurrence, collage de photocopies de dictionnaires divers couverture Nom et prénom de l’élève-auteur pseudonyme possible Les poèmes du poème de James Sacré Éditions de l’école X p. 1 Le poème rassemble Il collectionne une tellement courte collection » Il arrange que ça fasse un parterre de ces mots un poème » Il ordonne tout un dictionnaire vivant » p. 2 Le poème accueille Il s’ouvre au monde ramener du printemps dans les mots d’un poème » Il s’ouvre aux mots c’est plus que des mots » p. 3 Le poème se cache Dans le corps des poèmes comme des fourmis dans les jambes » Dans le langage tu joues à transformer la bestiole et ton poème en je » p. 4 Le poème surprend On ne sait pas exactement où il est une ruse pour surprendre en l’arrangement de ses propres mots ce qui le fait poème, ou si vraiment c’est pour être mais comment ? avec la nicole qui voulait pas s’envoler de nos doigts d’enfants, ou le barbot lent que maman balayait vivement de la chambre humide sans surtout l’écraser ? » quatrième de couverture Dans son livre Anacoluptères, le poète James Sacré parle de la poésie. Il va chercher les poèmes dans les petites bêtes. Il a parfois envie de les écraser mais il les laisse vivantes. Pour lui, les poèmes sont comme des insectes bien vivants. Alors, découvrez la poésie comme on découvre le monde des insectes. *** Les insectes n’ont pas vraiment la parole dans ce livre de poèmes. Donnons-la leur ! Il s’agit de répondre au narrateur ou bien encore de les faire dialoguer entre eux à propos de cet ouvrage, de ce poème voire d’un fragment seulement. Le choix peut rester libre ou bien un projet peut aider chacun à progresser. Exemples de consignes Le carabe doré ou le criocère prend la parole afin de commencer par une ou plusieurs reformulations à la première personne du texte descriptif du narrateur ; La nèpe, la punaise et le termite du Larousse de 1963 échangent leurs impressions on peut lire des Larousse ultérieurs sur les articles qui leur sont consacrés et sur ce qu’en dit le poème ; L’araignée du fragment 17 répond au narrateur qui avait une familiarité méchante et joueuse avec ce qui était déclaré mauvais » et qui tuait occasionnellement un insecte »… Les insectes épinglés dans l’espèce de tiroir … selon l’ordre » que lui a montré un livre sur les insectes, discutent entre eux du collectionneur d’insectes devenu poète… Nous proposons deux séquences avec des œuvres pour le cycle 2, l’une avec une œuvre classique et l’autre avec une œuvre contemporaine ; paradoxalement la seconde est certainement plus facile que la première car le texte est moins important et donc elle devrait prendre place avant la première présentée ici dans le cursus de l’élève. Mais tout est relatif dans de telles progressions, car il est tout à fait envisageable de reprendre une œuvre et c’est ce que nous proposerions concernant celle de Desnos qui est un incontournable dans un programme » poétique à l’école et au collège. Nous la verrions bien abordée au cycle 2 puis reprise en début de collège ! Avec Robert Desnos Chantefables et Chantefleurs C’est l’année de son arrestation que Robert Desnos 1900-1945, en 1944 donc, porte à Michel Gründ un manuscrit de trente Chantefables à chanter sur n’importe quel air que René Poirier publia dans sa collection Pour les enfants sages » avec des illustrations d’Olga Kowalewsky. Ce n’est qu’en 1952 que ces poèmes furent édités accompagnés des Chantefleurs dans une édition illustrée par Christiane Laran à la Librairie Gründ, et il fallut attendre 1955 pour que paraisse une édition définitive comprenant 80 poèmes qui, depuis lors, eurent le succès que l’on sait auprès des enfants des écoles. Mais Desnos lui-même notait, non sans modestie, dans son journal de février 1944 que ces Chantefables seraient la part la plus durable de son œuvre, ce qui n’est pas sans témoigner d’un grand respect et d’une grande confiance pour ses jeunes lecteurs. De l’alligator au zèbre et de l’angélique à la violette, ce bestiaire doublé d’un livre des fleurs rassemble ce que certains appellent des comptines » Par exemple, Marie-Claire Dumas, éditrice des Œuvres 1999 qui s’achèvent sur ce recueil. On observera d’ailleurs d’une édition à l’autre d’infimes différences ponctuation, majuscules… ; ce qui pourrait engager les élèves dans des lectures attentives d’une édition à l’autre pour tenter de donner valeur à ces différences. *** Autour de séances qui s’ouvrent toujours avec des lectures à voix haute de nombreux poèmes – chaque séance pouvant recommencer par des rappels des poèmes antérieurs celui que vous voulez qu’on relise »… – la séquence commence par la réalisation de listes. Si tout est possible car l’objectif premier consiste à ce que les élèves se fraient chacun un chemin lexical » et donc une mémoire lexicale dans l’œuvre, il semble fort judicieux de partir avec des listes de rimes. Syllabes, mots, syntagmes ? On doit surtout laisser les élèves décider par eux-mêmes des unités à convoquer dans leur recherche – cela fera d’ailleurs l’objet de discussions après comparaisons… Consignes 1. cherche au moins trois séries de rimes ; 2. ordonne ces séries dans l’ordre de tes préférences. Modalités travail individuel d’abord avec, selon le niveau, coloriage au crayon puis notations sur le cahier ou notations directes ; puis échanges en petits groupes avec échange collectif dirigé pour faire émerger quelques trouvailles et questionnements ; enfin, chacun retient une ou deux remarques qu’il fait siennes sur son cahier. L’intérêt est double la définition de la rime est à construire et doit absolument rester ouverte, discutée et discutable – de ce point de vue, les notations des élèves sont d’une importance cruciale découpage, mise en rapport… et il sera important de les faire expliciter dans la mesure du possible en respectant les trouvailles et même les incohérences voire les erreurs éventuelles ; étant donné l’importance des rimes dans ces poèmes, leur manipulation par les élèves permettront de nombreuses remarques et surtout les points d’appui essentiels pour la mémorisation non pas pour tout retenir mais pour pouvoir aisément survoler le corpus de poèmes et surtout s’imprégner de la culture prosodique de Desnos. *** Deux activités parallèles peuvent alors s’engager, l’enseignant se chargeant principalement d’aider, ne serait-ce que par une écoute active, la seconde activité qui demande une bonne organisation spatiale la réalisation d’une courte anthologie personnelle et de petites mises en voix ou en scène de deux ou trois poèmes à deux ou trois enfants. Consignes 1. Choisis quatre poèmes de Robert Desnos, présente-les dans un petit livret que tu illustreras. 2. À deux ou trois, choisissez deux ou trois poèmes de Robert Desnos que vous allez présenter à toute la classe. Les consignes sont volontairement très ouvertes car l’objectif est une appropriation la plus personnelle possible de l’œuvre et l’écoute des trouvailles des autres pour penser sa propre lecture, la rejouer différemment en l’incorporant par l’écrit et par l’oral, en observant les réalisations des autres lecteurs. Quelques précisions cependant pour mieux orienter ces activités sont nécessaires. *** Concernant l’anthologie, il s’agit de réaliser de petits livrets une feuille A4 pliée en 4 est largement suffisante venant s’ajouter à une collection régulièrement réalisée par chaque élève autant de petits carnets de lecture, si l’on veut. La perspective anthologique est bien évidemment importante s’agissant de l’œuvre d’un auteur classique. Chaque élève obtiendra ainsi son Desnos ! Nous nous situons dans la tradition du cahier de poésie recopier un poème d’un auteur ; en l’occurrence quatre ! Si la quantité paraît trop élevée pour certains élèves, ils peuvent se contenter de recopier quelques vers les préférés des quatre poèmes choisis. On aperçoit que le premier objectif est celui du choix la sélection des poèmes préférés dans le corpus des 80 poèmes des Chantefables et Chantefleurs l’enseignant peut avoir réduit le corpus aux 60 voire seulement aux fables ou aux fleurs… mais la quantité ne doit pas être négligeable sous peine de retirer à toutes les activités leur intérêt quelle que soit l’autonomie des élèves dans les performances de lecture ; en effet, la lecture des titres peut suffire… puis l’appropriation par le recopiage de certains de ces poèmes voire de fragments, c’est-à-dire leur passage par la main du lecteur. Cette activité prend tout son sens et ne reste pas un simple exercice de recopiage si l’ensemble forme un réel petit livret dont l’élève est rendu entièrement responsable. C’est pourquoi, il a en charge l’ordre de présentation des poèmes. Plusieurs possibilités s’offrent à lui ordre fidèle à celui de Desnos ; ordre alphabétique des titres ; ordre thématique deux animaux, deux fleurs ; seulement des oiseaux… ; ordre rhétorique ou métrique poèmes à rimes semblables ; poèmes qui posent des questions ; poèmes de huit syllabes…. Ordre choisi voire construit que l’élève explicitera dans un petit sommaire en fin de livret auquel il donnera un titre personnel et qu’il signera comme auteur en page de titre bien entendu ; si la classe est habituée à cette activité de réalisation de livret, on peut envisager une quatrième de couverture avec un court texte de présentation visant le lecteur potentiel et cherchant à le captiver… Un tel livret ne peut se passer d’un accompagnement illustratif plusieurs solutions s’offrent alors aux élèves que l’enseignant rendra ou non obligatoires en fonction des expériences antérieures. Prioritairement dans le cadre de cette activité, il s’agit de signaler que la littérature est un mode de découverte du monde. Aussi, l’accompagnement illustratif pourra-t-il tout simplement bêtement ! prendre la caractère d’une illustration de type sciences naturelles » en empruntant aux ouvrages adéquat dictionnaires, manuels… et effectuer des collages ou des décalques de ce type d’illustrations. L’intérêt didactique est double puisque les élèves croiseront des lectures lecture du poème et du texte définitionnel ou scientifique » concernant, par exemple le Zèbre ou le Souci et devront également confronter manuellement, pourrions-nous dire, texte et image et donc organiser la confrontation sur chaque page de leur livret soit en conservant un mode de confrontation, soit en le variant et l’adaptant à chaque cas… Toute cette expérience n’a pas pour objectif de réaliser des chef-d’œuvres. Toutefois, au bout d’un certain nombre d’expériences du même type, le niveau d’exigence puisse bien sûr s’accroître, mais nous proposerions plutôt d’atteindre de tels objectifs en cycle 3 et au collège. Cette expérience a d’abord pour objectif de faire expérimenter un mode de réénonciation de l’œuvre littéraire dans un temps limité mais suffisant pour que l’élève s’approprie très concrètement des fragments de l’œuvre et surtout pour qu’il commente, échange, confronte avec ses camarades les conditions hypothèses, trouvailles, évocations diverses… de cette lecture en actes. Ces échanges doivent cependant rester assez libres et c’est à l’enseignant, si nécessaire, de les susciter, de les soutenir, de les valoriser sans jamais vouloir obtenir des savoirs qui viendraient confirmer ou infirmer l’expérience des élèves, laquelle doit toujours rester ouverte à condition qu’elle soit constamment confrontée à l’œuvre elle-même. Aussi, la réussite d’une telle activité est-elle mesurable au degré d’engagement de chacun plus qu’à la qualité matérielle de la réalisation finale même si celle-ci témoignera forcément d’un engagement ; toutefois beaucoup d’élèves de cycle 2, voire de cycle 3, n’ont pas la dextérité manuelle habileté graphique… nécessaire à une réalisation magistrale ! Mais ils ont tous la possibilité de montrer qu’ils peuvent rendre compte de leur lecture par un petit objet » dans lequel ils ont investi beaucoup d’eux, de leur lecture qui a valeur dorénavant tant pour l’enseignant que pour eux-mêmes… *** Le jeu dramatique proposé avec les poèmes de Desnos doit lui aussi rester modeste tout en engageant fortement chaque élève. S’il vise certes à réciter les poèmes choisis librement par les enfants en petits groupes, chacun en apprenant quasiment par cœur un, il vise également à augmenter l’écoute des poèmes dans la bouche des autres car on ne peut se contenter dans cette activité d’un passage de trois élèves devant la classe récitant chacun son tour trois poèmes. En effet, la consigne demande de présenter ensemble et donc de savoir ce que les deux élèves ne récitant pas vont faire pendant qu’un élève récite… sans que pour autant ils soient obligés de le réciter en silence !!! c’est-à-dire de mimer chaque mot comme si le sens devait se voir dans une explicitation qui rend tout le monde idiot… Pas facile ! et pourtant pas si compliqué si nous prenons quelques exemples. Un élève sur les trois pourrait, comme dans le théâtre de Bertolt Brecht – voir l’article sur l’Opéra de Quat’sous dans –, utiliser une petite pancarte une feuille A4 bien tenue pour commencer… pour indiquer le titre du poème ou le refrain ou encore une image… pendant que le second jouerait un geste, une mimique voire montrerait un objet… Exemple La Sauterelle ». Pancarte Saute, saute, sauterelle ». Mimique l’élève assis derrière une table couché au sol… fait mine de suivre une sauterelle qui traverse la table, la scène… en le faisant discrètement pour seulement appuyer la diction de son camarade qui récite ou lit le poème. En conservant le même dispositif, une variante consiste à faire participer vocalement les deux élèves accompagnateurs pour les refrains quand il y en a, y compris avec les variantes comme dans L’Églantine, l’Aubépine et la Glycine » vers 2, Rouge, rouge, rouge et blanc. » puis vers 6, Bouge, bouge, bouge et vlan ! » et enfin vers 9, Et vlan, vlan, vlan ! » ; idem pour La Girafe » avec sans variante le refrain des vers 2 et 4 des quatre quatrains Vent du sud et vent de l’est » puis Vent du nord et vent de l’ouest ». Mais les élèves sauront trouver d’eux-mêmes des petits dispositifs simples et efficaces comme, par exemple pour La Fleur de Pommier », la pancarte indiquant Joli rossignol et fleur de pommier » et l’élève-acteur faisant tomber quelques petits flocons de coton devant la pancarte pour évoquer les fleurs de pommier qui font de la neige » en plein mois de Juillet »… Ainsi on gagnerait certainement des dictions plus lentes ou plus rapides si nécessaire mais moins scolaires » puisque les trois acteurs » doivent se coordonner, s’écouter et au fond faire passer le poème, devenir des passeurs de poèmes. Il va de soi que le dispositif n’a d’intérêt que si les élèves changent de rôle à chaque poème, que si les expériences sont partagées avec toujours beaucoup de bienveillance dans des moments et des lieux adaptés pour que l’écoute et les échanges qui s’en suivent atteignent leur objectif partager un moment poétique où beaucoup de poèmes vont s’échanger de vives voix. Concrètement, pour que tous les élèves passent, cela demande certainement plusieurs séances soit deux moments forts ou plusieurs petits qui vont ponctuer d’autres activités. *** Cette séquence ne peut s’achever sans que les élèves soient sollicités pour prendre la parole, plutôt sans donner la parole à ceux qui ne l’ont pas eue dans les poèmes de Desnos ou dont la voix ne s’entend pas – ce qui est une manière de prendre la parole en la donnant, de ne plus confondre le je » et le moi », de préserver également ce qui dans le cadre collectif de la classe ne peut se dire sans quelques risques. Ce don de parole est aussi une manière de vivre ensemble en préservant l’intégrité de chacun. La consigne est simple mais demande effectivement que les élèves s’habituent à ce genre d’activités Donne la parole à un personnage qui ne l’a pas dans un poème de Robert Desnos ». Prenons quelques exemples et montrons quelques réalisations qui vont du plagiat à l’invention folle »… Nous suivons les poèmes dans l’ordre de l’édition Gründ et nous proposons des réalisations dont l’orthographe a été revue. La Rose » parle Ah ! il m’a cueilli. Eh bien, je vais l’endormir »; Je suis rose ou blanche ou d’or / Je suis en branche pas encore éclose » ; Rose, il dit rose, mais je suis blanche ! » … Le Glaïeul », c’est le fils du Père Glaïeul » qui parle Je suis au Cap, je suis à Gand, / Je suis à Nice et à Tunis, / Et je suis à Senlis. / Je suis perroquet dans une oasis » ; Comment mon père Glaïeul sait-il où je suis ? Si encore c’était mon aïeul qui est au pôle Nord, je lui dirais d’aller au pôle Sud à mon père Glaïeul ! C’est pas tout, j’ai froid gla-gla ! » La Pivoine », c’est la marchande qui parle Pivoine, pivoine, / Qui veut mes belles pivoines ? » ; ou c’est la pivoine qui dit Je ne veux pas aller sur l’eau avec ces matelots / ils vont me laisser faner pour les beaux yeux de la marchande. » L’Alligator » pense tout en parlant au négrillon », Bonjour, mon garçon » Un tendre négrillon, ce serait bon pour mon réveillon » ; et à la fin, il pense Raté pour aujourd’hui mais demain, mon petit, je t’offrirai un bonbon et tu feras mon réveillon. » Etc. Plutôt que de faire écrire des poèmes » aux élèves, il est préférable de les faire écrire avec les poèmes et d’engager un mode d’expression qui permette à chacun de se préserver tout en ayant toute sa liberté d’écriture. Aussi, cette consigne permet d’une part de choisir le poème, de choisir le mode d’écriture en ligne, en prose, avec ou sans rimes, en reprenant tout ou partie du texte de Desnos, en ignorant complètement le poème… pour répondre au poème d’une manière personnelle tout en préservant son quant-à-soi puisque l’élève peut toujours dire que ce n’est pas lui qui parle, s’exprime, répond… étant entendu qu’il est le scribe de ce personnage qui prend la parole à partir du poème. Comme pour les autres activités, le résultat n’est pas toujours à la hauteur de ce qu’on espérerait mais l’essentiel est cette reprise par l’élève d’un fragment de l’œuvre. Reprise qui est en l’occurrence une réénonciation, une appropriation. *** Ces quatre activités conduites constituent un petit ensemble qui permet aux élèves de parcourir l’œuvre, de se l’approprier d’une manière personnelle tout en ne cessant d’échanger avec les autres. Chaque élève a ainsi la possibilité de choisir les modes de son engagement avec l’œuvre attente, observation, reprise, engouement… sans jugement de valeur et surtout sans ennui. En effet, l’enseignant veille à ce que chacun s’engage au moins dans deux ou trois des quatre activités et surtout il veille à ne pas surcharger ses élèves d’explications, de consignes et d’exercices qui souvent dégoûtent même les meilleurs. Ici les activités constituent d’abord des reprises assez libres des poèmes que l’enseignant est toujours le premier à proposer à ses élèves dans des moments de lecture magistrale. Sans que cela soit une obligation on peut conclure par un petit débat collectif ou par un moment conclusif. Par exemple, en demandant aux élèves d’échanger sur ce qui les a fait le plus rire ou ce qui les a le plus intrigués dans tous ces poèmes. Discussion permettant de remémorer les poèmes mais aussi de pointer la force humoristique, joueuse de Desnos sans qu’à aucun moment un consensus ne soit à imposer à chaque élève qui peut préserver son jardin secret, son Desnos à lui… D’ailleurs, ce moment conclusif peut consister à garder pour soi dans son carnet de lecture ce qu’on aimerait garder de Desnos après tout ce travail… Mon dernier lilas bien qui lilas le dernier », écrivait Desnos dans le Lilas » ! Avec En toutes circonstances d’Albane Gellé Ce livre de poèmes poursuit la tradition forte d’un Robert Desnos. Le refrain n’est pas sans faire penser à sa fourmi de dix-huit mètres Au 10, de la rue de l’espoir, assise sur le trottoir… une fourmi même pas noire agitait l’un de ses 937 mouchoirs. […] » Donc comme s’il y avait six refrains mais avec des variations et comme une progression puisque le dernier commence par un décidément » et propose un retour à la case départ puis retourna s’asseoir sur le trottoir » ! Six refrains ponctués de 5 couplets » comprenant chacun 6 puis 5, 5, 5 et enfin 6 séquences très courtes toutes aussi insolites afin de dessiner un univers du rêve ? du jeu ? de l’énumération ? et surtout du plaisir de dire, de la volubilité de raconter, réciter, imaginer, jouer, plus qu’avec les mots, avec tout le langage. *** On pourrait rapidement lister les consignes que nous ne commenterons pas aussi longuement que pour Desnos Liste lexicale 1. Lister au moins cinq personnages du livre ; 2. Les classer dans l’ordre de préférence et donner un titre à la liste ». Il s’agit bien de permettre à chaque élève de poser ses marques pour assurer les lectures ultérieures ; ces marques les plus diverses dont la dimension subjective ou plus certainement dont la connaissance déjà assurée monde connu » ou univers d’expérience proche » mais aussi dont les possibles surprises et plaisirs attirent, constituent autant de parcours personnels de lecture que les échanges vont faire se croiser et forcément s’ouvrir les uns aux autres. Jeu dramatique 1. Choisir un couplet du livre et le jouer seul ou à plusieurs ; 2. Apprendre par cœur un ou deux refrains puis progressivement improviser des histoires de fourmi noire ». Il s’agit de jouer la jubilation récitative du poème se raconter des histoires à dormir debout mais aussi faire tenir des histoires courtes sur leur force récitative, leur prosodie de comptine, leur entrain ludique dans et par le langage. Les ratés sont forcément de la partie et chaque partie est toujours à remettre. Documentaire Faire un bestiaire à partir du livre En toutes circonstances de quatre à huit pages avec des illustrations adéquates ». Les élèves ne manqueront pas de profiter des propositions de Alain Bahuaud, l’illustrateur des poèmes d’Albane Gellé, qui utilise les techniques du collage. Les bêtes » du bestiaire peuvent au demeurant s’humaniser ou se chosifier au gré des trouvailles plastiques et verbales… La parole vive Deux personnages de deux couplets différents de En toutes circonstances dialoguent ». La notion de personnage est ici à prendre dans sa plus grande extension. Exemples de dialogues possibles entre les chanteurs de rock » et la vieille dame » ou entre le cheval en colère » et le placard ouvert »… *** Ces quatre activités ne cherchent pas à faire le tour de tous les détails circonstances » ! du poème mais à lancer le mouvement qui l’anime celui d’une ritournelle qui met tous les sens au diapason d’une jubilation enfantine des plus écouteuses comme le montre dès le début la première séquence du premier couplet si le ciel est un peu en désordre c’est pour faire joli ? La question qui ressemble à toutes celles des enfants combien d’étoiles y a-t-il dans le ciel ? » reste néanmoins prudente un peu » vient renforcer la proposition hypothétique tout en proposant sur le mode interrogatif une réponse pour faire joli » qui empêche toute instrumentalisation du jeu enfantin. Ce que confirmerait une autre séquence prise au troisième couplet très très loin les étoiles se demandent si c’est possible une seule fois de redescendre pas pour longtemps Ces parenthèses commentatives mettent beaucoup d’humour et de prudence dans le jeu enfantin qui est toujours la tentative de refaire le monde sans le détruire, bref de le faire jouer un peu, beaucoup, passionnément… *** On peut facilement parier qu’à l’issue de ces activités, beaucoup d’élèves auront mémorisé nombre de passages du livre. Ce petit livre d’Albane Gellé les aura mis au cœur d’une parole libre, assez jubilatoire mais également pleine d’interrogations naïves ou abyssales mais toujours joueuses et, en fin de compte, rieuse pour ne pas dire rimeuse »… C’est qu’au cycle 2, on poursuit tout ce que le cycle 1 a engagé l’attention au langage dans toutes ses composantes puisque la dimension prosodique voire pragmatique des textes n’y est jamais oubliée car, à n’importe quel âge mais particulièrement à l’âge où l’on apprend à lire, la parole, qu’elle soit écrite ou orale, est à la hauteur d’un acte qui transforme le monde, change le locuteur et emporte l’auditeur. Pas de séquences poésie » sans livres de poèmes ! Ce premier impératif demande quelques remarques. Si les livres sont chers, ils restent indispensables ne serait-ce qu’un livre dans les mains de l’enseignant et les poèmes ne sont plus les mêmes ! Ils viennent du livre autant sinon plus que de la bouche du professeur ! Ces livres sont constamment à la disposition des élèves tout simplement parce que c’est l’œuvre qu’il s’agit de transmettre et non telle ou telle notion, tel ou tel savoir . Aussi on abandonnera définitivement les mauvaises habitudes qui parfois cachaient aux élèves tout ou partie de l’œuvre et du livre sous des prétextes fallacieux divers ; celui de l’anticipation étant le plus curieux puisqu’au prétexte de travailler cette faculté on interdisait aux élèves de découvrir l’œuvre en les privant de celle-ci… alors que la faculté anticipatrice n’a qu’à être exercée et si elle doit être réfléchie, elle peut l’être toujours a posteriori et non a priori allez donc au cinéma et coupez le film au bon moment, vous verrez que les spectateurs demanderont le remboursement du ticket d’entrée ! Ces mêmes spectateurs n’ont pas besoin qu’on coupe le film pour exercer leur faculté d’anticipation ! Tout lecteur sait bien qu’elle est en éveil constant ; ce qui n’empêche pas que des activités visant à observer l’activité d’anticipation, à augmenter sa puissance ne soient organisées dans la classe, mais jamais elles ne doivent l’être au détriment de la découverte d’une œuvre littéraire et encore moins poétique ! C’est pourquoi, toutes ces séquences visent à faire connaître le plus rapidement possible l’intégralité de l’œuvre ; la première condition étant que le livre soit toujours accessible pour tous et chacun. Le mieux étant certainement que chacun en dispose mais les conditions matérielles de l’enseignement ne le permettant pas toujours, l’enseignant saura le mettre à disposition de chacun par divers moyens un livre par groupe d’élèves, un livre par élève pour un groupe qui réalise une activité avec l’œuvre pendant que les autres font autre chose dans un autre domaine et quoiqu’il en soit le livre présent dans la classe, bien visible et lisible à tous moments en classe. Le lecteur de ces billets ne manquera pas de lire l’ensemble de ces séquences indépendamment du niveau dont il est chargé car nous développons des points particuliers dans chaque séquence et inversement nous passons plus rapidement sur des aspects déjà traités dans des séquences antérieures. Tout particulièrement, le lecteur lira la première séquence puisqu’elle permet de donner concrètement le cadre général de la conception de ces séquences. Ajoutons qu’un enseignant peut fort bien selon les circonstances se nourrir des manières de faire qui font les lectures et la programmation de sa classe à un autre niveau que celui de ses élèves… Nous proposons ci-dessous une programmation d’œuvres pour l’école et le collège avec des variantes possibles. À raison de deux ou trois œuvres par an, un élève aurait en fin de cycle un corpus de 7 œuvres poétiques intégrales, puis en fin d’école primaire, au moins 14 œuvres et en fin de scolarité obligatoire, environ 24 œuvres, ce qui est loin d’être négligeable ! Rêvons à cette bibliothèque de 24 œuvres poétiques qui constituerait le socle commun d’un enseignement avec les poèmes ! Cette programmation peut paraître assez arbitraire mais elle répond toutefois aux critères suivants équilibrer les œuvres pour que la poésie reste en tension voir toute la première partie de cet ouvrage, varier les voix pour que la pluralité appelle chacun à entendre sa propre diversité et donner à entendre la force du langage avec des œuvres qui engagent tout ce qu’on a de meilleur et de fort. Les références précises des ouvrages sont données en bibliographie sur cette page Cycle 2 GS CP CE1 Œuvres Luce Guilbaud, Qui, que, quoi ? Albane Gellé, En toutes circonstances Robert Desnos, Chantefables et Chantefleurs Eugène Guillevic, Échos, disait-il Victor Hugo, Chansons pour faire danser en rond les petits enfants et autres poèmes Jean-Marie Henry, Le Tireur de langue Jean-Damien Chéné, J’ai un chut ! dans la gorge Cycle 3 CE2 CM1 CM2 Le Clézio, Sirandanes Jean-Pascal Dubost, C’est corbeau Pierre Marchand et Vincent Besnier, La mer en poésie Lucien Suel, Visions d’un jardin ordinaire Jacques Roubaud, Les Animaux de tout le monde James Sacré, Anacoluptères Jean-Marie Henry, Tour de terre en poésie Collège 6e 5e 4e 3e Jeanne Gatard, La Grande gigue Jean-François Bory, Le Cagibi de MM. Fust et Gutenberg Antoine Emaz, De l’air Jean Tardieu, L’Accent grave et l’accent aigu Daniel Biga, La Chasse au haïku Blaise Cendrars, Feuilles de route Jean de La Fontaine, Les Fables, Livre 1 Valérie Rouzeau, Pas revoir Henri Meschonnic, Les cinq rouleaux Jacques Prévert, Histoires Quelques remarques complémentaires afin de mieux comprendre une telle programmation dont on peut s’inspirer pour en établir d’autres, la renouveler partiellement, la compléter avec d’autres lectures… Si on ne peut parler de lecture de livres de poèmes en cycle 1, il va de soi que la lecture de poèmes y est par contre tout à fait nécessaire et utile. Aussi nous incluons dans notre programmation deux ouvrages destinés à la grande section dont on connaît le statut à cheval » sur les deux cycles. L’ouvrage de Luce Guilbaud est explicite par son titre et montre comment les poèmes font autant mouvement avec les questions qu’avec les réponses ici les réponses sont dans le mouvement de la devinette dont on sait que l’intérêt réside autant sinon plus dans le jeu de l’interlocution que dans la réponse finale. L’illustration et la mise en page avec un jeu de cache entrent pleinement dans l’activité des poèmes-devinettes qui font patienter, rêver, jouer. Le livre d’Eugène Guillevic continue cette pratique interlocutive doublement. Paroles rapportées, ces poèmes constituent également autant d’échos à ce qui n’a pas de source précise mais qui permet une recherche infinie de l’altérité et surtout un jeu de la relation. Comme pour le livre précédent, l’accompagnement illustratif est indispensable et poursuit la chaîne des échos. L’ouvrage qui ouvre l’école élémentaire à la lecture intégrale d’un livre de poèmes est pris à une collection particulièrement féconde, Le farfadet bleu », dont les livres constituent à la fois de vrais livres de poèmes plus que de simples recueils d’autant plus que les accompagnements graphiques participent chaque fois singulièrement au projet. Si certains ouvrages peuvent convaincre plus que d’autres, tous constituent une première collection qui pourra accompagner les jeunes lecteurs tout au long de leur scolarité. En toutes circonstances poursuit les pratiques poétiques de l’école maternelle qui mettent le corps-langage dans une jubilation certaine tout en introduisant à une pensée du langage en actes qu’un Robert Desnos viendra confirmer en fin de cycle avec son livre universellement reconnu et devenu un monument patrimonial dans la bouche des enfants eux-mêmes. Aussi faudrait-il montrer le continu d’une poésie contemporaine, celle d’Albane Gellé avec des monuments » scolaires anciens que sont devenus Hugo puis Desnos. Les chansons de Victor Hugo n’imitent pas la chanson enfantine mais introduisent dans la grande poésie la fraîcheur enfantine et dérident le sérieux patrimonial en même temps. Lire une anthologie des jeux de mots avec ce titre qui leur donne un enjeu tout autre que seulement le ludisme gratuit d’une enfance naïve voire bête, c’est montrer dès le cycle 2 que le langage n’est pas coupé en deux le discours sérieux et ce qui ne veut rien dire mais bien continu car tirer la langue » c’est sérieux comme n’importe quel jeu de mots l’enjeu est bien celui de la force du langage plus que le seul plaisir des mots. Le petit livre de devinettes de Jean-Damien Chéné dont les illustrations de Bernadette Chéné redoublent l’intérêt, vient poursuivre cet enjeu. il fait du livre l’objet même de la lecture voir ses index alphabétique », index matière » et sommaire » ce qui met le jeu de mots dans le poème et donc dans la voix, le geste, le corps-langage plus que dans une métaphysique des mots, des lettres ou de l’écriture à laquelle on soumet plus tôt qu’on ne le pense les lecteurs Ce qu’il vous plaît ne le sachant pas, de chercher, puis-je pouvons-nous l’écrire s’il nous plaît ? Chéné, 2002, p. 51 Le cycle 3 s’ouvre alors sur un semblable recueil de devinettes qui viennent de loin et dont Jean-Marie-Gustave Le Clézio et son épouse nous offrent avec la version originale de belles traductions. Des îles Maurice, nous devinons toute la richesse d’une vie qui emmêle la nature, la culture, les bêtes et les hommes, le corps et le langage jusque dans les couleurs vives de ces broderies qui illustrent les sirandanes. Elles illustrent ainsi le jeu infini de la découverte du monde et de l’homme avec les poèmes des devinettes jeu de la relance, jeu de la relation. C’est que le poème nous fait revoir le monde. Ainsi Lucien Suel et son jardin ordinaire » met les visions » dans notre langage de tous les jours avec les moyens du poème. Passer des devinettes ancestrales à une écriture d’aujourd’hui qui rappelle sans nostalgie tout ce qui disparaît sous nos yeux ces jardins ouvriers qui assuraient plus qu’un approvisionnement substantiel une vie de rêve dans une vie de labeur… Si le poème fait rêver c’est pour mieux vivre, pour vivre la vraie vie. Dans la vraie vie, il y a la mort et Jean-Pascal Dubost raconte cette arrivée avec son corbeau ». Cette écriture de notations qui construit un journal d’impressions montre comment le poème peut transformer des jours sans lendemain en une vie qui n’a pas fini de laisser vivre l’intrusion de l’étrange, de l’altérité radicale, dans nos vies. Cette écriture est lancée par le présentatif du titre c’est corbeau ». Le poème invente sa grammaire comme il invente la vie. Mais jamais il ne l’invente dans l’isolement, dans l’incommunicabilité. Le livre de Jacques Roubaud voir pour sa lecture intégrale le livre d’Agnès Perrin, 2004, dans la longue tradition des bestiaires que ce cycle 3 explore en filigrane jusqu’à James Sacré et ses Anacoluptères, rassemble les animaux comme il rassemble tout le monde. Ces jeux qui sont souvent des clins d’œil amicaux mettent en verve le lecteur comme dans une grande parade et les déguisements animaliers ouvrent au carnaval des discours, des genres ; alors le poème mène la danse. Deux anthologies viennent compléter ces livres d’auteurs une anthologie thématique autour de la mer et une anthologie de poésies du monde entier avec les versions originales qui montrent la diversité des langues et des cultures tout en signalant certainement trop rapidement que les poèmes ne connaissent pas les frontières, qu’il suffit de chercher sa voix pour dire l’altérité dans sa langue. De telles anthologies ne sont que des portes ouvertes vers des lectures multiples, des lectures toujours plus appropriées qui font de chacun un sujet du langage. Au collège, la classe de sixième peut permettre de découvrir un personnage qui n’existe qu’en poème, La Grande Gigue de Jeanne Gatard ouvre à cette existence que seul le poème permet d’inventer. Force du geste qui met du corps dans des proses pleines de poème au singulier car il s’agit bien de chercher du poème. En sixième on peut alors partir pour une chasse au poème à la manière de cette chasse au haïku que Daniel Biga propose dans ses notations ultrarapides et quotidiennes. Cette écriture prosaïque met le poème dans la vie à condition qu’on entende ce que le poème invente et dispose en ouvrant les yeux et les oreilles comme on n’a pas l’habitude. Il faudrait aussi se lancer dans la lecture des textes fondateurs » comme le demandent les Programmes, pas seulement pour en découvrir un succédané événementiel, mais d’abord pour en entendre une voix ou plutôt des voix qui nous font nous découvrir. L’écriture du poète et traducteur Henri Meschonnic fait venir à nous cette oralité-là très ancienne et très moderne parce qu’elle met à vif l’épopée de nos vies. Ces cinq rouleaux font cinq livres de poèmes qu’il est indispensable de lire dans nos voix, dans toutes les voix de la classe. C’est un voyage, non seulement dans le temps chronologique et historique, mais surtout dans le temps subjectif d’un récitatif infini, dans le temps divin qui met l’homme à l’écoute de l’humain. Aventure que poursuit à sa façon un livre de poèmes comme celui de Blaise Cendrars. Cette recherche du poème de l’altérité est également au principe de l’activité typographique des textes de Jean-François Bory qui fait écho d’une manière très ludique et savante à l’héritage poétique qu’un élève de cinquième peut alors évoquer en n’hésitant pas à passer d’un livre à l’autre, du palais des Belles-Lettres au Cagibi de MM. Fust et Gutenberg, du manuscrit au tapuscrit, etc. Retrouver deux grands auteurs scolaires en quatrième, La Fontaine et Prévert, c’est l’occasion de faire De l’air comme nous y invite Antoine Emaz ! Les élèves ne peuvent alors que relire ces vieux auteurs pour les retrouver tout neufs, pleins de force. Fables » et histoires » deviennent alors non des poésies » à réciter mais des textes qui demandent de les vivre dans des activités où le corps, la voix, la parole se multiplient, s’ouvrent à l’inconnu, se poursuivent dans des relations qui n’en reviennent pas de se trouver… C’est ce que Antoine Emaz fait avec son journal qui cherche le poème de chaque jour, de chaque sensation, de chaque humeur. Et alors la poésie fait respirer un air neuf, un air vif, un air plein de fables et de paroles vraies. La classe de troisième peut alors infinir ces lectures en poésie par deux livres dont le premier, celui de Tardieu, cherche l’accent qui nous fait toujours nous-mêmes avec les autres, quand le second, celui de Valérie Rouzeau, nous fait autre avec nos plus proches. Ces passages sont toujours des inventions relationnelles pleines de langage, intensifiant des formes de vie en formes de langage et inversement. Graves ou aigus, nos noms ne sont plus des mots, mais des voix qui marchent, des pas qui font chaque fois des histoires, des histoires de lecteurs toutes indispensables pour chacun. Les poèmes des lectures scolaires sont alors devenus des poèmes de vie. La poésie est un acte. Elle n’est pas subie, elle est agie. Pierre Reverdy dans Charpier, 1956, p. 545 Les poèmes ne demandent qu’une chose à l’école la vie ! parce qu’ils sont la vie du langage par excellence. Souvent les faux problèmes empêchent de se rendre compte que l’école c’est tout simplement de longs moments de vie pour toutes les générations d’écoliers faut-il alors opposer l’école à la vie ou faire rentrer la vie dans l’école ou faire sortir l’école dans la vie ? Autant de questions qui ratent le vrai problème faire que les activités scolaires soient vivantes, maintiennent et même suscitent la curiosité, l’entrain et la vivacité des élèves et de leurs professeurs. De ce point de vue, on ne peut considérer les poèmes que comme les ferments parmi d’autres d’un tel objectif puisque les poèmes sont ce qu’il y a de plus vivant dans le langage… à condition qu’on ne les tuent pas dans l’œuf. Mais nous savons maintenant comment et pourquoi éviter ce bain de sang qui se fait souvent avec les meilleures intentions puisque nous avons en main les dix clés du problème ! Nous allons maintenant concevoir au moins trois modes de vie avec les poèmes à l’école et au collège, qui sont trois modes bien connus d’organisation des activités scolaires. Nous les dissocions pour les besoins de l’exposé mais ils sont étroitement associés et ne vont pas l’un sans l’autre. En effet, pas de surprises sans habitudes, pas de nouveautés sans acquisitions lentes, pas d’entraînements réguliers sans explorations hasardeuses et pas d’aventures merveilleuses sans de patients préparatifs… Rituels, séquences et projets vont alors s’entrelacer pour faire vivre les apprentissages avec les poèmes. Les rituels constituent des habitudes que les séquences permettent de réfléchir pendant que les projets organisent des sorties la poésie demande de changer un peu les habitudes langagières y compris en didactique. Alors, n’hésitons pas à déplacer les habitudes et la langue de bois… L’essentiel consiste à observer si nos élèves s’y retrouvent, c’est-à-dire apprennent et aiment. Comment concevoir rituels, séquences et projets ? Commençons par esquisser une conception de la séquence. Les poèmes demandent de ne pas se fier à un seul modèle de séquence d’apprentissage. Il est vrai que l’école habitue dans ce domaine à ce qu’on appelle le moment de poésie » et que selon les modèles didactiques ou le niveau, il est tantôt orienté vers un moment » tout à fait original et spécifique, soit vers un moment » qui se confond avec d’autres. D’un côté le moment » qui, de la maternelle au cycle 3, évolue de l’apprentissage collectif d’une comptine ou poésie » dans une situation foncièrement interlocutive du type chorale à l’apprentissage individuel d’une poésie » pour la réciter et l’illustrer ; ce dernier moment étant accompagné de menues explications prenant parfois la forme d’un questionnement de texte » pour mieux comprendre la poésie ». D’un autre côté le moment » qui, de la maternelle au cycle 3, engage dans la création » c’est-à-dire dans une production d’écrit » plus ou moins libre, parfois fort contrainte, lequel moment se conçoit comme une occasion propice à l’activité d’écriture inventée en allant de la dictée à l’adulte bien plus souvent collective qu’individuelle à l’expression écrite avec premier jet » et grille de réécriture élaborée en commun, c’est-à-dire sous l’œil vigilant de l’enseignant qui veille à ce que le texte produit apparaisse comme conforme à un modèle textuel si ce n’est poétique. Il est vrai que de nombreuses classes dans la tradition d’un Freinet, mettent ce moment sous le régime de l’expression libre non sans renforcer une autre mythologie aussi pernicieuse que la première qui vise l’imitation d’un moule syntaxique pendant que la seconde vise l’imitation d’un cadre thématique que le » surréalisme a offert à Freinet et ses émules le texte libre » valorisant la dimension imaginative de l’activité en n’engageant que la lecture des images produites, réduisant ainsi la production langagière à la nomination, d’où une valorisation extrême des noms, des groupes nominaux, dès qu’on est en poésie ». Nous aimerions proposer des activités qui concourent à une séquence avec des poèmes sans qu’aucune instrumentalisation ne détourne les élèves, les lecteurs donc, de leur appropriation personnelle-collective de ces poèmes entendons bien qu’il s’agit de ne jamais utiliser les poèmes comme des prétextes à une quelconque activité qui les ignorerait telle que l’entraînement pour la prononciation correcte du français, la diction rhétorique des textes, l’imitation des modèles textuels y compris de ce que d’aucuns appellent le texte poétique »… Les activités d’une séquence avec les poèmes viennent simplement répondre au souci des programmes concernant les œuvres littéraires que les élèves soient mis en contact avec des textes forts, qu’ils se les approprient par les voies les plus directes, les plus simples, les plus engageantes et respectueuses de chacun. Le modèle » d’activité, si l’on peut employer ce terme, est celui de la reformulation, mais on comprend aussitôt qu’il ne peut y avoir de modèle puisque chaque texte demande d’inventer ses reformulations, voire de les multiplier. Le fondement de ces reformulations qui constituent autant de modes singuliers d’appropriation, est la lecture magistrale restitution de l’œuvre par la voix haute du maître. Celle-ci permet à chaque élève, quelles que soient ses performances en lecture, d’accéder à l’œuvre littéraire ; en effet, même s’il s’avère incapable de lire seul le texte de l’œuvre, il est tout à fait capable de reformuler l’œuvre après qu’on la lui ait transmise de cette manière ; c’est pourquoi aucune œuvre littéraire d’importance dans le dispositif didactique ne doit échapper à ce mode de transmission qui n’empêche nullement que les élèves lisent seul le texte – les activités les y encouragent – ou d’autres textes, tout simplement parce qu’ainsi aucun élève n’est exclu de la dynamique collective qu’ouvre la lecture magistrale d’une œuvre et les activités de reformulation qui vont accompagner cette lecture en vue de son appropriation par chaque élève – y compris, rappelons-le, l’élève le moins performant du point de vue des techniques de la lecture. Soit une œuvre, l’activité d’appropriation de cette œuvre par la classe et par chacun des élèves est celle de la multiplication des reformulations se redire, relire, réécrire, jouer, transposer, évoquer, citer, manipuler… Cette démarche est au fond celle que nous proposons pour toutes les œuvres littéraires qui constituent le socle commun, et donc le fonds de la culture littéraire commune. Les poèmes, nous l’avons dit, se présentent d’abord, comme les autres œuvres littéraires, sous la forme d’un livre, livre de poèmes d’un auteur ou anthologie… Ils doivent donc d’abord être abordés à ce titre dans la classe. C’est donc à ce titre que les séquences les considèrent d’abord. Nous verrons ensuite dans les rituels et projets, d’autres manières de les rencontrer, de vivre avec eux. Si les reformulations des œuvres sont forcément multiples, il nous paraît indispensable de les regrouper, quelle que soit l’œuvre, dans quatre formes d’activités de reformulation complémentaires et jamais exclusives les unes des autres mais toujours reliées voire concomitantes si possible pour une contextualisation plus générale, voir Martin, mai 2005 1. L’échelle lexicale il serait plus judicieux de la dénommer liste lexicale hiérarchisée » mais la métaphore de l’échelle que chaque élève se construit pour grimper dans l’arbre textuel si ce n’est au ciel des constellations d’un univers textuel, l’emporterait sur le rappel des échelles d’acquisition de l’orthographe lexicale » Pothier, 2003 que nous respectons tout à fait par ailleurs mais qui n’ont rien à voir avec cette échelle, ce parcours de lecture personnel dans un texte prélever, lister, hiérarchiser et éventuellement titrer des éléments lexicaux du texte pour en faire ressortir une facette, une dimension, un aspect. Cela reviendrait à construire un réseau qui maille le texte, le traverse soit fragmentairement soit complètement et ainsi l’élève se donnerait des prises pour le relire et pour construire sa compréhension et son interprétation. 2. Le jeu dramatique dire le texte ou un fragment même réduit du texte pour que sa lecture engage le corps, sa voix et ses gestes afin d’observer ce qu’il nous fait quand il nous traverse ; afin de sentir ce qui l’anime, constitue sa force, organise les énergies qui s’y rencontrent… 3. Le documentaire découvrir le monde construit avec le texte, avec son énonciation en particulier et pas seulement son énoncé, en reconfigurant ce monde dans un texte documentaire qui met ce monde en résonance avec les préoccupations, les interrogations et les mondes déjà construits par les lectures et les expériences antérieures. Sachant bien qu’il ne s’agit pas ici de construire une vérité scientifique mais d’agencer des informations, des notations pour apercevoir une vérité du texte dans et par sa lecture. C’est pourquoi l’exercice aurait pu aussi bien s’appeler documenteur » car il se peut que ses informations ne soient pas validées scientifiquement si elles doivent toujours l’être comme vérités d’expérience de lecture. Et si mensonge il y avait, on n’oubliera pas la leçon d’Aragon avec son mentir-vrai ». 4. La parole vive faire résonner le texte lu des paroles qu’il recèle mais qu’il ne livre pas explicitement en donnant la parole à des protagonistes du texte, animés ou inanimés, protagonistes qui ne l’ont pas apparemment mais qui peuvent très vite la prendre si on la leur donne ; il s’agit d’écrire en je » autant de reformulations incidentes et dialogiques qui vont résonner dans la pluralité les dire du texte souvent localement, parfois plus globalement – par exemple en fin de parcours… pour de plus amples développements sur cette dernière activité, voir Martin, septembre 2005. Ces quatre activités conduites, on peut affirmer que chaque élève à sa façon et la classe dans cette configuration forcément singulière puisque articulée avec ce qu’elle aura auparavant lu et fait, se sont appropriés l’œuvre littéraire et en l’occurrence l’œuvre poétique. Mais on perçoit bien que cela demande parallèlement un étayage. Les rituels et les projets vont l’apporter puisque les premiers vont permettre de renforcer des savoir-faire initiés dans les séquences et les seconds vont élargir le sens d’activités forcément réduites aux conditions de la classe. On aura compris que le cœur du dispositif la séquence est bien scolaire, qu’il est expérientiel et réflexif sans négliger la dimension répétitive et entraînante des rituels ni celle plus aventureuse des projets. Les poèmes devraient toujours s’y retrouver, du moins jamais se perdre, puisque jamais ne devraient s’imposer naturellement dans ce dispositif didactique les séparations traditionnelles que nous avons d’ores et déjà bien pointées dans la perspective d’une redécouverte du langage avec les poèmes. Proposition d’organisation de séquences littéraires et donc poétiques sur deux semaines en cycle 2 et trois semaines en cycle 3. La durée étant liée à l’importance quantitative de l’œuvre, certaines séances peuvent donc s’y dédoubler mais le principe est fondamentalement le même . Pour le collège, on adaptera cette durée en comptant les séances. Certaines séances peuvent être plus longues que d’autres, bien entendu. Ce modèle » est bien évidemment à adapter aux temporalités de la classe entre début et fin d’année et de l’œuvre plus ou moins longue. Séances 1 2 3 4 5 6 7 Lecture magistrale 1 1 1 2 1 Échelle lexicale 2 2 Jeu dramatique 2 1 1 3 Documentaire 2 bis 1 bis 1 Parole vive 2 1 bis Les sept séances montrent l’organisation des activités suivantes La première séance est d’abord consacrée à une découverte de l’œuvre par la lecture magistrale inaugurale puis par les premières prises lexicales personnelles sur l’œuvre. La seconde séance poursuit si ce n’est achève la lecture intégrale et magistrale de l’œuvre et ouvre deux ateliers concomitants jeu dramatique et documentaire qui vont se poursuivre lors de la troisième séance pour organiser quelques échanges des travaux quelques réalisations dramatiques et documentaires présentées et appréciées. La quatrième séance déplace les activités avec l’œuvre en commençant par une relecture magistrale en relisant des passages délicats ou choisis par les élèves… pour lancer l’activité d’écriture personnelle, la parole vive. La cinquième séance croise lecture magistrale et réalisations dramatiques des élèves veillant à ce qu’un maximum d’élèves s’expriment devant la classe, en particulier ceux qui n’auraient pas eu l’occasion de le faire lors de la troisième séance…. La sixième séance permet à tous les élèves d’achever leurs travaux personnels, de les reprendre, de les améliorer. Enfin, la septième séance vient couronner la séquence en la bouclant sur une reprise de l’œuvre par l’enseignant et les élèves lecture magistrale et réalisations dramatiques qui ouvre à une dernière prise sur l’œuvre peut-être plus problématique reprise adaptée de l’activité de l’échelle lexicale afin de lancer un débat pour conclure provisoirement du point de vue du travail de l’œuvre mais définitivement du point de vue de son inscription obligatoire dans le temps scolaire. On remarquera que le dernier mot est aux élèves ils font vivre l’œuvre montrant que cette dernière est maintenant leur responsabilité alors que c’est l’enseignant qui l’avait ouverte. Passage d’œuvre qui est un passage de sujet – nous y reviendrons dans des billets ultérieurs. Fables et voix, livres et lecteurs
1914 La guerre est déclarée. Jean-Corentin Carré veut partir à la guerre, mais il est trop jeune. Alors il va mentir, et devenir un héros. L'enfant sol
J’aimerais ajouter quelques mots à propos des portraits de rois et de présidents. Pour être exact, à propos d’une image en particulier, que j’ai pu prendre un peu à la légère dans mon précédent billet, alors qu’elle est en fait tout à fait passionnante dès lors qu’on y regarde de plus près. Il s’agit du portrait officiel de Charles de Gaulle. Portrait officiel du président de Gaulle. Photographie par Jean-Marie Marcel La production d’une telle image a une logique politique incontestable. Il s’agit d’abord d’intégrer la nouveauté institutionnelle qu’est le président de la Ve République dans une tradition longue. Sa prise de pouvoir en 1958 a laissé des traces. On se souvient de la pression de militaires de l’armée française en Algérie qui menaçaient Paris et des conditions exigées par de Gaulle, à savoir un changement de constitution. François Mitterrand ne pardonnera jamais ce péché originel du régime gaulliste et vilipendera dans ses années d’oppositions le Coup d’État permanent, avant de se glisser confortablement et avec quelle aisance ! dans le costume du général-président. Bref, la présidence doit donner des gages de républicanisme et faire bien attention à l’image qu’elle renvoie de son propre pouvoir. On peut analyser plusieurs éléments du portrait à la lumière de cette exigence. De Gaulle porte, comme ses prédécesseurs, les insignes de grand-croix de la Légion d’Honneur, qu’il est devenu de plein droit en devenant le Grand Maître de l’Ordre, en tant que chef de l’État. Autre détail extrêmement intéressant il appuie sa main droite sur des livres, dans une pose adoptée par le premier président de la IIIe République, Adolphe Thiers – qui était également le premier chef de l’État français à faire le choix de la photographie plutôt que de la peinture. Quel symbole plus fort de l’enracinement de ce nouveau régime dans l’histoire républicaine, d’autant plus que ce geste est adopté par la plupart des anciens présidents ? Portrait officiel d’Adolphe Thiers, 1871. Photographie par Pierre Petit. Un autre enjeu est aussi celui de l’image personnelle du général de Gaulle. Celui que l’on n’a pas besoin de nommer le Général », avec majuscule de rigueur, que l’on reconnaît à son allure éléphantesque[1] », dans son uniforme militaire, est déjà, à son retour au pouvoir, un mythe[2]. Il l’était toujours lorsque, dans mon enfance, j’entendais les récits de sa visite dans telle ville de province après-guerre. Il l’est très certainement encore aujourd’hui quand, malgré tout l’esprit critique avec lequel j’essaie de prendre de la distance, je ne peux retenir une intense émotion à l’écoute de la belle chanson de Gilbert Bécaud, et que j’associe son image et sa voix à celles de mes grands-parents disparus, gaullâtres patentés. Ce mythe, construit notamment pendant la Résistance grâce à la diffusion de photographies destinées à répandre l’image d’un homme presque inconnu du public, est d’une intense puissance poétique au sens qu’il stimule la création et encourage les réappropriations. Les caricaturistes ne s’y sont pas trompés. Ainsi, lorsqu’il s’agit de faire coïncider la forme de son visage avec celle de l’hexagone français, en transformant son nez bourbonien, cette péninsule digne de Cyrano de Bergerac, en Bretagne, comme c’est le cas dans ce dessin de Tim, en 1969. Dessin de Tim, 1969, dans son album “Une certaine idée de la France”. De même, quand il s’agit d’attaquer de Gaulle, les étudiantes des Beaux-Arts de Paris n’ont qu’à dessiner sa silhouette pour créer leurs magnifiques affiches pendant Mai 68. Affiche de Mai68, par l’atelier de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Bref, au moment de la création du portrait officiel, il s’agit d’articuler ce mythe du Sauveur à l’image plus réglée du chef d’un État démocratique. L’apparence de normalité institutionnelle du portrait joue un rôle indiscutable. Elle permet de montrer un homme qui a abandonné son uniforme militaire pour un habit civil, qui a quitté l’état de général plus ou moins putschiste pour celui de premier magistrat d’une république. Et pourtant…. Et pourtant il ne s’agit pas ici de n’importe quel président de la IVe République, qui inaugure des chrysanthèmes et n’exerce aucun réel pouvoir. Le militaire a certes rangé sa veste kaki réglementaire, mais c’est pour mieux revêtir, non pas l’habit classique des civils, mais l’uniforme d’apparat du général de brigade qu’il est toujours notez les épaulettes, qui en sont le signe indiscutable, quoique si discret. Et surtout – ce qui est crucial – à travers le grand collier de l’Ordre de la Libération. Créé en 1941, il ne comporte qu’un seul grade, celui de Compagnon, et un seul et unique Grand Maître Charles de Gaulle. À sa mort en 1970, les Compagnons décident qu’ils ne lui donneront aucun successeur, et il restera le seul et unique chef suprême de cet ordre de chevalerie moderne. Détail du collier du Grand Maître de l’Ordre de la Libération. En arborant ce collier, de Gaulle envoie ce message clair, quoiqu’implicite sa légitimité n’est pas seulement celle de l’élection démocratique, fût-elle, à partir de 1962, au suffrage universel. Sa légitimité est celle de l’Histoire et des circonstances, celles qui ont fait de lui le chef de la France libre en 1940 et l’ont rappelé au pouvoir en 1958 pour sauver le pays. Les institutions sont une chose, mais elles représentent si peu à côté de l’onction presque sacrée que symbolise cette petite croix de Lorraine surmontée d’une épée Ce portrait, apparemment si classique et au fond si subversif, incarne un des aspects les plus caractéristiques du mythe selon Roland Barthes sa dimension tautologique. De même que Racine est Racine[3] », de Gaulle est de Gaulle. C’est ce qui fait de lui le nouveau monarque de la France. Caricature de Moissan, Le Canard enchaîné, 1963. MT Je remercie Cécile Thomé pour sa relecture de ce billet. NOTES [1] Le mot est du propre fils du général de Gaulle. Voir Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père, Paris, Plon, 2003. [2] Pour une analyse historique de ce mythe politique, dans la lignée de Raoul Girardet Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, voir Sudhir Hazareesingh, Le mythe gaullien, Paris, Gallimard, coll. La suite des temps », 2010. [3] Voir Roland Barthes, Mythologies [1957], in Œuvres complètes, éd. Éric Marty, t. 1, Paris, Seuil, 2002, p. 745 et suivantes. Louis XIV en costume de sacre, Hyacinthe Rigaud, 1701 – Musée du Louvre. Depuis le livre fondateur de Louis Marin[1], le portrait du roi est une image fétiche des réflexions sur les représentations du pouvoir. Le tableau peint en 1701 par Hyacinthe Rigaud représentant Louis XIV en costume de sacre est devenu le modèle du genre. Il faut dire que derrière l’icône, si connue qu’on ne la regarde plus vraiment, se cache une œuvre assez extraordinaire, presque entièrement fantasmatique derrière son apparent réalisme[2]. Il y a bien sûr les éléments attendus d’une représentation du pouvoir la couronne est posée sur un coussin d’apparat fleurdelysé, avec la main de Justice. L’épée de Charlemagne, Joyeuse, utilisée lors du sacre à Reims[3], est portée sur le côté, comme une quelconque rapière. Le roi arbore le collier de Grand Maître de l’Ordre du Saint-Esprit. Pas de doute possible, il s’agit bien du roi, et d’un roi de majesté, représenté avec tout l’apparat, tous les symboles de son pouvoir. J’insiste un peu là-dessus parce que ce mode de représentation n’a rien d’universel. Si Louis XIV, et à sa suite les souverains qui s’appuieront sur son modèle, fait le choix d’une pompe royale, les Habsbourg d’Espagne optent au même moment pour une représentation tout à fait différente de leur pouvoir. Il suffit de voir les portraits de Philippe IV – contemporain de Louis XIV – par Velázquez, fascinants de sobriété, où le seul élément qui indique la dignité royale du modèle est le discret collier de l’Ordre de la Toison d’Or. Et puis, en regardant de plus près ce portrait de Louis XIV, on s’aperçoit de détails dissonants ou étranges. Il y a d’abord ce geste étonnant qui consiste à s’appuyer sur son sceptre comme s’il était une canne, à la manière du Charles Ier d’Angleterre peint par Van Dick, qui avait mis cette posture à la mode en peinture. Et puis il y a surtout cette position des jambes, ce pas de danse qui rappelle le jeune Louis XIV, friand de ballet, qui se prêtait lui-même au jeu des représentations devant la cour, grimé en Apollon. Comme le note Peter Burke, il y a un certain équilibre entre solennité et décontraction[4] », entre l’image éternelle d’une royauté pluriséculaire et celle, plus particulière et circonscrite, d’un siècle moderne, qui s’affranchit du modèle antique et que l’on appellera bientôt avec Voltaire le Siècle de Louis XIV ». C’est bien ce qu’indiquent les détails vestimentaires propres à la mode du temps la perruque, les manches en dentelle, les talons rouges… Mais il y a surtout cette bipartition en deux du tableau. Les jambes sveltes de danseur étonnent d’autant plus que, si le bas du corps est celui d’un Louis XIV jeune, le visage est bien celui d’un homme de soixante ans, qui a souffert mille maladies et perdu toutes ses dents et qui, dans les faits, sera bientôt condamné à se déplacer dans une chaise roulante. La couleur noir foncé de la perruque surprend d’ailleurs, de même que sa taille si imposante. Si l’on sait que Louis XIV se plaignait alors d’un douloureux furoncle persistant à la nuque, il est possible d’y voir une démonstration de courage et d’abnégation d’un homme malade mais qui supporte le poids de son métier de roi[5] ». Quoiqu’il en soit, le roi semble bien avoir deux corps. On voit bien où je veux en venir[6]. Et d’ailleurs, comme il était attendu, Ernst Kantorowicz a lui-même commenté ce tableau[7]. Pour être exact, l’image qu’il commente est plutôt la caricature par William Makepeace Thackeray 1811-1863, romancier et dessinateur anglais. Selon Kantorowicz, ce décalage dans l’image n’a pour but que de donner à voir le corps mortel du roi, celui qui vieillit et qui mourra un jour, tandis que les regalia, les symboles de sa dignité, demeurent éternellement intacts. Caricature du portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, William Makepeace Thackeray – The Paris Sketch Book by Titmarsh, 1840. On pourrait multiplier les analyses de détail de ce tableau véritablement passionnant. Mais si l’on n’en doit retenir qu’une seule chose, ce sont les décalages, subtils et indirects, qui interrogent et étonnent. Si le tableau n’implique pas de lecture évidente, mais encourage au contraire la réflexion et le recul, c’est peut-être que l’objet qu’il nous présente appelle une telle attitude. Le pouvoir qui nous est représenté est mystérieux et énigmatique. Il pose problème, il interroge. De mon point de vue, c’est toute la grandeur de cette œuvre d’art, qui fait d’elle quelque chose de beaucoup plus fort qu’une vulgaire peinture de propagande, à la lecture facile. J’ai dit que ce portrait avait été la matrice des représentations officielles des successeurs de Louis XIV, et il faut bien admettre que l’on retrouvera souvent le même modèle. Le portrait en costume de sacre de Louis XVI par Duplessis se passe presque de commentaire. De la même manière, les présidents de la Ve République perpétuent à leur façon une tradition de représentation du pouvoir, avec son apparat ou non. De 1958 à nos jours, on peut distinguer deux traditions différentes. La première, classique, représente le président arborant les symboles de sa dignité. C’est le modèle choisi par Charles de Gaulle, puis par Georges Pompidou, et plus récemment par Nicolas Sarkozy. Une deuxième option est explorée par d’autres présidents, qui consiste au contraire à refuser l’apparat trop clinquant du pouvoir. Le portrait de Valery Giscard d’Estaing, dans le choix du fond bleu-blanc-rouge et la préférence pour le costume moderne au détriment de l’habit à queue de pie, ne semble signifier qu’une seule chose la rupture avec le passé et le choix de la modernité. Celui de Jacques Chirac est pris dans le jardin de l’Élysée, les bras croisés derrière le dos, dans une attitude qui se veut probablement paisible et rassurante. Seule la boutonnière rouge nous rappelle que ce gentleman farmer qui penche légèrement la tête est le Grand Maître de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Si ma préférence va à ces portraits atypiques – ou qui, du moins, s’éloignent quelque peu du modèle canonique de Louis XIV/de Gaulle – c’est qu’à mon sens ils signifient quelque chose sur le pouvoir présidentiel, qui ne peut ou du moins ne devrait être semblable à celui du roi en régime démocratique. Une forme de modestie, mais aussi quelque chose d’un peu plus commun dans ces photographies, vient nous rappeler que ces hommes sont à la tête de pays qui se veulent démocratiques. Toutes ces images, du moins, expriment une forme d’écart vis-à-vis du modèle royal du pouvoir, en posant plus de questions qu’ils n’apportent de réponses sur ce qu’est un président sous la Ve République. Mais, pour moi, le plus fascinant de tous ces portraits est probablement celui de François Hollande. Portrait officiel de François Hollande par Raymond Depardon – 2012. Ce portrait, photographié par Raymond Depardon, avait beaucoup intrigué à sa publication. Il faut dire qu’il arrivait après celui, très classique et assez laid, à mon sens de Nicolas Sarkozy. Le portrait est ici pris dans un format inhabituel en lui-même puisque le cadre est carré et Depardon explique qu’il a pris le cliché avec un vieil appareil de 1962. Les symboles obligatoires sont présents – le drapeau tricolore et le drapeau européen –, mais tandis que dans le portrait de Sarkozy ils figuraient très classiquement dans un drapé qui se voulait probablement élégant, ici ils sont dans le décor, en arrière-plan. C’est d’ailleurs cette composition, avec en arrière-plan assez flou le palais de l’Élysée éclairé d’une belle lumière d’été, et le personnage central comme s’avançant vers l’objectif, qui fait que l’image est réussie pour moi. Et puis il y a la posture. Hollande n’est pas tout à fait de face, pas tout à fait de trois-quarts non plus. Le visage est plutôt calme et donne une impression de sérénité, mais le bas du corps vient contrarier ce premier aperçu, notamment dans la manière dont les bras et les mains sont mis en avant par le cadrage – puisqu’il me semble bien que c’est une sorte de plan américain, celui dont on se servait dans les westerns pour voir les colts à la ceinture des cow-boys et leurs mains prêtes à les dégainer. Ces mains un peu balourdes, qui ne savent pas bien comment se placer, qui semblent hésiter entre la formalité du garde-à-vous et le relâchement décontracté, je les trouve particulièrement éloquentes. Il me semble bien qu’elles disent, dans leur inadéquation, une sorte de mystère du pouvoir qui, tout en n’étant pas si éloigné de celui que peignait Rigaud, est bien plus problématique encore en 2015 dans la République française. Ce type est à la fois tranquille et anxieux, sûr de son élection récente et inquiet de l’incarnation qu’il va produire. Il rentre dans le cadre du pouvoir, s’avance face au public, plutôt qu’il n’y figure de toute éternité. À la fin de la représentation, il pourra en ressortir, selon la loi de l’élection démocratique. Le portrait de François Hollande est-il réussi ? Il a en tout cas suscité nombre de commentaires et de critiques. Toujours est-il qu’à l’instar du modèle ancien du portrait du roi, et quoique bien différent de ce dernier, il continue à intriguer en posant tout autant de question sur ce que peut être le pouvoir. C’est probablement tout son mérite. Post Scriptum Il y a quelques jours était diffusé un documentaire sur la présidence de François Hollande – et c’est en le regardant que j’ai repensé à Rigaud et Depardon. Le réalisateur, un habitué des documentaires politiques, a obtenu l’autorisation de filmer l’intérieur de l’Élysée et de suivre plusieurs personnages importants dans le dispositif présidentiel français le secrétaire général, le conseiller en communication, et bien sûr le président lui-même. Aussi ennuyeux et irritant que parfois passionnant pour qui s’intéresse aux questions de représentation, ce documentaire posaient de nombreuses questions, dont celle-ci qui devrait intéresser les dix-huitiémistes pourquoi faut-il que le pouvoir en France soit associé au mobilier et à l’architecture du XVIIIe siècle ? Pourquoi le président vit-il dans un palais qui appartint un temps à Madame de Pompadour ? Pourquoi notre référence visuelle implicite, dans ces dorures des ministères et des palais de la République et ces bureaux marquetés, est-elle Louis XV ? J’avoue ne pas avoir de réponse claire. Je remercie Cécile Thomé pour la relecture de ce billet, qui est dédicacé à Bertrand Nicolle, autre grand amateur de portraits du roi. MT NOTES [1] Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, coll. Le sens commun », 1981. [2] Pour une contextualisation historique et un développement plus précis de ces quelques pistes d’analyses, voir le très bon article de Myriam Tsikounas, De la gloire à l’émotion, Louis XIV en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud », Société & représentations, 2008/2, n° 26, p. 57-70. [3] Voir sur le sacre Jacques Le Goff, Reims, ville du sacre », in Pierre Nora dir., Les lieux de mémoires, t. 1, Paris, Gallimard, coll. Quarto », 1997, p. 649-733. [4] Peter Burke, Louis XIV. Les stratégies de la gloire [1992], Paris, Points, 2007, p. 48. [5] Myriam Tsikounas, De la gloire à l’émotion », art. cit., p. 65. [6] Je fais référence à la théorie des deux corps du roi, développée par l’historien allemand Ernst Kantorowicz Les Deux Corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge [1957], in Œuvres, Paris, Gallimard, coll. Quarto », 2000. Pour une synthèse voir la note de lecture de Loïc Blondiaux, Politis, 1989/2, n° 6, p. 84-87. Lien [7] Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi, op. cit., p. 936-937. "Il faut reprendre le XVIIIe siècle à sa légende" Jean Starobinski
LEMOT DU MAIRE. La Ville du Mans est heureuse d’accueillir l’édition 2019 du festival ‘‘Les Photographiques’’ qui invite à la découverte d’auteurs photographes d’une grande qualité. . Cette année, à travers l’artiste invité Vincent Gouriou, ‘‘Les Photographiques’’ mettent l’accent sur la condition humaine et
NB pour faciliter la lecture de ce billet, une version PDF est disponible ici. Après deux premiers billets consacrés aux portraits de François Hollande et de Charles de Gaulle, la publication le 29 juin 2017 du portrait officiel d’Emmanuel Macron, huitième président de la Cinquième République, est l’occasion de poursuivre ces essais d’analyse de l’iconographie présidentielle française. Figure 1. Portrait officiel du président Emmanuel Macron. Source compte Twitter officiel d’Emmanuel Macron. Comme il y a cinq ans, cette image a beaucoup été commentée dès sa publication. On a souligné un certain nombre d’éléments une composition qui travaille la symétrie, l’abondance de symboles, le lieu de la prise de vue, la position du modèle, etc. La critique[1] l’emporte par ailleurs le plus souvent sur la louange[2] – jugeant notamment la photo trop posée ou l’éclairage trop peu maîtrisé. Mais sauf pour la comparer à quelques portraits d’anciens présidents, ces réactions médiatiques se cantonnent le plus souvent à des analyses en synchronie – c’est-à-dire qu’elles examinent l’image dans sa contemporanéité, sans prendre en compte son épaisseur historique. J’aimerais quant à moi m’intéresser à ce portrait en suivant cette idée, au fond assez simple et banale, que notre œil n’est jamais vierge nous regardons toujours une image avec en tête, plus ou moins consciemment, d’autres images qui nous servent de points de repère et de comparaison et qui nous aident à la comprendre et à l’apprécier. C’est en s’intéressant aux éléments de rupture ou de continuité vis-à-vis de ces pré-images » qu’on peut essayer de mieux cerner le fonctionnement de ce portrait. Or, avec le portrait d’Emmanuel Macron, un détail me frappe particulièrement, et me semble appeler à commentaire c’est le rôle du bureau. Un nouveau lieu du pouvoir présidentiel le bureau C’est en effet la principale innovation par rapport aux portraits de ses prédécesseurs le choix du lieu qui sert de décor. Ici, c’est le bureau présidentiel, situé au premier étage du palais de l’Élysée[3]. Il s’agit d’une première dans l’histoire des portraits officiels des présidents de la Cinquième République, qui avaient jusqu’à présent préféré la bibliothèque Charles de Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, la terrasse du palais Valery Giscard d’Estaing ou encore les jardins Jacques Chirac et François Hollande. Cette innovation est cependant moins une rupture qu’une manière de dialoguer avec les photographies officielles des prédécesseurs d’Emmanuel Macron. S’il s’agit bien d’une photo en intérieur, comme pour Mitterrand et Sarkozy, la présence du ciel et des nuages à l’arrière-plan, vus depuis la fenêtre ouverte derrière le bureau, fonctionne comme un effet de citation des portraits de Chirac et de Hollande. Montrant à la fois l’intérieur et l’extérieur du palais présidentiel, l’image propose une forme de synthèse dont l’intérêt politique paraît assez évident pour un président revendiquant un positionnement centriste. Tant d’objets à voir La première conséquence du choix d’un tel décor, c’est qu’il permet très concrètement de montrer un certain nombre d’objets qui occupent la table de travail. La position du modèle semble le souligner, d’ailleurs assez littéralement le président s’appuie » sur ces objets, qui semblent à la fois outils et témoins de son labeur quotidien. Or la présence même de ces objets me frappe. Pris chacun individuellement, ce sont des objets plutôt banals, qui appartiennent au quotidien du travail de bureau. Tous semblent avoir une fonction symbolique précise, qu’il est d’ailleurs a priori plutôt facile de décrypter les livres pour marquer l’attachement à la culture[4], la pendule pour rappeler que le personnage aime à se décrire comme le maître des horloges », une figurine de coq comme symbole plus large, et peut-être aussi plus populaire, d’une France qui ne se réduit pas à son histoire républicaine traditionnelle[5] – ce n’est qu’une hypothèse –, sans oublier les deux smartphones qui témoignent de la modernité du nouveau président. Cette manière de presque saturer la composition d’une image par une multitude d’objets dotés d’une forte charge symbolique m’évoque Le prêteur et sa femme 1514 de Quentin Metsys. Dans ce tableau comme dans le portrait d’Emmanuel Macron, chacun de ces objets, apparemment anodin, est porteur d’un sens symbolique secondaire, qui donne au tableau une valeur morale, orientée vers l’allégorie ou la vanité[6]. Figure 2. Quentin Metsys, Le prêteur et sa femme, 1514, huile sur panneau, 71 sur 68 cm, Paris, Musée du Louvre. Source Wikipédia. Mais ce qui m’intéresse plus, c’est comment l’on peut considérer dans leur ensemble ces objets et ces éléments de décor. Comment, en d’autres termes, l’ensemble de ces éléments peut avoir un sens que ne résume pas la simple addition de leurs significations individuelles. Le bureau comme attribut du pouvoir Même si l’on ne s’en rend pas forcément compte à première vue, les éléments de mobilier présents dans le portrait d’Emmanuel Macron ne sont pas tout à fait anodins. Les courbes et le bois précieux du bureau sur lequel s’appuie le président, tout comme les dorures de la fenêtre de l’arrière-plan, appartiennent à une décoration intérieure de style Louis XV, qui est caractéristique des bâtiments dans lesquels le pouvoir politique s’exerce en France. Au point que ces motifs rococos du mobilier de luxe du xviiie siècle, qui se retrouvent dans tous les anciens hôtels particuliers occupés par les ministères – ce que l’on appelle couramment les palais de la Républiques » – sont devenus naturels dans la mise en scène du pouvoir en France. C’est par exemple ce décor que choisit l’un des principaux conseillers de Manuel Valls, alors Premier ministre, pour illustrer son compte Twitter Figure 3. Capture d’écran du profil Twitter d’Harold Hauzy, conseiller en communication du Premier ministre Manuel Valls. Source photo personnelle prise le 13 mai 2016. Si ce mobilier n’est pas au tout premier plan dans le portrait d’Emmanuel Macron, il est tout de même assez présent, et son importance est loin d’être nulle. À cet égard, c’est un élément qui nuance fortement les velléités de modernité du portrait – ou qui les équilibre, suivant le point de vue adopté. Il est en tout cas frappant de voir que l’iPhone, cet emblème d’une manière de gouverner qui se veut moderne, se marie ici très bien avec l’acajou du bureau Louis XV. Figure 4. Portrait officiel d’Emmanuel Macron – détail. Le serviteur de l’État à sa besogne S’il s’agit d’une innovation concernant les portraits de présidents, la mise en scène de soi des puissantes[7] en présence d’un meuble de bureau n’est pas pour autant nouvelle. En l’occurrence, ce portrait m’en rappelle un autre, représentant Charles-Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances[8] de Louis XVI de 1783 à 1787. Il est peint par Élisabeth-Louise Vigée-Le Brun en 1784, soit peu de temps après la nomination de Calonne[9]. On peut raisonnablement penser que ce tableau, tout comme le portrait présidentiel, vise à présenter au public une image positive de l’homme d’État qui puisse légitimer sa position et son autorité. Dans les deux cas, le bureau tient une place essentielle dans la composition de l’image. Figure 5. Élisabeth-Louise Vigée-Le Brun, Portrait de Charles-Alexandre de Calonne, 1784, huile sur toile, 155,5 sur 130,3 cm, Londres, The Royal Collection. Source Wikipédia. Le ministre semble interrompu en pleine séance de travail, assis devant son bureau encombré de plumes, d’encriers et de liasses de dossiers. Parmi cet amas de papiers on distingue un projet d’édit établissant une caisse d’amortissement ; c’est à la fois une manière d’évoquer sa principale mission – régler la crise financière de l’État – et de montrer sa force de travail. Le billet qu’il tient en main, à l’adresse du roi, ainsi que le cordon de l’ordre du Saint-Esprit qu’il porte en bandoulière, symbolisent quant à eux la proximité avec le monarque. Figure 6. Élisabeth-Louise Vigée-Le Brun, Portrait de Charles-Alexandre de Calonne, détail. On retrouve ainsi dans le tableau les deux sources fondamentales de l’autorité du ministre ses propres compétences d’homme d’État et la protection royale. J’ajouterais un détail, qui personnellement m’enchante les traces blanches sur les épaules de Calonne. Manière peut-être pour l’artiste de rappeler l’artifice et la mise en scène au fondement de ce pouvoir en représentation, qui nécessite des pigments de couleur pour en produire la peinture, et de la poudre de riz pour teindre les perruques. Ce portrait de Calonne est assurément celui d’un puissant serviteur de l’État – c’est bien là le sens étymologique du ministre en latin, minister –, mais il me paraît ne pas du tout entrer dans la catégorie des portraits du roi[10] ». Le roi, bien qu’il ait lui aussi un bureau[11] et qu’il accomplisse l’essentiel de son travail dans un cabinet[12], n’est jamais représenté dans cette posture. Les objets qui l’entourent ne sont pas des plumes ou de l’encre, mais une couronne, un sceptre et une main de justice – ce que l’on appelle les regalia, les objets qui symbolisent la royauté. On ne fait pas le portrait du roi dans son cabinet, puisque le roi n’a pas besoin de travailler ou de justifier de son autorité pour l’incarner. Figure 7. Portrait officiel du second mandat de Barack Obama 2012-2016. Sources Wikipédia. Portrait républicain d’un président ? Étonnamment, en comparant les portraits de Calonne et d’Emmanuel Macron, je me rends compte que c’est la première fois qu’un président de la République est sur ce point en rupture avec le modèle du portrait du roi. En mettant en scène ce bureau rempli d’objet, l’objectif du cliché était certainement de répondre à un copieux cahier des charges symbolique, et l’on peut discuter de sa réussite ou non sur ce plan. L’idée était probablement aussi de moderniser ce genre très convenu du portrait présidentiel, probablement en s’inspirant du modèle américain – on a beaucoup évoqué le président américain Barack Obama, posant tout sourire devant son bureau pour la photographie officielle de son second mandat. De fait, il n’est pas impensable que le public d’une république supposément démocratique ne se contente plus d’un vieil imaginaire monarchique, considérant que le pouvoir n’aurait besoin que de se manifester pour se légitimer. Peut-être peut-il s’agir ici d’une forme de réponse à la contradiction intrinsèque de la Cinquième République, qui se veut régime démocratique tout en se fondant sur l’incarnation de l’autorité politique par une figure individuelle. De la part de celui qui se revendique d’une présidence jupitérienne » et pour qui la figure du roi est importante, on peut toutefois juger cela assez étrange. Dans tous les cas, en inscrivant l’image emblématique de son mandat dans une généalogie iconographique qui la rapproche plutôt du portrait du ministre que du portrait du roi, Emmanuel Macron a opéré une rupture dont on n’a peut-être pas conscience à première vue. Démonstration que la manipulation des images et des symboles est bien souvent un exercice plus ardu qu’on ne le pense. Maxime Triquenaux Août 2017 Je remercie chaleureusement Cécile Thomé pour sa relecture de ce billet. NOTES [1] Par exemple dans Libération, dans un article particulièrement riche d’Isabelle Barbéris, [2] Par exemple dans Le Figaro, sous la plume du consultant en communication Jacky Isabello, ou dans la Nouvelle République, sous la plume du sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle. [3] Cette décision correspond aussi au choix d’un nouveau bureau à l’intérieur même du palais, puisqu’il semble qu’Emmanuel Macron ait voulu délaisser le traditionnel Salon doré », qui sert de bureau officiel au président depuis De Gaulle. Le nouveau bureau – qui était déjà celui choisi par Valery Giscard-d’Estaing – est situé dans un salon d’angle, plus spacieux, et doté d’une vue sur le parc. Source France Info. [4] Dont on peut supposer que le choix ne laisse rien au hasard les Mémoires de Charles de Gaulle, ouverts sur le côté gauche, dans l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade – inscription dans l’histoire de la Cinquième République –, un volume des œuvres de Stendhal, contenant en particulier Le Rouge et le Noir – soit un roman racontant l’ascension sociale d’un jeune provincial ambitieux – et un autre de Gide, contenant Les Nourritures terrestres. Je sèche un peu sur le choix de ce dernier, toute hypothèse est par conséquent la bienvenue ! [5] Voir Michel Pastoureau, Le coq gaulois », in Pierre Nora dir., Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, coll. Quarto », 1997, p. 4297-4319. L’illustration qui accompagne l’article fait d’ailleurs observer que c’est le même emblème qui donne son nom à la Grille du Coq » servant aux visites discrètes à l’Élysée. Manière de professer une forme de machiavélisme » et d’habileté dans l’exercice du pouvoir, ou du moins d’accepter sa part dans la fonction de président ? [6] Pour en savoir plus sur sa symbolique, on peut tout simplement lire l’article Wikipédia sur ce tableau, particulièrement bien fait. [7] Des hommes, principalement – mais pas seulement je pense d’ailleurs en particulier au Portrait en pied de la marquise de Pompadour, pastel de 1752-1755 réalisé par Maurice-Quentin de la Tour et qui se trouve au Louvre, représentant la maîtresse de Louis XV assise à son bureau, entourée de partitions, de cartons à dessins et de volumineux volumes de l’Encyclopédie et de L’Esprit des lois. [8] L’équivalent d’un ministre des Finances, et à l’époque le ministre le plus important du cabinet royal. [9] Voir la notice du tableau dans Xavier Salmon et Joseph Baillio dir., Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2015, p. 163. [10] Voir Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, coll. Le sens commun », 1981. Voir aussi mon précédent billet sur la question. [11] Louis XV se fait ainsi fabriquer bureau à cylindres extrêmement sophistiqué, qui figure aujourd’hui parmi les collections du château de Versailles et qui est peut-être l’un des plus luxueux meubles du monde. Voir notamment l’article Wikipédia de bonne qualité sur ce sujet. [12] Pour le cas de Louis XIV, voir notamment Joël Cornette, La mort de Louis XIV. Apogée et crépuscule de la royauté 1er septembre 1715, Paris, Gallimard, coll. Les journées qui ont fait la France », 2015. J’aimerais ajouter quelques mots à propos des portraits de rois et de présidents. Pour être exact, à propos d’une image en particulier, que j’ai pu prendre un peu à la légère dans mon précédent billet, alors qu’elle est en fait tout à fait passionnante dès lors qu’on y regarde de plus près. Il s’agit du portrait officiel de Charles de Gaulle. Portrait officiel du président de Gaulle. Photographie par Jean-Marie Marcel La production d’une telle image a une logique politique incontestable. Il s’agit d’abord d’intégrer la nouveauté institutionnelle qu’est le président de la Ve République dans une tradition longue. Sa prise de pouvoir en 1958 a laissé des traces. On se souvient de la pression de militaires de l’armée française en Algérie qui menaçaient Paris et des conditions exigées par de Gaulle, à savoir un changement de constitution. François Mitterrand ne pardonnera jamais ce péché originel du régime gaulliste et vilipendera dans ses années d’oppositions le Coup d’État permanent, avant de se glisser confortablement et avec quelle aisance ! dans le costume du général-président. Bref, la présidence doit donner des gages de républicanisme et faire bien attention à l’image qu’elle renvoie de son propre pouvoir. On peut analyser plusieurs éléments du portrait à la lumière de cette exigence. De Gaulle porte, comme ses prédécesseurs, les insignes de grand-croix de la Légion d’Honneur, qu’il est devenu de plein droit en devenant le Grand Maître de l’Ordre, en tant que chef de l’État. Autre détail extrêmement intéressant il appuie sa main droite sur des livres, dans une pose adoptée par le premier président de la IIIe République, Adolphe Thiers – qui était également le premier chef de l’État français à faire le choix de la photographie plutôt que de la peinture. Quel symbole plus fort de l’enracinement de ce nouveau régime dans l’histoire républicaine, d’autant plus que ce geste est adopté par la plupart des anciens présidents ? Portrait officiel d’Adolphe Thiers, 1871. Photographie par Pierre Petit. Un autre enjeu est aussi celui de l’image personnelle du général de Gaulle. Celui que l’on n’a pas besoin de nommer le Général », avec majuscule de rigueur, que l’on reconnaît à son allure éléphantesque[1] », dans son uniforme militaire, est déjà, à son retour au pouvoir, un mythe[2]. Il l’était toujours lorsque, dans mon enfance, j’entendais les récits de sa visite dans telle ville de province après-guerre. Il l’est très certainement encore aujourd’hui quand, malgré tout l’esprit critique avec lequel j’essaie de prendre de la distance, je ne peux retenir une intense émotion à l’écoute de la belle chanson de Gilbert Bécaud, et que j’associe son image et sa voix à celles de mes grands-parents disparus, gaullâtres patentés. Ce mythe, construit notamment pendant la Résistance grâce à la diffusion de photographies destinées à répandre l’image d’un homme presque inconnu du public, est d’une intense puissance poétique au sens qu’il stimule la création et encourage les réappropriations. Les caricaturistes ne s’y sont pas trompés. Ainsi, lorsqu’il s’agit de faire coïncider la forme de son visage avec celle de l’hexagone français, en transformant son nez bourbonien, cette péninsule digne de Cyrano de Bergerac, en Bretagne, comme c’est le cas dans ce dessin de Tim, en 1969. Dessin de Tim, 1969, dans son album “Une certaine idée de la France”. De même, quand il s’agit d’attaquer de Gaulle, les étudiantes des Beaux-Arts de Paris n’ont qu’à dessiner sa silhouette pour créer leurs magnifiques affiches pendant Mai 68. Affiche de Mai68, par l’atelier de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Bref, au moment de la création du portrait officiel, il s’agit d’articuler ce mythe du Sauveur à l’image plus réglée du chef d’un État démocratique. L’apparence de normalité institutionnelle du portrait joue un rôle indiscutable. Elle permet de montrer un homme qui a abandonné son uniforme militaire pour un habit civil, qui a quitté l’état de général plus ou moins putschiste pour celui de premier magistrat d’une république. Et pourtant…. Et pourtant il ne s’agit pas ici de n’importe quel président de la IVe République, qui inaugure des chrysanthèmes et n’exerce aucun réel pouvoir. Le militaire a certes rangé sa veste kaki réglementaire, mais c’est pour mieux revêtir, non pas l’habit classique des civils, mais l’uniforme d’apparat du général de brigade qu’il est toujours notez les épaulettes, qui en sont le signe indiscutable, quoique si discret. Et surtout – ce qui est crucial – à travers le grand collier de l’Ordre de la Libération. Créé en 1941, il ne comporte qu’un seul grade, celui de Compagnon, et un seul et unique Grand Maître Charles de Gaulle. À sa mort en 1970, les Compagnons décident qu’ils ne lui donneront aucun successeur, et il restera le seul et unique chef suprême de cet ordre de chevalerie moderne. Détail du collier du Grand Maître de l’Ordre de la Libération. En arborant ce collier, de Gaulle envoie ce message clair, quoiqu’implicite sa légitimité n’est pas seulement celle de l’élection démocratique, fût-elle, à partir de 1962, au suffrage universel. Sa légitimité est celle de l’Histoire et des circonstances, celles qui ont fait de lui le chef de la France libre en 1940 et l’ont rappelé au pouvoir en 1958 pour sauver le pays. Les institutions sont une chose, mais elles représentent si peu à côté de l’onction presque sacrée que symbolise cette petite croix de Lorraine surmontée d’une épée Ce portrait, apparemment si classique et au fond si subversif, incarne un des aspects les plus caractéristiques du mythe selon Roland Barthes sa dimension tautologique. De même que Racine est Racine[3] », de Gaulle est de Gaulle. C’est ce qui fait de lui le nouveau monarque de la France. Caricature de Moissan, Le Canard enchaîné, 1963. MT Je remercie Cécile Thomé pour sa relecture de ce billet. NOTES [1] Le mot est du propre fils du général de Gaulle. Voir Philippe de Gaulle, De Gaulle, mon père, Paris, Plon, 2003. [2] Pour une analyse historique de ce mythe politique, dans la lignée de Raoul Girardet Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, voir Sudhir Hazareesingh, Le mythe gaullien, Paris, Gallimard, coll. La suite des temps », 2010. [3] Voir Roland Barthes, Mythologies [1957], in Œuvres complètes, éd. Éric Marty, t. 1, Paris, Seuil, 2002, p. 745 et suivantes. Louis XIV en costume de sacre, Hyacinthe Rigaud, 1701 – Musée du Louvre. Depuis le livre fondateur de Louis Marin[1], le portrait du roi est une image fétiche des réflexions sur les représentations du pouvoir. Le tableau peint en 1701 par Hyacinthe Rigaud représentant Louis XIV en costume de sacre est devenu le modèle du genre. Il faut dire que derrière l’icône, si connue qu’on ne la regarde plus vraiment, se cache une œuvre assez extraordinaire, presque entièrement fantasmatique derrière son apparent réalisme[2]. Il y a bien sûr les éléments attendus d’une représentation du pouvoir la couronne est posée sur un coussin d’apparat fleurdelysé, avec la main de Justice. L’épée de Charlemagne, Joyeuse, utilisée lors du sacre à Reims[3], est portée sur le côté, comme une quelconque rapière. Le roi arbore le collier de Grand Maître de l’Ordre du Saint-Esprit. Pas de doute possible, il s’agit bien du roi, et d’un roi de majesté, représenté avec tout l’apparat, tous les symboles de son pouvoir. J’insiste un peu là-dessus parce que ce mode de représentation n’a rien d’universel. Si Louis XIV, et à sa suite les souverains qui s’appuieront sur son modèle, fait le choix d’une pompe royale, les Habsbourg d’Espagne optent au même moment pour une représentation tout à fait différente de leur pouvoir. Il suffit de voir les portraits de Philippe IV – contemporain de Louis XIV – par Velázquez, fascinants de sobriété, où le seul élément qui indique la dignité royale du modèle est le discret collier de l’Ordre de la Toison d’Or. Et puis, en regardant de plus près ce portrait de Louis XIV, on s’aperçoit de détails dissonants ou étranges. Il y a d’abord ce geste étonnant qui consiste à s’appuyer sur son sceptre comme s’il était une canne, à la manière du Charles Ier d’Angleterre peint par Van Dick, qui avait mis cette posture à la mode en peinture. Et puis il y a surtout cette position des jambes, ce pas de danse qui rappelle le jeune Louis XIV, friand de ballet, qui se prêtait lui-même au jeu des représentations devant la cour, grimé en Apollon. Comme le note Peter Burke, il y a un certain équilibre entre solennité et décontraction[4] », entre l’image éternelle d’une royauté pluriséculaire et celle, plus particulière et circonscrite, d’un siècle moderne, qui s’affranchit du modèle antique et que l’on appellera bientôt avec Voltaire le Siècle de Louis XIV ». C’est bien ce qu’indiquent les détails vestimentaires propres à la mode du temps la perruque, les manches en dentelle, les talons rouges… Mais il y a surtout cette bipartition en deux du tableau. Les jambes sveltes de danseur étonnent d’autant plus que, si le bas du corps est celui d’un Louis XIV jeune, le visage est bien celui d’un homme de soixante ans, qui a souffert mille maladies et perdu toutes ses dents et qui, dans les faits, sera bientôt condamné à se déplacer dans une chaise roulante. La couleur noir foncé de la perruque surprend d’ailleurs, de même que sa taille si imposante. Si l’on sait que Louis XIV se plaignait alors d’un douloureux furoncle persistant à la nuque, il est possible d’y voir une démonstration de courage et d’abnégation d’un homme malade mais qui supporte le poids de son métier de roi[5] ». Quoiqu’il en soit, le roi semble bien avoir deux corps. On voit bien où je veux en venir[6]. Et d’ailleurs, comme il était attendu, Ernst Kantorowicz a lui-même commenté ce tableau[7]. Pour être exact, l’image qu’il commente est plutôt la caricature par William Makepeace Thackeray 1811-1863, romancier et dessinateur anglais. Selon Kantorowicz, ce décalage dans l’image n’a pour but que de donner à voir le corps mortel du roi, celui qui vieillit et qui mourra un jour, tandis que les regalia, les symboles de sa dignité, demeurent éternellement intacts. Caricature du portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, William Makepeace Thackeray – The Paris Sketch Book by Titmarsh, 1840. On pourrait multiplier les analyses de détail de ce tableau véritablement passionnant. Mais si l’on n’en doit retenir qu’une seule chose, ce sont les décalages, subtils et indirects, qui interrogent et étonnent. Si le tableau n’implique pas de lecture évidente, mais encourage au contraire la réflexion et le recul, c’est peut-être que l’objet qu’il nous présente appelle une telle attitude. Le pouvoir qui nous est représenté est mystérieux et énigmatique. Il pose problème, il interroge. De mon point de vue, c’est toute la grandeur de cette œuvre d’art, qui fait d’elle quelque chose de beaucoup plus fort qu’une vulgaire peinture de propagande, à la lecture facile. J’ai dit que ce portrait avait été la matrice des représentations officielles des successeurs de Louis XIV, et il faut bien admettre que l’on retrouvera souvent le même modèle. Le portrait en costume de sacre de Louis XVI par Duplessis se passe presque de commentaire. De la même manière, les présidents de la Ve République perpétuent à leur façon une tradition de représentation du pouvoir, avec son apparat ou non. De 1958 à nos jours, on peut distinguer deux traditions différentes. La première, classique, représente le président arborant les symboles de sa dignité. C’est le modèle choisi par Charles de Gaulle, puis par Georges Pompidou, et plus récemment par Nicolas Sarkozy. Une deuxième option est explorée par d’autres présidents, qui consiste au contraire à refuser l’apparat trop clinquant du pouvoir. Le portrait de Valery Giscard d’Estaing, dans le choix du fond bleu-blanc-rouge et la préférence pour le costume moderne au détriment de l’habit à queue de pie, ne semble signifier qu’une seule chose la rupture avec le passé et le choix de la modernité. Celui de Jacques Chirac est pris dans le jardin de l’Élysée, les bras croisés derrière le dos, dans une attitude qui se veut probablement paisible et rassurante. Seule la boutonnière rouge nous rappelle que ce gentleman farmer qui penche légèrement la tête est le Grand Maître de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Si ma préférence va à ces portraits atypiques – ou qui, du moins, s’éloignent quelque peu du modèle canonique de Louis XIV/de Gaulle – c’est qu’à mon sens ils signifient quelque chose sur le pouvoir présidentiel, qui ne peut ou du moins ne devrait être semblable à celui du roi en régime démocratique. Une forme de modestie, mais aussi quelque chose d’un peu plus commun dans ces photographies, vient nous rappeler que ces hommes sont à la tête de pays qui se veulent démocratiques. Toutes ces images, du moins, expriment une forme d’écart vis-à-vis du modèle royal du pouvoir, en posant plus de questions qu’ils n’apportent de réponses sur ce qu’est un président sous la Ve République. Mais, pour moi, le plus fascinant de tous ces portraits est probablement celui de François Hollande. Portrait officiel de François Hollande par Raymond Depardon – 2012. Ce portrait, photographié par Raymond Depardon, avait beaucoup intrigué à sa publication. Il faut dire qu’il arrivait après celui, très classique et assez laid, à mon sens de Nicolas Sarkozy. Le portrait est ici pris dans un format inhabituel en lui-même puisque le cadre est carré et Depardon explique qu’il a pris le cliché avec un vieil appareil de 1962. Les symboles obligatoires sont présents – le drapeau tricolore et le drapeau européen –, mais tandis que dans le portrait de Sarkozy ils figuraient très classiquement dans un drapé qui se voulait probablement élégant, ici ils sont dans le décor, en arrière-plan. C’est d’ailleurs cette composition, avec en arrière-plan assez flou le palais de l’Élysée éclairé d’une belle lumière d’été, et le personnage central comme s’avançant vers l’objectif, qui fait que l’image est réussie pour moi. Et puis il y a la posture. Hollande n’est pas tout à fait de face, pas tout à fait de trois-quarts non plus. Le visage est plutôt calme et donne une impression de sérénité, mais le bas du corps vient contrarier ce premier aperçu, notamment dans la manière dont les bras et les mains sont mis en avant par le cadrage – puisqu’il me semble bien que c’est une sorte de plan américain, celui dont on se servait dans les westerns pour voir les colts à la ceinture des cow-boys et leurs mains prêtes à les dégainer. Ces mains un peu balourdes, qui ne savent pas bien comment se placer, qui semblent hésiter entre la formalité du garde-à-vous et le relâchement décontracté, je les trouve particulièrement éloquentes. Il me semble bien qu’elles disent, dans leur inadéquation, une sorte de mystère du pouvoir qui, tout en n’étant pas si éloigné de celui que peignait Rigaud, est bien plus problématique encore en 2015 dans la République française. Ce type est à la fois tranquille et anxieux, sûr de son élection récente et inquiet de l’incarnation qu’il va produire. Il rentre dans le cadre du pouvoir, s’avance face au public, plutôt qu’il n’y figure de toute éternité. À la fin de la représentation, il pourra en ressortir, selon la loi de l’élection démocratique. Le portrait de François Hollande est-il réussi ? Il a en tout cas suscité nombre de commentaires et de critiques. Toujours est-il qu’à l’instar du modèle ancien du portrait du roi, et quoique bien différent de ce dernier, il continue à intriguer en posant tout autant de question sur ce que peut être le pouvoir. C’est probablement tout son mérite. Post Scriptum Il y a quelques jours était diffusé un documentaire sur la présidence de François Hollande – et c’est en le regardant que j’ai repensé à Rigaud et Depardon. Le réalisateur, un habitué des documentaires politiques, a obtenu l’autorisation de filmer l’intérieur de l’Élysée et de suivre plusieurs personnages importants dans le dispositif présidentiel français le secrétaire général, le conseiller en communication, et bien sûr le président lui-même. Aussi ennuyeux et irritant que parfois passionnant pour qui s’intéresse aux questions de représentation, ce documentaire posaient de nombreuses questions, dont celle-ci qui devrait intéresser les dix-huitiémistes pourquoi faut-il que le pouvoir en France soit associé au mobilier et à l’architecture du XVIIIe siècle ? Pourquoi le président vit-il dans un palais qui appartint un temps à Madame de Pompadour ? Pourquoi notre référence visuelle implicite, dans ces dorures des ministères et des palais de la République et ces bureaux marquetés, est-elle Louis XV ? J’avoue ne pas avoir de réponse claire. Je remercie Cécile Thomé pour la relecture de ce billet, qui est dédicacé à Bertrand Nicolle, autre grand amateur de portraits du roi. MT NOTES [1] Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, coll. Le sens commun », 1981. [2] Pour une contextualisation historique et un développement plus précis de ces quelques pistes d’analyses, voir le très bon article de Myriam Tsikounas, De la gloire à l’émotion, Louis XIV en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud », Société & représentations, 2008/2, n° 26, p. 57-70. [3] Voir sur le sacre Jacques Le Goff, Reims, ville du sacre », in Pierre Nora dir., Les lieux de mémoires, t. 1, Paris, Gallimard, coll. Quarto », 1997, p. 649-733. [4] Peter Burke, Louis XIV. Les stratégies de la gloire [1992], Paris, Points, 2007, p. 48. [5] Myriam Tsikounas, De la gloire à l’émotion », art. cit., p. 65. [6] Je fais référence à la théorie des deux corps du roi, développée par l’historien allemand Ernst Kantorowicz Les Deux Corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge [1957], in Œuvres, Paris, Gallimard, coll. Quarto », 2000. Pour une synthèse voir la note de lecture de Loïc Blondiaux, Politis, 1989/2, n° 6, p. 84-87. Lien [7] Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi, op. cit., p. 936-937. "Il faut reprendre le XVIIIe siècle à sa légende" Jean Starobinski
Lavéritable histoire de Jean-Corentin Carré, jeune soldats de la guerre 14-18. Sophie Crépon, Montrouge, Bayard Jeunesse, 2018, 51p. Le journal intime du plus jeune soldat de la Première Guerre mondiale qui, mentant sur son âge, est engagé volontaire dès 15 ans. Le Breton patriote originaire de Le Faouët est envoyé sur le front en
Durant la Première Guerre mondiale, des milliers d'enfants ont tenté de partir au front. Engagé à 15 ans après avoir menti sur son identité, le Breton Jean-Corentin Carré devint à l'époque le plus célèbre symbole de courage et de patriotisme."Je ne me suis pas engagé pour faire parler de moi, pour qu’on dise celui-là est un brave, je préfère rester inconnu et je ne cherche que ma satisfaction personnelle du devoir accompli. […] La vie en elle-même n’est rien si elle n’est pas bien remplie." C’est par ces mots écrits à son instituteur, alors qu’il était au front, que Jean-Corentin Carré a résumé modestement son envie d’être un "poilu". Ce jeune Breton ne recherchait pas la gloire, mais il a pourtant été érigé en héros après sa mort en 1918. Il faut dire que son parcours a de quoi susciter l’admiration. En réussissant à s’enrôler à seulement 15 ans, il est entré dans l’Histoire comme l’un des plus jeunes combattants français de la Première Guerre 1914, lorsqu’éclate le conflit, Jean-Corentin Carré n’est qu’un enfant du Faouët, un petit village du Morbihan, dans le centre de la Bretagne. Né en 1900 dans une famille modeste de journalier agricole, il se démarque par son intelligence et son esprit débrouillard. "C’était un élève brillant pour l’époque. Il a eu son certificat d’études à 12 ans avec les félicitations du jury et a ensuite été employé chez le percepteur", raconte Pierre Palaric, le président de l’association Mémoire du pays du Faouët, dont le propre père a côtoyé Jean-Corentin dans la cour de l’école le père de ce dernier est appelé à rejoindre le front, le fils veut aussi défendre sa patrie et en découdre avec les Allemands, mais il est alors beaucoup trop jeune. Sa demande d’engagement volontaire est refusée par le maire du village. Jean-Corentin Carré ne se laisse pas pour autant décourager. En avril 1915, il explique à sa famille qu’il veut embarquer pour l’Amérique du Sud, mais c’est en fait à Pau qu’il pose ses bagages. Toujours décidé à porter l’uniforme, il se présente au bureau de recrutement sous le faux nom d’Auguste Duthoy. Pour ne pas éveiller les soupçons, il déclare être né à Rumigny dans le département des Ardennes, alors occupé par l’armée allemande. Aucune vérification n’est donc possible. Malgré son visage enfantin, Jean-Corentin atteint son objectif. Il est incorporé au 410e Régiment d’infanterie à Rennes où il retrouve ses compatriotes expliquer qu’un enfant puisse avoir une telle rage d’en découdre ? Pour Pierre Palaric, le "petit gars du Faouët" a certes un caractère bien trempé, mais il est surtout le produit d’une époque. Après la défaite de 1871, l’école républicaine a entretenu le souvenir d’une France vaincue et humiliée "Il y avait des bataillons scolaires. Il y avait aussi des livraisons de trois fusils par école, ainsi qu’une initiation à l’histoire géographie et à la morale. Ce n’était pas seulement au Faouët, mais dans toutes les écoles françaises. Son instituteur M. Mahébèze était un fervent patriote, et cela l’a peut-être influencé".Comme dans ses cahiers d’écolier, Jean-Corentin Carré se démarque aussi très vite sur le front. Dans son carnet de route où il consigne son vécu dans les tranchées, dans le secteur du Mesnil-lès-Hurlus dans la Marne, il raconte ses premières reconnaissances en novembre 1915 "Je sors tout seul, baïonnette au canon et cartouches dans les poches. Je traverse des tranchées démolies et pleines de cadavres que je suis obligé de piétiner. […] Je vois un Boche à cinquante mètres de moi courir dans la direction de ses lignes. Je tire, l’ombre continue à courir puis s’évanouit à mes yeux. […] Je rentre vivement et je vais rendre compte de ma mission au capitaine, qui me félicite." Remarqué par ses supérieurs, il est nommé caporal puis sergent. Il est même cité à l’ordre du corps d’armée et obtient la croix de quelques jours avant son 17e anniversaire, le poids de sa fausse identité lui pèse trop et il décide de révéler la supercherie à son colonel par une lettre "Je vous écris pour vous demander s’il me serait possible ayant l’âge réglementaire de reprendre mon véritable nom. […] Je ne suis pas plus patriote qu’un autre, mais je considère qu’un Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’arrière".Grâce à la bienveillance de son officier supérieur, Jean-Corentin Carré réintègre l’armée en février 1917, sous son vrai nom, et il est même promu adjudant. Désormais aguerri au combat dans les tranchées, le Breton souhaite rejoindre la prestigieuse aviation. Le petit paysan du Morbihan obtient son brevet de pilotage. "On l’a autorisé à entrer dans l’aviation comme récompense pour ses actions d’éclat. Il s’était fait remarquer en se portant toujours volontaire. Il a dû prendre le goût de l’aviation en voyant les combats aériens au-dessus de sa tête. Cela correspondait à ce qu’il voulait, prendre des risques mais pour lui seul. Il le disait, il voulait 'semer l’effroi et la terreur chez les boches'", estime Pierre le quotidien d’un pilote est encore plus dangereux que celui d’un "simple trouffion". La durée de vie des pilotes est à ce moment de seulement trois mois. Affecté à un avion d’observation Jean-Corentin Carré ne déroge pas à cette funèbre règle et périt lors d’une mission en 1918. "Adjudant Carré Jean-Corentin, du 410e régiment d'infanterie, pilote à l'escadrille SO 229 attaqué par trois avions ennemis, le 18 mars, s'est défendu énergiquement jusqu'à ce que son appareil soit abattu, l'entraînant dans une mort glorieuse", résume sa troisième et ultime héros nationalEn quelques mois, le petit écolier du Faouët devient un héros en Bretagne et dans toute la France. Deux biographies lui sont consacrées. À la demande du ministère de l’Instruction publique, une affiche est même réalisée en 1919 pour célébrer sa gloire dans les salles de classe. "Cette figure de l’enfant-héros avait déjà été utilisée pendant la guerre avec des livres d’images. Le but du gouvernement, ce n’était pas que tous les enfants fuguent pour rejoindre le front, mais que chacun reste à sa place. La propagande de guerre va exploiter quelques figures d’enfant-héros pour dire Vous êtes un peuple intrinsèquement héroïque, vous les enfants de France. Mais votre héroïsme à vous, il faut le mettre en application à votre place, c’est-à-dire à l’arrière, en étant de bons élèves, de bons fils, de bonne fille", explique Manon Pignot, auteur de l’enfant-soldat XIX-XXIe l'atteste cette historienne dans son ouvrage, l’histoire de Jean-Corentin Carré n’est pas unique. Quelques milliers d’enfants-soldats ont tenté de participer aux combats. Parmi toutes les armées des pays belligérants, des exemples sont restés célèbres. En Grande-Bretagne, Jack Cornwell est devenu une figure historique après avoir été tué à seulement 16 ans, alors qu’il avait été embarqué contre l’avis de ses parents dans la Royal Navy. Le soldat du Faouët n’est pas non plus le plus jeune "Il y avait un petit Italien naturalisé français Désiré Bianco, qui s’est engagé dans l’infanterie coloniale et qui est mort aux Dardanelles à 13 ans"."Des adolescents combattants"Pour Manon Pignot, maître de conférences à l'université de Picardie-Jules Verne, le parcours de Jean-Corentin Carré est avant tout exceptionnel en raison des documents qu’il a laissés. "On sait beaucoup de choses sur lui alors que la très grande majorité des adolescents combattants se sont perdus dans la masse. Ils ne sont pas dans les archives car ils ont menti sur leur âge et sur leurs noms. Je préfère parler d’adolescents combattants plutôt que d’enfants soldats car justement c’est parce qu’ils ne sont plus des enfants qu’ils arrivent à s’engager. S’ils avaient l’air d’être des enfants, ils ne seraient jamais arrivés jusqu’au front, insiste l’historienne spécialiste de la Grande Guerre. La présence de ces jeunes soldats étonnent beaucoup plus les gens aujourd’hui que cela devait étonner à l’époque. Il ne faut pas oublier que lors de la guerre 14, les adolescents de 14-15 ans travaillaient déjà. L’école n’était obligatoire que jusqu’à 13 ans. La proximité entre les hommes et les adolescents était quelque chose de banal".Presque 100 ans après son engagement, Jean-Corentin Carré incarne à lui seul la mémoire de ces "adolescents combattants". Au Faouët, une poignée d’habitants continuent d’entretenir son souvenir. Baigné depuis son enfance par les récits de la bravoure du petit Breton, Pierre Palaric veille sur le monument érigé en 1939 en l’honneur du jeune poilu et raconte inlassablement son histoire auprès des élèves d’aujourd’hui "Je trouve qu’il a une certaine forme de candeur. Il croyait qu’il allait ramener les 'boches' chez eux. On retrouve cette candeur dans les maquis de 1943/1944. Ce n’étaient pas des gens imbus de leur personne, mais ils pensaient qu’ils pouvaient apporter quelque chose".
Lauteur démarre l’action avec la présentation d’une affiche de propagande évoquant Jean Corentin Carré engagé à quinze ans en trichant sur son âge et à peine plus loin parle de Gustave à la page 20, fait caporal à quinze ans selon la propagande, en tout cas effectivement originaire des Côtes-du-Nord, nom à l’époque des Côtes-d’Armor, et faisant le
Nous publions ci-dessous, en tant que tribune, le travail d’Octave, membre actif de et passionné de la première guerre mondiale. Cent ans après, quelle image de la Première Guerre mondiale les jeunes francophones peuvent-ils se faire en lisant des romans historiques qui leur sont destinés ? Jamais avant et vraisemblablement plus jamais après novembre 2014 on ne trouvera environ 70 romans historiques pour ce sujet chez les éditeurs francophones européens. Notre corpus ne sera composé que de romans historiques[1], il y aura donc un ensemble de première édition et de rééditions qui couvriront un espace de création qui est en gros celui de ce début de XXIe siècle. Nous écartons tout ce qui se présente sous l’apparence du documentaire et de l’album. Ayant le format d’un roman, le titre doit proposer une surface de texte au moins égale au double de l’espace occupé par l’illustration. C’est durant la Première Guerre mondiale qu’eût lieu le premier investissement massif de la propagande patriotique en direction des enfants. Cette mobilisation idéologique des plus jeunes prit diverses formes qui sont bien mises en valeur par plusieurs études[2]. Nous verrons quels messages conformes ou opposés sont passés cent ans après. Un recensement précis des lieux de combat évoqués dans ces romans contemporains n’a pas d’intérêt car il pourrait se traduire par une formule allusive qui serait À l’est de Verdun, rien de nouveau », à l’exception d’un récit dans les Vosges et un outre-mer. De même on n’a pas relevé les histoires où étaient inséré un courrier entre un poilu et l’arrière, tant ce motif est devenu récurrent. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées est un livre, qui après un récit de fiction, propose une trentaine de courriers authentique de divers poilus à leur famille. Table des matières1 Les animaux 2 Les enfants-héros3 Les gueules cassées et les obusés4 Les troupes venues de l’empire colonial français5 Les populations civiles6 Personnages historiques rencontrés7 Aujourd’hui jusqu’où introduire le doute sur le manichéisme du conflit ?8 Conclusion Les animaux Rosa Luxemburg non au frontières ! Anne Blanchard Pour séduire un jeune lectorat il va falloir donc trouver une accroche. Une des plus sures est de mettre en scène des animaux soit comme héros, soit comme personnages autour desquels le ou les héros humains vont être amenés à connaître des aventures. Le narrateur est le chat de Rosa Luxemburg dans l’ouvrage Rosa Luxemburg Non aux frontières par Anne Blanchard. En matière de bêtes héros principaux ou secondaires on trouve plusieurs sortes d’animaux. Pour les plus jeunes, en faisant une large place à l’illustration, les éditions canadiennes Michel Quintin ont proposé Une mission pour Vaillant d’Alain M. Bergeron. Cet ouvrage a un format de roman, toutefois l’importance de son illustration sur seulement 35 pages fait qu’il est bien adapté à des élèves de SEGPA, comme deux autres titres un peu plus denses au niveau du texte, que nous citons plus bas à savoir Mirliton le chien soldat et La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale. Le récit s’appuie sur un fait authentique, à savoir que le dernier pigeon à quitter le fort de Vaux en juin 1916 fut cité à l’ordre de la Nation pour avoir traversé des lignes en bravant les tirs et les gaz asphyxiants. L’on peut approcher ainsi le rôle de liaison entre une unité isolée ou des villages de la zone occupée et le gros des troupes, que purent assumer les pigeons. Notons que certains de ces oiseaux furent aussi munis de minuscules appareils-photographiques. Une mission pour Vaillant, Alain M. Bergeron La présence des chiens sur le front rentre dans la fiction dès l’époque de la Grande Guerre l’album Flambeau, chien de guerre de Benjamin Rabier sort en 1916. Le chien du récit Au temps de la Guerre 14-18 Mirtliton le chien soldat nous sensibilise à la fonction d’agent de liaison. Le récit est porté au départ par le fait que ce chien avait été donné à une petite fille par son grand-frère soldat sur le front et que c’est elle qui a l’idée de le proposer pour le chenil de l’armée. En 1999 paraît le premier tome d’une série Bleu qui en est à sept volumes à ce jour. Le choix de cet animal, me semblait-il, serait à même de rassurer le jeune lecteur un peu trop émotif… de même que ses parents… [3]». C’est un chien infirmier qui évite de nombreux dangers à son maître dont il est l’adjuvant. En 2014 sort La dernière course où les chiens sont le support de l’intrigue marquée par l’arrivée authentique sur le front des Vosges donc à la limite des frontières de l’Alsace-Lorraine de chiens de traîneau recrutés en Alaska afin en particulier de pouvoir aider à la liaison entre les tranchées et la zone des armées. Dans ce titre, l’héroïne est une jeune fille d’une quinzaine d’années vivant en Alaska depuis l’âge de cinq ans. Fille d’un père Jacques Larivière et d’une mère tous deux québécois, elle-même est née dans la Belle Province. Devenue, en se travestissant, instructeur pour les poilus qui s’occuperont des chiens de traîneau ramenés d’Alaska en traversant d’ouest en est le Canada pour le front vosgien. Sa maîtrise du français a de nombreuses conséquences dans le récit. Souviens-toi de moi, Martine Laffon Le cheval est un animal très représenté puisqu’outre Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo le second étant la suite du premier on a aussi Souviens-toi de moi de Martine Laffon. Si dans les deux premiers on suivait l’attachement qui liait un paysan anglais à un cheval qui avait appartenu à son père, le troisième met en scène Li Jian, un jeune lettré chinois capable à la fois de peindre des chevaux dans le pur style asiatique et de s’occuper d’eux. Li Jian fait parti des 100 000 et 40 000 travailleurs chinois respectivement pour les armées anglaises et françaises. Ces trois ouvrages permettent de mettre en évidence que les chevaux ne jouèrent pas seulement un rôle pour une cavalerie qui d’ailleurs n’a sur le front ouest quasiment plus d’utilisation après le début de l’année 1915. On s’attendait moins à trouver une tortue sauf si l’on n’ignore pas le rôle de mascotte qu’ont pu jouer pour les soldats des animaux adoptés par un régiment, un motif assez présent dans la littérature d’il y a cent ans. C’est l’adaptation d’un récit authentique que l’on trouve dans Passager clandestin de Michaël Foreman. Lors de la désastreuse bataille des Dardanelles, un marin anglais suite à un bombardement turc rencontre une tortue sur la plage de Gallipoli. L’animal va le suivre toute sa vie et même lui survivre. Enfin, existe tant en roman assez illustré qu’en BD la série Les Godillots d’Olier et Marko ; dans cette dernière un enfant a recueilli un singe et il part sur le front avec celui-ci dans l’espoir de retrouver son frère militaire dont il est sans nouvelle. L’animal fait plus ou moins avancer l’action selon les ouvrages, les personnages qui ont quelque chose à cacher lui montrent une hostilité au premier abord. Sur ces deux points évoqués jeune héros et présence d’animaux il y a une réelle constante entre ces deux littératures situées à près d’un siècle de distance. Les enfants-héros Les Godillots, Olier et Marko Quasiment tous ces livres ont pour personnage principal un jeune entre dix et dix-sept ans, toutefois ils interagissent avec des adultes ou dans le cadre d’actions en lien avec le conflit. Dans un roman de littérature de jeunesse un enfant peut se retrouver sur le front, nous regrouperons tous les ouvrages qui permettent une rencontre entre des jeunes et des soldats en train de se battre sous le nom de récits avec un enfant-héros. Toutefois, contrairement à la littérature de jeunesse de l’époque, il ne prend quasiment jamais les armes. Il est là comme spectateur même s’il est monté dans la zone des combats avec l’idée de faire le coup de feu. Dans Les Godillots d’Olier et Marko, jusqu’à présent le héros n’a pas retrouvé son frère; il a en revanche résolu des énigmes. Ainsi avec le seul épisode paru en 2014 sous forme de roman Le gourbi du sorcier trois tomes en BD existent, il permet de comprendre pourquoi un poilu peut deviner le succès ou non d’une attaque. En fait on a affaire à une opération de camouflage. A la gloire des petits héros, Gérard Hubert-Richou Promenade par temps de guerre d’Anne-Marie Pol a une intrigue qui s’appuie sur la recherche par un jeune de son père, porté disparu. Victor s’enfuit de l’orphelinat au début de l’automne 1918. Après de nombreuses péripéties où il montre qu’il appartient à une famille de gens du spectacle, il va découvrir que son père a fui la grange où il était enfermé dans la nuit qui devait précéder son exécution comme mutin. Ici un épisode de la vie du caporal landais Vincent Moulia inspire la fin de la fiction. À la gloire des petits héros de Gérard Hubert-Richou envoie un groupe d’enfants dans la zone des armées et si l’objectif est de rendre visite au père de l’un d’entre eux hospitalisé, les jeunes vont se retrouver prisonniers en ce mois d’octobre 1918. L’auteur démarre l’action avec la présentation d’une affiche de propagande évoquant Jean Corentin Carré engagé à quinze ans en trichant sur son âge et à peine plus loin parle de Gustave à la page 20, fait caporal à quinze ans selon la propagande, en tout cas effectivement originaire des Côtes-du-Nord, nom à l’époque des Côtes-d’Armor, et faisant le coup de feu avec des chasseurs alpins. La guerre des petits soldats de Gérard Streiff nous parle toujours d’un jeune garçon mais cette fois le ton est plus grave, d’abord parce que le père meurt à Ypres en avril 1915 du fait des gaz page 48, ensuite parce que c’est dans l’envie de le venger que Gustave se dirige vers le front et parce que le héros va découvrir la souffrance des blessés y compris des obusés qui sont des traumatisés. Là encore la figure de Jean Corentin Carré est convoquée page 56 et Gustave a pour nom de famille Chatain. On a vu plus haut ce que les historiens savent que Gustave Chatain. L’ouvrage montre combien la propagande utilise une anecdote Gustave se retrouve blessé dans un bombardement pour faire d’un enfant un héros qui aurait voulu servir d’appât aux troupes ennemies page 92. Avec Porté disparu de Catherine Cuenca est avancé le fait que l’on peut s’engager à dix-sept ans et celui qui fait cela, cousin du personnage principal, est au nombre des 300 000 soldats dont on n’a jamais retrouvé le corps. C’est également à dix-sept ans que le héros de Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo devient soldat. Camarades, toujours de Catherine Cuenca, a pour prolongement Le secret du poilu ; là on a un héros qui triche sur son âge pour s’engager puisqu’il n’a que seize ans. Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans, Arthur Ténor Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans d’Arthur Ténor interroge également sur qui fut en réalité le plus jeune poilu. La réponse est que natif du Piémont et vivant à Marseille, il s’appelait Désiré Bianco. Embarqué clandestinement depuis Toulon pour les Dardanelles alors qu’il avait à peine 13 ans, il est mort le 8 mai 1915 à Gallipoli. Arthur Ténor nous évoque le personnage de fiction Maximilien qui, rêvant de devenir journaliste, rejoint le front fin septembre 1914. Outre que de voir les réalités de celui-ci, il sera pris dans un souffle explosif qui le plongera dans un coma dont il ressortira très lentement. Ce qui est important, dans cet ensemble, c’est que le jeune lecteur suive la lente approche évolutive de ce qu’est la guerre que fait le héros. Les gueules cassées et les obusés Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon par Hervé Giraud comme Le fils de mon père d’Évelyne Brisou-Pellen ont comme ressort de l’intrigue que, devenu une gueule cassée ayant un visage déformé, un personnage préfère ne pas se faire connaître aux personnes de sa famille. Sélectionné pour le prix du roman historique pour la jeunesse 2015, le premier titre nous semble présenter une intrigue assez chimérique. Dans un cas on a simulation d’une perte de mémoire et visites incognito à sa fille orpheline de mère et dans l’autre substitution d’identité. Patrick Bousquet avec Les fracassés a choisi un titre qui fait allusion aux grands blessés de la Grande Guerre et un saut en 1921 permet d’annoncer la création de l’association L’union des blessés de la face ». L’idée est que certains poilus sans famille peuvent servir de cobaye à leur insu. La véritable histoire de Marcel, soldat pendant la première guerre mondiale, Pascale Bouchié Mon père est parti à la guerre par John Boyne amène à réfléchir sur les traumatismes que pouvaient subir les soldats au front, suite en particulier aux bombardements. Un soldat anglais est découvert par son fils Alfie dans un hôpital pour obusés dans le Suffolk. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale par Pascale Bouchié évoque le cas des soldats qui traumatisés perdirent la mémoire jusqu’à ne plus connaître leur nom. Le plus célèbre de ces obusés est Anthelme Mangin qui fut réclamé par de nombreuses familles entre 1920 et 1930. D’un combat à l’autre les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un soldat qui a perdu la mémoire suite à un choc nous en reparlons au sujet des marraines de guerre. Les troupes venues de l’empire colonial français Un tirailleur en enfer, Yves Pinguilly Force noire de Guillaume Prévost comme Verdun 1916 Un tirailleur en enfer d’Yves Pinguilly posent la question des conditions du recrutement des soldats d’Afrique équatoriale avec le cas d’un Malien et d’un Guinéen si on ramène leur origine aux pays d’aujourd’hui. Dès avant-guerre le général Mangin avait théorisé l’apport des troupes indigènes dans un conflit en Europe. Avec Force noire, contrairement à La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale, de Pascale Bouchié et Cléo Germain, l’union entre une Française et un noir s’avère impossible du fait de la pression sociale. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale met bien en scène la surprise que constitue la rencontre d’un tirailleur sénégalais pour un enfant. Contrairement à la littérature produite entre 1914 et 1918, l’homme de couleur n’est plus l’être téméraire, mais aussi cruel vis-à-vis des Allemands ; il est celui qui souffre encore plus des rudes conditions de la guerre des tranchées. Les populations civiles L’ouvrage qui dépeint peut-être le mieux pour des jeunes l’atmosphère d’un village ici breton juste avant la déclaration de guerre est celui d’Yves Pinguilly, à savoir La fleur au fusil. Comme d’autres ouvrages, le récit réunit ceux des villageois qui sont encore là auprès du monument aux morts lors de son inauguration. Des romans historiques se centrent sur la vie à l’arrière et généralement nous suivons pour cela la vie d’un jeune d’une dizaine d’années. Mon père soldat de 14-18 nous conte la vie alternativement dans un village d’Île-de-France et un village pyrénéen qui ressemble à Luchon durant la totalité de la guerre. On parle en particulier des enfants marqués par le deuil de leur père mort au combat. Petit-Jean des poilus, Michel Piquemal La guerre d’Éliane est un roman historique qui permet de s’interroger sur le vécu des orphelins, au nombre total d’un million. L’action se déroule dans plusieurs lieux du Loir-et-Cher et l’importance de la mobilisation patriotique à l’école est bien appréciée à sa juste valeur. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées de Michel Piquemal permet de suivre comment un jeune villageois de la Marne passe d’une vision enfantine et patriotique à une perception plus proche des réalités du conflit. La seconde nouvelle Quoi de neuf depuis 14-18 ? du Violoncelle poilu d’Hervé Mestron couvre une trentaine de pages. L’intrigue repose sur les souvenirs douloureux d’un grand-père de quatre-vingt-treize ans qui est en train de mourir. Ce dernier est né en 1915, d’une mère institutrice dans un village occupé par l’ennemi et d’un père soldat allemand mort avant sa naissance. Deux autres titres, Il fallait survivre de Ludmilla Podkosova et L’horizon bleu de Dorothée Piatek, évoquent la France occupée par les Allemands en des visions très anachroniques dans les relations entre les populations civiles et les soldats ennemis. D’ailleurs 11 novembre de Paul Dowswell montre bien que les populations occupées ont bien plus de haine envers les soldats allemands que les poilus. Un frère d’Amérique 1917-1919 Philippe Barbeau et Christian Couty Un frère d’Amérique de Philippe Barbeau permet de voir comment s’organise la vie villageoise en l’absence des hommes les plus forts partis au front et sous quelle forme est approché l’univers de la guerre avec ses conséquences le héros doit faire face à l’annonce de la mort de son frère aîné. Il rappelle qu’au bord de la voie ferrée Tours-Vierzon dans le sud du Loir-et-Cher existait un camp américain. Si une amitié naît entre un jeune garçon, Charles, et un infirmier militaire américain, John, le récit montre qu’une jeune femme est un enjeu entre les deux hommes. Ceci renvoie à deux phénomènes le premier est que les sentiments envers les Américains étaient souvent hostiles mieux payés que les poilus, les Sammy suscitaient l’envie, le second que certaines Françaises partirent faire leur vie avec un soldat américain rencontré en France. La marraine de guerre de Catherine Cuenca souligne le rôle particulier qu’ont pu jouer certaines femmes auprès des poilus. Initialement lancé pour les soldats dont les familles étaient en zone occupée, le phénomène des marraines de guerre s’est généralisé. Cette figure du soldat filleul apparaît bien moins développée dans Le journal d’Adèle dePaule Bouchet. Elle permet de faire passer un certain nombre d’informations sur le monde des tranchées et d’approcher la dimension d’euphémisme que cette correspondance contenait car le poilu est montré filtrant la dimension d’horreur qu’il vit. D’un combat à l’autre les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un obusé qui retrouve la mémoire grâce au rappel de ses courriers à sa marraine, une des sœurs Curie. Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, Sophie Humann L’univers des jeunes femmes devenues infirmières durant le conflit est développé dans plusieurs titres. Outre ceux autour de la famille Curie voir plus loin, ce sont Il s’appelait … le soldat inconnu d’Arthur Ténor, Infirmière pendant la Première Guerre mondiale de Sophie Humann et Le choix d’Adélie de Catherine Cuenca pour ceux où l’héroïne remplit cette fonction. Dans Mon père soldat de 14-18 la mère du héros est devenue infirmière au Val-de-Grâce. Nicole Mangin, médecin à Verdun de Catherine Le Quellenec évoque la période où Nicole Mangin a été convoquée par erreur par l’armée et a été la seule femme à travailler comme docteur dans un hôpital militaire. La vie des femmes en usine n’est présente que par la profession de personnages secondaires dans Infirmière pendant la Première Guerre mondiale et dans La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier ; pour ce dernier titre on mentionne page 346 les mouvements de grève des femmes parisiennes au printemps 1917. Personnages historiques rencontrés On se limitera à ceux dont on rapporte diverses actions et on n’évoquera pas ceux qui sont simplement cités. Le général Mangin est présent dans Bleu le piège de Douaumont, c’est le seul officier supérieur rencontré dans la production contemporaine. Par contre les enfants-héros en particulier rencontrèrent assez souvent Joffre dans la littérature de jeunesse de l’époque. Mon père est parti à la guerre par John Boyne fait apparaître le premier ministre Lloyd George qui dialogue avec le fils d’un soldat obusé atteint d’une psychose traumatique. Apollinaire, le poète combattant, Jean-Michel Lecat Guillaume Apollinaire est le sujet d’un ouvrage Apollinaire, le poète combattant de Jean-Michel Lecat avec extraits authentiques de lettre et poèmes du personnage, mais il est aussi cité pour ses poèmes ou pour la description de son enterrement dans divers ouvrages comme celui de Gérard Hubert-Richou À la gloire des petits héros page 124 avec le poème L’avion ». Dans le roman historique pour les jeunes La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier, on a également une forte présence d’Apollinaire. L’héroïne Guenièvre et son amie portent un grand intérêt à l’œuvre du poète certains titres de ses livres sont cités. La première assiste à son enterrement pages 384 à 388. Auparavant au début 1916, Alphonse le rencontre à l’hôpital où tous deux sont hospitalisés page 333. Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub se veut un hommage à Jaurès un jeune garçon de milieu populaire fait sa connaissance peu avant sa mort. On suit bien le dernier mois de vie du leader socialiste ; même si le héros ne le suit pas dans ses déplacements, ils sont habilement évoqués. Mais les petits anachronismes, les explications farfelues et la reprise de légendes se succèdent. Le passage le plus déplorable est peut-être celui sur lequel se clôt l’ouvrage, où on rapporte qu’un pharmacien est quasiment coresponsable de la mort de Jaurès. Cette rumeur est dû au fait justement que se trouvèrent par hasard le député du Jura Georges Ponsot, le pharmacien Jules-Paul Guinepied né à Brinon dans la Nièvre en 1881 et un chirurgien brésilien, tous les trois sortant d’un bureau d’un journal radical-socialiste L’Ère nouvelle », non loin du café du Croissant. Jean Jaurès contre la barbarie de Nane et Jean-Luc Vézinet vulgarise bien l’ensemble de la vie de son personnage principal. L’avant-dernier chapitre s’intitule L’homme de la paix » et commençant dès 1904 Jaurès dans L’Humanité écrit un article qui évoque » l’inquiétude des guerres de demain », cela permet de situer le conflit qui vient dans le prolongement de la Guerre russo-japonaise de 1905, de la Crise marocaine de la même année et de celle de 1911. Bien entendu son combat contre la Loi de trois ans est mentionné ainsi que la haine de la presse de droite pour ses positions pacifistes. Son assassinat est évoqué en une phrase. Mon père soldat de 14-18 voit le héros se revendiquer de Jean Jaurès dont l’assassinat est mentionné. Suzie la Rebelle dans la grande guerre, Sophie Marvaud Rosa Luxemburg d’Anne Blanchard propose deux chapitres autour l’un du 15 juin 1914 et l’autre du 3 août 1914 qui permettent de saisir comment cette responsable de la social-démocratie allemande née juive en Pologne russe a tenté d’éviter la guerre. Les chapitres sept à neuf montrent l’incarcération de février 1915 à octobre 1918 de cette militante pacifiste puis la période au-delà qui se clôt par son décès sous les coups de policiers. Avec la famille Curie on a le second pôle de personnages féminins connus, Marie Curie et ses filles sont présentes dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède. Dans le premier de ces titres, l’héroïne Suzie rencontre Hélène Brion, institutrice syndicaliste pacifiste à Pantin, au moment où le gouvernement de Georges Clemenceau sévit contre ce qu’il appelle les défaitistes ». La petite Curie de Rafi Toumayan et Sébastien David montre Marie Curie arrivant au volant d’une petite curie, à savoir une camionnette équipée d’appareils pour pouvoir faire passer une radio aux blessés afin de localiser précisément les projectiles qu’ils ont reçus. Comme autre personnage ayant existé, nous avions déjà signalé la présence de Nicole Mangin. Aujourd’hui jusqu’où introduire le doute sur le manichéisme du conflit ? Les personnages négatifs sont quasiment toujours des officiers, sous-officiers et soldats français ayant des responsabilités particulières qui à l’époque étaient valorisées ; l’ennemi principal du poilu ce n’est quasiment plus jamais le soldat allemand comme cent ans plus tôt mais le militaire français qui fait du zèle dans cette guerre. Les méchants dans la série Bleu sont deux nettoyeurs de tranchée avec Bleu le silence des armes et Bleu la nuit du Vengeur, un tireur d’élite Bleu la dernière cible, un membre des services de renseignements Bleu le piège de Douaumont. Mon père, soldat de 14-18, Christophe Malavoy Mon père soldat de 14-18 est sûrement l’ouvrage qui porte le plus la vision d’un adulte du XXIe siècle sur la Grande Guerre. La Charte de la liberté, que rédigent le héros et ses camarades est un galimatias d’anachronismes faussement juvéniles et parfois abscons, destinée à montrer que la jeunesse de l’époque baigne dans la soif de liberté et d’amour ». L’on sait qu’elle était au contraire très réactive à la propagande patriotique. Il est intéressant de noter que la figure de l’espion allemand voire autrichien ou turc, si abondante dans la production pour la jeunesse entre 1914 et 1918 voir Bécassine chez les Turcs a quasiment disparu. Ceci à une exception notable et très significative. Dans L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, l’espion allemand est soldat sous l’uniforme français, il fait évader deux prisonniers du Reich après les avoir invités à un repas de Noël… Au-delà des invraisemblances successives, l’objectif est de montrer que cet espion est généreux, loyal, honnête… La seule chose que l’on ne sait guère, c’est ce qu’il apporte comme renseignements à son pays. Il tient à expliquer à un ami poilu, que ses activités ont failli faire périr juste avant et forcément provoquer des morts chez les Français[4] évidemment pas signalés dans le texte, qu’il part parce que sa mission d’espion doit cesser. Plus tard lorsque ce dernier se sera retrouvé dans son pays, l’auteure évacue la réponse par l’affirmation dans la bouche d’un officier allemand que l’espion en question a rendu de grands services à l’Allemagne page 80. Sont soupçonnées d’espionnage, en particulier parce que Polonaises, successivement Marie Curie et ses filles dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède. Moral d’acier et pluie de fer, Viviane Koenig Moral d’acier et pluie de fer par Viviane Koenig initie le doute sur la culpabilité réelle de gens fusillés comme espion. Ce même ouvrage pose aussi la question du devenir des déserteurs en imposant comme automatique la sanction du peloton d’exécution page 45, ce qui est loin de correspondre à la réalité nombre de comptes-rendus de conseil de guerre le montrent. Ici Viviane Koenig évoque des fraternisations à la Noël 1914 entre soldats allemands et soldats français ; ces actions cessent avec l’arrivée d’un colonel qui fait tirer sur l’ennemi. Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre Noël 1914 a évidemment pour sujet essentiel les fraternisations entre soldats anglais et allemands. Comme avec Camarades de Catherine Cuenca, où la fraternisation s’était produite dans un trou d’obus entre un Français et un Allemand, Éric Simard a prévu une rencontre de deux acteurs de cette trêve bien plus d’un demi-siècle après leur aventure. 11 novembre de Paul Dowswell montre également une fraternisation entre soldats allemands et anglais le 11 novembre au matin. Mort pour rien ?, Guy Jimenes Dans Mort pour rien? de Guy Jimenes, on essaie de sensibiliser à l’inutilité du sacrifice du soldat en abordant la question de ceux qui sont morts le 11 novembre 1918. L’horizon bleu de Dorothée Piatek , étant un grand hymne à l’amitié des combattants des deux camps, il ne pouvait pas nous être épargné la scène de sympathie à Noël en première ligne avec une couche supplémentaire en direction des prisonniers allemands gardés au chaud ce jour-là pour leur offrir un festin. Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche se donne pour objectif de faire comprendre qu’est-ce qui peut amener un soldat courageux et généreux à fuir le combat et abandonner ses amis ? [5]». L’ouvrage se termine par un saut en 1929 où toute une famille de la région du Chemin des dames s’apprête à descendre en Provence pour retrouver le soldat déserteur qu’elle avait accueilli en 1917. Il s’y cacherait depuis douze ans… Et pourquoi le député Ducros ? se décarcasse-t-il en 1925 pour faire voter la loi d’amnistie ? Les deux héros de Rendez-vous au chemin des dames d’Yves Pinguilly étaient ouvriers sur les chantiers navals de Nantes et si l’un est fusillé l’autre est condamné au bagne militaire en Algérie pour refus de se battre. Le chapitre quatre permet de citer la Chanson de Craonne » qui sert pour annoncer le refus de monter en ligne de soldats. Dominique Legrand dans Déserteurs, tout en tâchant de faire saisir l’accumulation des raisons qui pouvaient pousser des hommes dont ici un lieutenant de réserve à déserter, situait les antagonismes franco-allemands des chefs d’état mais non des peuples sur la longue durée en commençant à Bouvines. Dans la mesure où les hommes quittent le front, la sanction du poteau d’exécution semble moins irréaliste que dans d’autres romans historiques. Le journal d’Adèle, Paule du Bouchet Avec La marraine de guerre de Catherine Cuenca, on raconte comment au retour d’une permission, le personnage principal assiste à l’exécution de cinq soldats qui se sont mutinés. Paule Bouchet dans Le journal d’Adèle parle à plusieurs reprise de la désertion d’un soldat d’un village bourguignon voisin. Ce dernier a été arrêté en voulant passer en Italie en février 1918, ce qui n’aide pas à faire comprendre que ce pays est passé fin mai 1915 dans le camp des Alliés. Conclusion Ces récits sont là pour servir la vision que le grand public adulte d’aujourd’hui a de la Grande Guerre, avec sa sensibilité dans un univers où on entend mener des guerres avec zéro mort et face au contexte d’unité européenne. Dans ce contexte, le combattant n’est plus un héros mais au contraire sont valorisées assez souvent la fraternisation entre soldats ennemis, la rébellion contre les officiers et la désertion. Quand on sait par exemple que L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, où les anachronismes se ramassent à la pelle de tranchée est un des romans historiques de cette période les plus encensés par la critique, que Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche est qualifié de huis clos original qui s’avère autant captivant que pédagogique », on se questionne sur les compétences de ceux qui commentent en France les romans historiques pour la jeunesse[6]. Les conditions dans lesquelles l’engrenage à la guerre se met en place, s’inspireraient plus de quelques pages inédites des Pieds-Nickelés s’en vont en guerre que d’un simple manuel d’histoire de collège. Ainsi page 168 du Dernier ami de Jaurès qui à côté de ces pages de fiction propose des passages didactiques en italiques lit-on cette accumulation d’affirmations fantaisistes [nuit du 29 au 30 juillet] Mais voilà que les Allemands bougent enfin. En effet ? Guillaume II s’est rendu compte de l’emballement des évènements et il cherche à reprendre la main. Un conflit, soit, il n’est pas hostile à cela, mais un conflit localisé à la Serbie ! Il faut à tout prix éviter l’embrasement général, d’autant que le Kaiser vient de comprendre que les Anglais seraient du côté de ses ennemis ! L’Allemagne était certainement la plus forte face à la France et à la Russie, mais le tableau n’est plus le même si les Anglais sortent de leur neutralité. Il envoie un télégramme à Nicolas II lui demandant d’arrêter la mobilisation russe. Le tsar n’attend que cela. Ainsi donc, on peut encore éviter la guerre ! Il lit le télégramme du Kaiser à son ministre de la Guerre, Soukhomlinov, et lui demande d’arrêter la mobilisation. Mais celui-ci refuse au prétexte que c’est techniquement impossible »[7]». Ce livre, présenté dans une revue pédagogique, par un ancien professeur de littérature médiévale et auteur de livres parus pour la même maison d’édition que Le dernier ami de Jaurès, se voit qualifier de roman historique fort bien documenté »… Nous avons épargné ici à nos lecteurs, un assez long relevé des petits anachronismes qui jalonnent certains récits. Est assez récurrent et significatif que les auteurs aient une idée fausse sur la scolarité de leur héros, ils ne connaissent que le lycée et l’école communale amenant au certificat d’études. Ils ignorent ce qu’est un collège dans l’acceptation de l’époque et totalement ce qu’est une École primaire supérieure ou un cours complémentaire. Il s’avère nécessaire dans les choix de faire confiance a priori, plutôt dans les titres d’éditeurs qui ont un large secteur de romans historiques comme Nathan, Oskar et Gallimard jeunesse ou à des auteurs qui ont commis plusieurs titres relevant de ce genre. Les romans historiques pour la jeunesse, sur la Première Guerre mondiale, ont dû d’abord passer par l’étape de déconstruction de la propagande patriotique de l’époque. Beaucoup d’auteurs sont par contre très loin d’avoir une idée de l’esprit de ceux qui, civils ou militaires, furent les acteurs de cette période. Les ressorts du conflit, les modes de vie de l’époque sont parfois largement ignorés[8]. Face à certains ouvrages, on se demande parfois si le nombre d’informations apportées équilibre celui des méconnaissances. Pour un écrivain, un minimum de compréhension de l’évolution du discours historiographique autour de la Grande Guerre est nécessaire. On a trop l’impression que nombre d’auteurs partent comme en 14 » pour asséner au jeune lecteur leur vision simpliste de l’évènement. Octave Bibliographie voir ici [1] Y compris Le violoncelle poilu d’Hervé Mestron qui est en fait composé de quatre nouvelles sur cette période. [2] Stéphane Audoin-Rouzeau. La Guerre des enfants Armand Colin, 1993. Manon Pignot. Allons enfants de la patrie Génération Grande Guerre. Paris Seuil, 2012. Laurence Olivier-Messonnier. Guerre et littérature de jeunesse. L’Harmattan, 2012. [3] Patrick Bousquet. Pages de gloire. Éditions Serpenoise, 2014. Page 4. [4] On relève à cette occasion le dialogue bien peu littéraire et pas du tout pris dans l’argot du poilu Je ne te comprends pas, Gabriel, merde, j’ai failli perdre la vie pour tes conneries ! » page 66 [5] Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche. SEDRAP, 2011. Quatrième de couverture. [6] Nous ne sommes pas le seul à poser cette question. Bertrand Solet, certainement l’auteur qui a produit le plus de romans historiques francophones pour la jeunesse du XXe siècle, souhaite une critique plus fournie et plus exigeante. Bertrand Solet. Une manne pour la Le roman historique, n°876, avril 2004, page 21. [7] Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub. L’École des loisirs, 2013. Page 168. [8] Il faut ne jamais avoir cherché à se documenter sur l’esprit des acteurs de l’époque pour proposer dans L’Horizon bleu ce qu’écrit Dorothée Piatek et qualifie elle-même de surréaliste » à la page 95. Cette amitié entre un soldat allemand espion dans l’armée française et le poilu Gabriel, l’attitude de la femme de ce dernier avec les officiers allemands sont proprement impossibles.
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